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| Nous attribuons à François de Lajoüe (1656-1719) (Morisset 1950.11.05 ou web ; Morisset 1951.03 ou web ; Mayrand 1969b ou web) ce très exceptionnel carnet (35 feuillets dont 33 dessins à l'encre) conservé aux Archives des sulpiciens de Montréal (Mayrand 1968.08) présentant divers paysages, figures et fortifications dessinées à la main en l'année 1675. Cet arpenteur-mesureur, maître maçon, architecte-entrepreneur, marchand, bourgeois, ingénieur, est né vers 1656 dans la région parisienne (Saint-Giruault), fils de Jacques de La Joue, maître chirurgien, et de Madeleine Guérin. François exerca son métier d'arpenteur à Paris avant de s'établir à Québec vers 1689. Ce carnet est daté de 1675, alors que François n'avait que 19 ans, âge propice à un tour de France à titre de compagnon ou de militaire. Les dessins présentent des paysages variés de diverses régions, des scènes militaires, des forticications ainsi que des paysages imaginaires. | Ces dessins raffinés illustrent l'art civil du XVIIe siècle tel que fréquenté par les lettrés de cette époque et constituent de magnifiques pendants à l'art du luth pratiqué en Nouvelle-France par leur caractère intimiste et sophistiqué. Leur style souple et précis, intelligent et subtil, sont cohérents avec celui de la signature de Lajoüe. Il travailla à Québec de 1689 à 1715, ce qui permet d'expliquer la présence de ce carnet ici. Il quitta cette ville vers 1715 après avoir confié ses effets aux religieuses de l'Hôtel-Dieu. Une lettre de l'évêque de Babylone, datée de juillet 1719, documente son décès en Perse. Sa succession vacante eut des prolongements jusqu'en 1743. |
[Extraits de Mayrand 1968, p. 14 et 35.]
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f00. Page titre. |
| Ce premier folio du carnet en constitue la page titre. Nous l'avons numéroté f°00 afin de conserver aux autres les chiffres utilisés par l'artiste. Tout en donnant plusieurs informations importantes, cette page pose certains problèmes d'interprétation. Le tampon apposé deux fois « ARCHIVES DU COLLÈGE DE MONTRÉAL », où enseignaient les sulpiciens, a dû être ajouté au XXe siècle. C'est effectivement dans les locaux du Grand Séminaire de Montréal que nous avons photographié en diapositives ce carnet vers les années 1970. S'y serait-il rendu par l'entremise du sulpicien François Vachon de Belmont (1645-1732) dont le nom paraît au f°01. | Remarquons tout d'abord la belle écriture du titre et de la date : « Divers peizages figures et fortifications dessinees a la main en lanée 1675 ». Le paraphe central semble être de la même main, ainsi que la signature « De Lajoüe » et son paraphe apparaissant en haut au centre du f°01. La graphie du D majuscule est identique dans les mots « Divers » et « De Lajoüe ». Cette hypothèse devra évidemment être corroborée par l'analyse de documents d'archives écrits ou signés par François de Lajoüe (1656-1719) auquel nous attribuons ce carnet sur cette base graphologique, mais aussi pour plusieurs autres raisons liées à sa biographie et sa profession. |
Signatures en haut du f°01.
« |
| Tous les autres noms qui apparaissent à ce f°00 semblent avoir
été ajoutés ultérieurement par des
propriétaires successifs du carnet. Tout en haut de page titre,
au centre, le mot « |
L'identification de l'énigmatique mot « darsun [ou darsan ?] » au-dessus du paraphe au milieu de la page titre paraît impossible à élucider. Son style d'écriture est très différent du paraphe et du titre ; il semble donc avoir été ajouté ultérieurement. L'index du Dictionnaire biographique du Canada ne fournit aucune clé permettant de l'identifier, ni la vie et la carrière des personnages liés aux autres signatures : Lajoüe, Belmont ou d'Argenteuil. On trouve sur le web quelques noms qui reprennent la graphie « darsun », mais aucun nom français traditionnel. Pourrait-il s'agir d'une abréviation, ou d'un nom de lieu, ou d'un surmon, ou d'un pseudonyme ? |
