Gérard Morisset (1898-1970)

1937b : Église - Matane

 Textes mis en ligne le 3 mars 2003, par Kawthar GRAR, dans le cadre du cours HAR1830 Les arts en Nouvelle-France, au Québec et dans les Canadas avant 1867. Aucune vérification linguistique n'a été faite pour contrôler l'exactitude des transcriptions effectuées par l'équipe d'étudiants.

 

Église - Matane 1937b

Bibliographie de Jacques Robert, n° 218

Almanach de l'Action sociale catholique, vol. 21 (1937), p. 64-66.

Une église de notre époque: Matane

RIEN de plus navrant que l'architecture religieuse au Canada français. On construit en un style d'opéra comique, des églises de bois, de plâtre et de tôle; on les encombre d'un mobilier à l'avenant, de tableaux ternes, banals, sinon franchement mauvais, de statues de plâtre colorié, de tous les sous-produits que des industriels sans culture fabriquent en série pour l'ébahissement des amateurs de pieuses frivolités…

Et puis, un jour, tout cela alimente les flammes d'un incendie allumé on ne sait comment. Et on recommence le truc avec la certitude qu'on ne peut faire autre chose.

Cependant il y a des cas - ils sont encore rares, mais leur proportion augmente de décade en décade - où la routine cède le pas à une modernité de bon aloi; où l'on se dit que, tout de même, nos traditions architecturales, si vénérables soient-elles, sont susceptibles d'un certain rajeunissement, d'une transformation qui leur enlèverait leur caractère provisoire pour les mettre d'accord avec le bon sens et un minimum de beauté; où des hommes, qui ne sont point des iconoclastes mais point davantage des suiveurs aveugles, se déterminent allègrement à quitter les ornières traditionnelles pour mieux adapter leurs conceptions architecturales aux nombreuses exigences contemporaines. C'est une tendance qui est loin d'être généralisée; elle existe toutefois, et pour le plus grand bien de notre rayonnement intellectuel.

Depuis une vingtaine d'années, on a élevé quelques églises dans le goût moderne. Les unes constituent un rajeunissement de certaines formules en usage dans des pays européens; d'autres n'abordent la modernité qu'avec regret, avec des retours plus ou moins marqués vers des formes désuètes; dans un petit nombre d'églises s'affirme la volonté de résoudre les problèmes d'aujourd'hui par des méthodes d'aujourd'hui et de rompre définitivement avec ce que le Père Abel Fabre appelle le fétichisme du passé mort.

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A Matane, les architectes eussent créé une œuvre absolument nouvelle si l'incendie du mois de novembre 1932 n'avait respecté les murailles de l'église. Hélas! les murailles de l'église étaient encore solides, au dire des connaisseurs de l'endroit; et il eût été trop coûteux, paraît-il, de les démolir. On les a donc conservées en en réduisant la hauteur de quatre ou cinq assises; on a aussi conservé la tour centrale et le beffroi en les perçant d'ouïes mieux disposées, en appliquant sur les quatre côtés des croix creuses ou en relief et en faisant disparaître l'inélégante flèche qui surmontait naguère le clocher.

La façade actuelle est peut-être un peu lourde; elle n'est point banale. Elle nous repose des ornements de tôle (…) qui s'étalent trop souvent sur la devanture de nos églises. Elle n'est pas arrogante; elle ne donne pas l'impression de nous en imposer par de colifichets prétentieux; elle est, au contraire, grave et accueillante, avec le sourire de ses fenêtres étagées et la solennité de sa coiffure octogonale.

A l'intérieur, tout change. Ce n'est pas la nef m'as-tu vu qui, du haut de ses tonnes de plâtre, écrase l'ignorant sous le nombre et la médiocrité de ses ornements; ce n'est pas non plus un vaisseau fastueux qu'on pourrait prendre à bon droit pour la salle à manger de première classe d'un paquebot d'avant-guerre. Non. C'est une théorie imposante d'arcs paraboliques aux arêtes vives; une voûte qui ne cherche pas à se maquiller en décor indispensablement superflu; un mobilier simple, dépourvu de franfreluches mais de proportions agréables, sans vanité comme sans mensonge; des fenêtres bien réparties; un chemin de croix qui tire toute sa force convaincante de son extrême sincérité; des peintures murales sobres, éminemment décoratives, dépouillées de toute grandiloquence; un chœur vaste, visible de toutes les parties de la nef, bien fourni de meubles d'un dessin original, illuminé par une verrière chargée de poésie et de belles couleurs, desservi par des circulations faciles, surmonté d'un orgue invisible mais harmonieux, un chœur enfin où les mystères peuvent se dérouler avec l'ampleur qu'on veut généralement leur attribuer. Derrière l'église, des pièces accessoires sans faste, il est vrai, mais exactement conformes à leur destination.

Précisons quelques détails.

On pourrait croire que les murailles de l'église jouent ici un rôle architectonique, comme toute muraille qui se respecte. Il n'en est rien. Ils ne sont qu'un simple cloisonnement. L'ossature de l'église repose sur des arcs paraboliques. Ce sont eux qui sont l'âme de la construction. Ils portent tout: plafond, chemin de ronde central et toiture; ils déterminent tout: largeur de la nef, profondeur des travées et hauteur sous arc. Leur galbe épouse la forme quasi exacte de ce qu'on appelle la courbe de pression, ce qui neutralise les poussées latérales et assure la stabilité de l'édifice. Il y a peut-être quelque sécheresse dans le sommet des arcs; mais il ne faut pas en rendre les architectes responsables: cela est dû à l'extrême difficulté de l'exécution d'un tel système constructif.

