Gérard Morisset (1898-1970)

1934.10.30 : Église - La Présentation

 Textes traités le 3 mars 2003, par Kawthar GRAR, dans le cadre du cours HAR1830 Les arts en Nouvelle-France, au Québec et dans les Canadas avant 1867. Aucune vérification linguistique n'a été faite pour contrôler l'exactitude des transcriptions effectuées par l'équipe d'étudiants.

 

Église - La Présentation 1934.10.30

Bibliographie de Jacques Robert, n° 060

Le Canada, 30 octobre 1934, p. 2.

De surprise en surprise A l'Eglise de la Présentation

 

"Allez à l'église de la Présentation, m'avait dit un charmant érudit de Saint-Hyacinthe; vous y verrez de fort belles peintures, entr'autres un admirable Velasquez".

Un Velasquez…! J'en avais l'eau à la bouche, d'autant plus que le "peintre des peintres" n'est représenté au Canada que par des navets authentiques.

Trois jours après, nous roulions, mon confrère et excellent ami le notaire Romulus Roy, de Saint-Léonard d'Aston, et moi, nous roulions, dis-je, vers l'église de la Présentation, alléchés par la perspective de voir un musée en miniature…

L'église de la Présentation (comté de Saint-Hyacinthe) n'est ni ancienne, ni moderne. C'est un grand vaisseau édifié en 1819 probablement d'après les plans et devis de l'abbé-architecte Louis Conefroy, curé de Bourcherville, constructeur qui, à la demande de l'Evêque de Québec, imagina une église-type qu'on put multiplier à plusieurs exemplaires. Les anciennes églises de Longueuil, de Boucherville et de la Baie-du-Febvre, les église actuelles de Lauzon et de Charlesbourg ont été élevées au début du XIXe siècle, d'après le planparangon dû au talent de l'abbé Conefroy.

A l'église de la Présentation, le plan est clair, le parti décoratif est sobre et de bon goût, la fausse voûte en anse de panier offre quelque similitude avec celle de l'église de Saint-Augustin (Portneuf). Les autels seraient d'un style Louis XV tout à fait aimable s'ils n'avaient été restaurés récemment dans le genre grandiloquent et vide qui caractérise notre architecture religieuse, depuis 1870.

Trois toiles de mêmes dimensions ornent le sanctuaire; dans le retable des autels latéraux, deux compositions de style et de coloris différents; en arrière de l'église, deux autres peintures enfumées et quelque peu abîmées.

"Les trois tableaux du chœur sont de Fra Angelico", nous dit-on avec assurance, et l'on ajouta: "…c'est du moins ce que m'a affirmé Mgr D…, curé à X. Le tableau de l'autel latéral de gauche et la Présentation au temple qu'il y a en arrière de l'église sont du Corrège et le Christ en croix est de Van Dyck". Un petit musée, quoi! Mais le Velasquez s'était métamorphosé…

Et nous voilà, mon ami et moi, escaladant les autels, cherchant à découvrir, sur la surface rugueuse des toiles, une signature ou une date. Les attributions me paraissaient fantaisistes, les sujets d'une ordonnance et d'une touche moins anciennes qu'on ne le disait… Après tout, errare humanum est, et j'eusse aimé me tromper. Y pense-t-on? Trois Fra Angelico, deux Corrège et un Van Dyck…!

Tout à coup mon ami sursaute. Sur l'un des tableaux du sanctuaire, il vient de voir quelques lettres. Il court au tableau du maître-autel: même signature; sans doute trouverait-il le même nom sur la troisième peinture du sanctuaire, si la toile ne disparaissait tout à fait sous plusieurs couches de vernis et une respectable épaisseur de fumée. Puis, nous examinons les toiles des autels latéraux; celle de droite nous livre son secret, mais celle de gauche reste anonyme. En arrière de l'église, l'un des deux tableaux porte une signature, l'autre une longue inscription que la poussière rend indéchiffrable. Bref, en un quart d'heure s'évanouissent les trois Fra Angeico [sic], les deux Corrège et le Van Dyck…

Qu'y a-t-il donc, à l'église de la Présentation?