| Au lieu de « darsun » nous proposons de lire « Janson ». Il pourrait alors s'agir de Pierre Janson dit Lapalme, architecte des fortifications de Québec au même titre de Lajoüe. Et le « dominique » pourrait alors être Dominique Janson dit Lapalme, également un architecte de la même famille mais résidant à Montréal. Ce lien pourrait peut-être expliquer le transport de ce carnet dans cette ville où il est conservé aujourd'hui par les sulpiciens dont Vachon de Belmont fut l'un des membres éminents, également architecte, et dont la signature apparaît au f°01. | Notons que la signature « Janson » semble être de la même main et de la même encre pâle que la répétition de la date « 1675 », ce qui pourrait être interprété comme une reconfirmation ultérieure par une autre personne de la date originale apposée en même temps que le titre par l'auteur des dessins. Dans les deux cas, il s'agit bien d'un cinq si on les compare aux chiffres qui apparaissent sur les f°15 et f°25, ainsi que celui du f°05 plus difficile à lire. Serait- une autre mention de Janson figurant au f°02 ? | Un autre nom apparaît à la toute fin du carnet au f°34. Ce « Mosier dargenteüile » pourrait être Pierre d'Ailleboust d'Argenteuil, né à Québec en 1659 et décédé à Montréal en 1711, ce qui pourrait encore une fois expliquer le transfert du carnet de Québec à Montréal. D'Argenteuil était soldat et voyagea beaucoup en Amérique du Nord, mais on ne lui connaît pas de voyage en Europe, ce qui le disqualifie comme auteur de ces dessins. Ce nom, qui apparaît à la toute dernière page du carnet, s'apparente à un exercice d'écriture si on en juge par la répétition du « M ». |
f°01. Fort carré au milieu d'un lac, maison
à l'arrière, pêcheurs avant-plan gauche, boeufs ou
vaches avant-plan droite. |
| La signature de « Belmont », quelque peu tremblante en haut à gauche, semble un ajout ultérieur, datant peut-être de la fin de la vie de François Vachon de Belmont(1645-1732) (Morisset 1950.02.12, Morisset 1950.03). On y décèle une toute autre main d'écriture que celle du titre au f°00 ou de la signature « De Lajoüe » qui la jouxte immédiatement à droite. Vachon de Belmont, né à Grenoble, était en France en 1675. Il pourrait être l'auteur de ce carnet de dessins, mais le style de sa signature est trop différent de celle du titre pour retenir cette hypothèse. | « François Vachon de Belmont reçut une "éducation raffinée, tout à fait grand siècle". Il apprit plusieurs langues, s'adonna au dessin et à la musique, dont le luth, en plus d'obtenir un baccalauréat en théologie de la Sorbonne. Passa-t-il une partie de son adolescence à la cour ? On affirme en tout cas qu'il fut page de la reine avant d'occuper un poste dans la magistrature du Dauphiné [Mathieu 1969 ou web]. » | Diacre, Belmont arrive en Nouvelle-France en 1680 et est ordonné prêtre l'année suivante. Il correspond avec le supérieur de Saint-Sulpice à Paris, M. Tronson. Il passe une grande partie de sa vie à s'occuper des Amérindiens mis en réserve au fort de la montagne, au Sault-au-Récollet, puis au lac des Deux-Montagnes. En 1701, il succède à Dollier de Casson à titre de supérieur des sulpiciens en Nouvelle-France et comme lui se consacre aux travaux historiques par son Histoire du Canada. Il fournit sa fortune et ses multiples talents aux plans et à la construction du séminaire de la rue Notre-Dame, du fort de la Montagne, d'un moulin, de la façade de l'église Notre-Dame, de la chapelle de la congrégation des hommes. Il n'est donc pas étonnant que ses activités d'architecte l'aient amené à s'intéresser à ce carnet qui contient plusieurs dessins d'architecture et de fortifications. |
f°02. Château sur minuscule îlot rocheux
escarpé, barque avec rameurs avant-plan
gauche, voilier à l'arrière plan. |
Difficile d'interpréter l'inscription, en haut à droite...!
Pourrait-elle se lire : « cest janon » pour Janson, ou « cest danon », ou « cest clanon », ou « cest canon » ?

f°03. Cavalier sur une route près d'un
château, navire dans une baie arrière-plan
droit. |
f°04. Alignement de quatre écuries dans un paysage
aux fermiers récoltant, hameau à gauche et église à
l'horizon. |
f°05. Ruines près d'une maison, deux chiens pousuivant un lapin en avant-plan, un passant au bâton à droite, un couple en arrière-plan sous une arche. |
f°06. Gentilhomme à la canne devant un castel, une maison et des paysans. |
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La source de ce portait, ici simplifié, atteste sans contredit de l'influence de Callot sur le dessinateur de ce carnet. Jacques Callot (1592-1635), Autoportrait, dit « Le petit portrait », gravure, Nancy, Musée des Beaux-Arts, L.184. |
f°07. Formations de militaires avec hallebardes en formes de croix, de carré et de rectangle. |
Noter les hallebardes sensiblement différentes chez Jacques Callot [Mayrand 1968, p. 29].