Au sommet des arcs est disposé l'éclairage artificiel. C'est une nouveauté au Canada français; et une nouveauté intelligente. Contrairement à ce qui se passe ailleurs, les paroissiens de Matane peuvent consulter leurs livres de prières sans être aveuglés par des feux électriques trop éblouissants et trop tapageurs. Le luminaire est donc suffisant et discret à la fois, tout comme les effets mêmes de la charité évangélique.

C'est dans le mobilier que les architectes ont donné la mesure de leur invention et de leur goût. Il est sobre, élégant, architectural, exécuté franchement en merisier teint en deux tons qui se marient avec bonheur. S'il est dépourvu de sculptures, c'est que les architectes, sans dédaigner cette précieuse source de décoration, ont préféré mettre en valeur le bois lui-même, avec son grain serré et la chaleur de ses tons. Voyez les confessionnaux, les bancs, le trône curial, la chaire et les banquettes du chœur: ces pièces d'ébénisterie tirent leur effet décoratif d'une aimable simplicité, de leurs proportions heureuses et aussi de leur relation parfaite avec l'architecture même de l'église. C'est l'application pleine de sens du principe médiéval: tout subordonner aux lignes architectoniques.

Ce principe, les architectes ont voulu, et avec combien de raison, l'étendre à l'ornementation picturale. Au lieu d'accrocher çà et là des tableaux qui eussent fait tache sur la muraille, ils ont ménagé dans le chœur de larges espaces destinés à la peinture murale. C'est une autre innovation et il convient de la signaler. Le thème de ces peintures est emprunté à la vie du patron de l'église, saint Jérôme. D'un côté, le départ du saint pour le désert; de l'autre, sainte Paule dit adieu à ses enfants et s'embarque elle aussi pour le désert; au-dessus de l'autel, une large peinture marouflée représente des moines au travail; de chaque côté, une composition rappelle la Charité; une autre, la Prière.

On chercherait vainement dans ces compositions la fade élégance, le coloris conventionnel et le trompe-l'œil qui entachent la plupart de nos tableaux d'églises. L'auteur n'est pas tombé dans ces travers parce qu'il a parfaitement compris que la peinture murale doit posséder d'autres caractères que le tableau encadré. De là une composition large, festonnée, pourrais-je dire; un dessin juste, simple, sans apprêts; des tons ni trop sombres, ni trop clairs, qui s'harmonisent avec la muraille; des harmonies toutes en finesse; des plans à peine accusés et des lointains presque sans modelé; des personnages aux gestes lents, aux expressions familières, aux attitudes calmes; des accessoires rendus avec réalisme mais sans bravoure étalée; des portions de nature qui sont de beaux décors; et sur tout cela une poésie tendre, une légère tristesse, un sentiment du travail silencieux et de la résignation. Ce sont de belles peintures murales, les plus poétiques peut-être que nous ayons.

Il faut en dire autant du chemin de croix. L'artiste ne disposait que d'une surface exiguë. Dans cet espace en largeur, il aurait pu enserrer une composition entière, avec des personnages en pied. Il ne l'a pas voulu. Il a préféré ne mettre en scène que les acteurs essentiels du drame de la croix. Et au lieu de peindre des scènes entières, il les a indiquées de façon fragmentaire, comme s'il les contemplait à travers une fenêtre. Ainsi entendus, les faits de la passion acquièrent beaucoup d'intensité et provoquent une émotion profonde.

La verrière absidale, qui est du même artiste, possède les mêmes qualités décoratives. Ce n'est pas un tableau translucide comme la plupart de nos verrières commerciales; ce n'est pas une image agrandie de Saint-Sulpice. C'est une pièce largement conçue et nerveusement dessinée; le coloris, où dominent les bleus, est à la fois vigoureux et velouté. En examinant ce vitrail, on pense aux belles œuvres de la fin du XIIe siècle; ou encore aux admirables vitraux modernes de l'église du Rainey.

Si la construction et l'ornementation de la belle église de Matane ont pu être menées à bien, nous le devons sans doute à la largeur d'esprit des membres de la corporation paroissiale. Mais leur bonne volonté eût été stérile sans le talent des architectes Paul Rousseau et Philippe Côté, sans la maîtrise du peintre Lucien Martial.

Paul Rousseau, professeur à l'École des Beaux-Arts de Québec, a passé six ans à Paris, à l'École des Arts décoratifs. Il y a puisé le goût de l'architecture simple, le sens des proportions et de l'élégance. Depuis son retour de Paris, il a élevé quelques maisons qui, par leurs solides qualités, tranchent sur la grisaille de nos habitations bourgeoises. Philippe Côté, diplômé de l'École des Beaux-Arts de Québec, est un jeune architecte qui peut aspirer à une brillante carrière. Lucien Martial, deuxième grand prix de Rome, membre de la Société des Artistes français, n'est pas un inconnu à Québec. Les élèves de notre École des Beaux-Arts se rappellent avec émotion sa bienveillance à leur égard, son dévouement et l'intelligence de son enseignement. Il n'est pas que bon professeur, il est aussi excellent peintre; de la lignée de Chassériau, de Puvis de Chavannes, d'Henry Martin, de Marret et de Maurice Denis. Ses peintures murales en font foi; ses tableaux aussi. Telle de ses pochades du vieux Québec me fait songer aux plus belles œuvres de l'école contemporaine française.

A Paul Rousseau, à Philippe Côté et à Lucien Martial je me permets d'offrir mes félicitations les plus sincères. Ils ont édifié une œuvre qui fera école, si nous voulons bien essayer d'en comprendre l'esprit et le fécond enseignement.

 

 

web Robert DEROME

Gérard Morisset (1898-1970)