* * *

La réalité est moins reluisante: trois toiles de Renou, une de Patriglia, une autre anonyme et deux peintures de Picot. Picot, Patriglia et Renou, artistes obscurs qui, de leur vivant, n'ont récolté que des vestes et dont les œuvres s'élèvent de plusieurs degrés par la vertu d'un connaisseur d'un coin perdu du Canada…!

Antoine Renou, né à Paris, en 1701, mort dans la même ville le 13 décembre 1806 - il était donc contemporain de Fragonard - n'est plus connu que par une peinture plafonnante de la Galerie d'Apollon, au Pallais du Louvre, l'Etoile du matin. [Note 1. Morceau de réception à l'Académie royale de peinture, le 14 août 1781.]

A l'église de la Présentation, trois toiles marquent son talent: la Présentation de la Vierge au temple, l'Assomption et l'Annonciation. La première peinture est datée de 1775, la deuxième de 1777, mais la dernière est si abîmée qu'on n'y voit ni signature, ni date. [Note 2. Les trois toiles sont cintrées; elles ont les mêmes dimensions; H. 9' 6" L. 6' 6", environ.]

Ces trois compositions de style traditionaliste ont les qualités et les défauts du XVIIIe siècle finissant. Le coloris est riche, somptueux, d'une chaleur subtile; le métier est large, souple et nerveux; les draperies sont traitées avec un réalisme plaisant, comme le vêtement de la petite Vierge de la Présentation; l'étoffe qui recouvre le sépulcre, dans l'Assomption est un beau morceau de peinture.

Mais toute spiritualité est exclue de ces compositions. Les visages sont conventionnels et fades, les attitudes faussement élégantes. Dans l'Assomption, Marie, fortement matérialisée, lutte maladroitement contre les lois de la pesanteur; il en est de même de l'ange de l'Annonciation, éphèbe qui n'a rien de céleste.

L'autel latéral de gauche est orné d'une Communion de sainte Catherine de Sienne, attribuée à Corrège. Est-il besoin de faire remarquer que celui-ci est étranger à cette peinture, et pour une excellente raison: le tableau date de la fin du XVIIe siècle, c'est-à-dire plus de cent cinquante ans après la mort de Corrège. C'est sûrement une peinture de l'Ecole française, œuvre académique de bonne tenue que l'on [sic] quelconque des émules de Le Brun eût pu signer. Peut-être porte-t-elle une signature? Pour la trouver, il faudrait débarrasser la toile de la couche de terre de Sienne qu'elle a reçue vers 1819.

A l'autel latéral de droite, une copie médiocre de la Vierge du rosaire, de Sassoferrato, porte l'inscription suivante: ANT. PATRIGLIA DEL/ROMA 1883. Ce Patriglia, copiste italien d'une extrême fécondité, a peint un Chemin de croix pour l'église Saint-Patrice, à Montréal.

En arrière de l'église, deux toiles de mêmes dimensions [Note 3. Elles mesurent environ cinq pieds de hauteur sur une largeur de deux pieds et six pouces.]dues au pinceau facile d'un élève d'André Vincent, François-Edouard Picot.[Note 4. Né à Paris le 17 octobre 1786, mort dans la même ville le 15 mars 18[?]. On voit de ses peintures décoratives au Palais du Louvre, aux églises de Saint-Sulpice et de Notre-Dame-de-Lorette, à Paris, au Château de Versailles (La prise de Calais) et à Saint-Vincent-de-Paul.]Il faut abadonner sans remords les attributions à Van Dyck et à Corrège. Le Christ en croix est signé en toutes lettres: Picot; son pendant, la Présentation au temple, est de même style. Ce sont, à n'en pas douter, des œuvres de jeunesse, de consciencieux devoirs d'aspirant-Prix-de-Rome.