Jacques Callot (1592-1635), Les grandes misères de la guerre, planche 2, l'enrôlement des troupes, 1633, gravure (web ou pdf).
f°08. Campement militaire sous la tente. |
f°09. Paysan sur un âne près d'un moulin à aube, hameau à l'horizon. |
f°10. Campement militaire à l'intérieur d'une fortification entourée de fossés. |
f°11. Rameurs dans une barque chargée de tonneaux devant un manoir en ruines. |
f°12. Personnage assis devant un paysage de maisonnettes, arbre en avant-plan gauche. |
f°13. Cheval, hameau à l'horizon. |
f°14. Pont traversant une rivière devant un fort carré et un campement militaire. |
f°15. Château à hautes poivrières sur un îlot, pêcheur séchant ses filets avant-plan droit. |
Cette Vue d'une tour de château (Paisages 1660-1754, 8 EST 64 6, pl. 06) présente une thématique similaire.
f°16. Château-fort sur un îlot avec pont, cavalier et chien avant-plan droit. |
f°17. Ferme incendiée. |
« (91) Ferme incendiée, [Albert] Flamen [1620-1669], dessin à la plume, Edinburgh, [Galerie nationale d'Écosse]. Comparer ce dessin au dessin n° 17 de Montréal. La source est la même, bien que certains éléments soient changés (premier plan, à droite ; arrière plan à gauche). La perfection du dessin de Montréal par rapport au premier est évidente (stylisation et puissance évocative des volutes de fumée, affirmation des contrastes) [Mayrand 1968, p. 29]. »
f°18. Explosion spectaculaire au-dessus de fortifications. |
« (92) Scène de bataille, [Albert] Flamen [1620-1669], idem [Edinburgh, Galerie nationale d'Écosse]. On retrouve les mémes éléments iconographiques dans le carnet de Montréal où ils ont plus de vigueur [Mayrand 1968, p. 29]. »
f°19. Fortifications aux nombreuses tourelles encerclant un village. |
f°20. Deux pêcheurs devant un ermitage sur un îlot. |
| « (93) Ermitage sur îlot rocheux relié par une passerelle à la terre ferme, bistre, (Quimper). Noter la surcharge des éléments par rapport au dessin de Montréal et à celui de Chathworth (Album Sylvestre). La source commune reste évidente, malgré la différence d'interprétation, la copie laissant la place à une création originale chez l'auteur du dessin de Montréal [Mayrand 1968, p. 29]. » | Le Paysage d'un rocher avec des maisons ci-dessous, gravé à l'eau-forte par Adam Perelle en 1692 d'après Bruwaert, présente une version inversée beaucoup plus élaborée de la même composition (Paisages 1660-1754, 8 EST 64 6, pl. 13). |
f°21. Tour ronde surmontée d'un canon et d'un hallebardier. |
f°22. Cavalier, femme et chien devant un hameau et un ponceau. |
f°23. Canonnier faisant feu vers une fortification sur un îlot. |
f°24. Pêcheurs devant un rocher percé sur un îlot. |
f°25. Château sur un plan d'eau avec pêcheurs en l'avant-plan. |
Château de Chenonceau, Vallée de la Loire.
f°26. Ferme entourée de champs cultivés, en avant plan deux chiens, un lapin, un botte de blé et un fermier à la canne, un chasseur dans le blé tirant des oiseaux. |
f°27. Cavalier et chevaux tirant un canon devant des fortifications gardées par des soldats. |
f°28. Pêcheur, deux barques sur un cours d'eau, devant une maison de campagne, arbrisseau à droite. |
f°29. Arbre et piton rocheux encadrant un manoir entouré d'arbres et divers personnages. |
f°30. Deux paysans regargent vers un plan d'eau derrière lequel se dresse un châteu en ruine sur un promontoire rocheux. |
f°31. Deux pêcheurs et une barque devant une masure sur un îlot. |
f°32. Cours d'eau devant un manoir à plusieurs pignons. |
f°33. Voilier avec deux rangs de canons. |
f°34. « Mosier
dargenteüile ». |
Mises à jour. |
2023-10-24 — Ajout d'une vidéo réalisée par Jean Pierre Lefebvre cinéaste.
2023.09.19-27 — Réédition sur une seule page avec avec une nouvelle présentation, ajouts, corrections et nouvelles numérisations haute définition.
2001.02.07 — Mise à jour.
2000.07.02 — Première publication de ce site, sur plusieurs pages, avec des images de petites dimensions numérisées à partir des diapositives prises en 1969-1970.
1969-1970 — Nous sommes redevables à notre collègue Pierre Mayrand de la découverte de ce fabuleux document alors que nous étions jeune étudiant chercheur dans GREDAAQ Groupe de recherches en arts anciens du Québec à l'Université du Québec à Montréal.