Ainsi, dans le Christ en croix, le coloris est Flamand ou, plus précisément, inspiré de Van Dyck; le dessin et la facture sont d'un jeune peintre de Premier Empire. Qu'on remarque ces détails: la tête penchée du Christ, ses jambes nerveuses pliées en avant, les proportions de la croix; ils se retrouvent dans le Christ en croix que Pierre-Paul Prud'hon peignit en 1822 [Note 5. Au Musée du Louvre.] et dans une jolie toile de même sujet conservée au Musée de l'Université Laval.[Note 6. Cette composition est faussement attribuée à Guido Reni.]

La toile de la Présentation est beaucoup moins bonne. La composition est touffue et dépourvue de charme.

* * *

L'histoire des sept peintures de l'église de la Présentation est obscure. On sait seulement qu'elles ont été acquises par l'abbé Louis-Martial Bardy (1775-1823), curé de la Présentation de 1806 à sa mort, et placées dans l'église à son inauguration, en 1819.

L'abbé Bardy les avait-il achetées à la vente des peintures de la collection Desjardins, en mars 1817? Aucun document, déjà publié, ne nous renseigne sur ce sujet, les peintures ne figurent pas, il est vrai, dans l'Inventaire Desjardins. [Note 7. Manuscrit conservé chez les Ursulines de Québec. Cf. Bulletin des recherches historiques, vol. XXXII (1926), p. 93.] Mais on sait que ce manuscrit est fort incomplet et entaché de lacunes regrettables. Que l'abbé Desjardins cadet ait oublié d'inventorier les tableaux achetés par l'abbé Bardy. Il n'y aurait pas lieu de s'en étonner, car bien d'autres omissions sont à signaler dans son manuscrit… Peu importe, pour le moment, la provenance des peintures dont l'abbé Bardy a orné son église. [Note 8. Je reviendrai plus tard sur la provenance de ces toiles.

Signalons en passant que le portrait de l'abbé Louis-Martial Bardy, peint par Louis Dulongpré (1764-1823), est conservé au Musé [sic] de l'Université Laval. C.f. Catalogue de 1933, No 353.]

Dans ce court article, j'ai simplement voulu faire connaître quelques peintures intéressantes; j'ai voulu marquer qu'avant de procéder à des attributions, il importe de bien examiner les tableaux et, s'il y a lieu, de bien lire les signatures qui peuvent s'y trouver. Les tableaux signés et datés sont plus nombreux qu'on ne le croit; encore faut-il qu'on se donne la peine de les regarder avec attention, en bonne lumière, au besoin en les éclairant articieiellement [sic].Mais, les autres tableaux, ceux que leurs auteurs n'ont pas voulu signer, ceux qui ne possèdent plus de signatures par le fait d'un restaurateur peu scrupuleux ou parce qu'ils ont subi l'opération de la taille [Note 9. Nombreuses sont les toiles qui ont été coupées, soit qu'elles étaient trop abîmées, soit pour les faire entrer dans des cadres trop petits.], ne peut-on pas les attribuer à tel ou tel artiste? Oui, à certaines conditions: connaître parfaitement les traits distinctifs de chaque école de peinture, la manière de chaque maître, sa touche, ses procédés, sa cuisine picturale, les particularités de sa vision, les sujets qu'il a traités; se rappeler constamment que, depuis le XIVe siècle, les artistes se comptent par milliers, - que disje [sic], par centaines de milliers. Les connaissons-nous tous? Non pas…

Voilà pourquoi, dans nos églises et dans nos musées, dans nos monuments et dans nos riches habitations bourgeoises, bien des toiles modestes, bardées [sic] de cadres cossus, portent des cartels dorés sur lesquel on lit des noms illustres…

 

 

web Robert DEROME

Gérard Morisset (1898-1970)