Gérard Morisset (1898-1970)

1940.03.18 : Peintre - Scott, Marguerite

 Textes mis en ligne le 4 mars 2003, par Stéphanie MOREL, dans le cadre du cours HAR1830 Les arts en Nouvelle-France, au Québec et dans les Canadas avant 1867. Aucune vérification linguistique n'a été faite pour contrôler l'exactitude des transcriptions effectuées par l'équipe d'étudiants.

 

Peintre - Scott, Marguerite 1940.03.18

Bibliographie de Jacques Robert, n° 114

L'Événement, 18 mars 1940, p. 5.

MARGUERITE-SCOTT, peintre animalier

Dans l'art au Canada français, on compte peu d'artistes animaliers. Non pas que les annimaux soient tout à fait absents des ouvrages de nos peintres et de nos sculpteurs, Rappelons-nous les lapins blancs, gourmés et bourrus, dont le Frère Luc accompagnait habituellement son père saint François en extase (tableau à l'église de Tilly); la faune canadienne, dont les missionnaires ont pris tant bien que mal le signalement, à la lueur des chandelles de suif, dans les cabanes huronnes; les pélicans en relief des portes des tabernacles et les colombes voletant de l'abat-voix des chaires; les pigeons et les faisans dont nos ancêtres peuplaient leurs salons; les chiens efflanqués des portraits-groupes de Louis Dulongpré et les tourtes de Plamondon; les coffrets d'ébène d'Anatole Parthenais sur le couvercle desquels étaient couchés des dogues ou des chats, des panthères ou des crocodiles; les chevaux nerveux d'Henri Julien et les cabards de Charles Gill; les truites de Charles Huot et les caribous de nos artistes chasseurs; bref, les bêtes de toute taille qu'on s'amuse à peindre ou à sculpter, faute d'autres éléments décoratifs.

Nous avons eu pourtant des artistes qui ont vu dans les animaux des sujets d'étude et de beauté. Le premier, sauf erreur, est un Allemand Adfolf Vogt, dont on peut voir des Chevaux au Musée provincial; viennent ensuite des officiers, entr'autres Carlisle, les sculpteurs Philippe Hébert, Émile Brunet, Bernard Dagenais - le dernier surtout, qui commence brillamment sa carrière d'animalier... Il n'en reste pas moins que nous manifestons à l'égard des bêtes peu d'intérêt esthétique, comparativement aux peintres anglais ou américains.

L'exposition de Melle Marguerite Scott est donc une nouveauté - tout comme le serait une exposition de nus ou de caricatures. Sauf quelques têtes de clowns et des paysages, les pièces exposées sont des études plus ou moins poussées d'animaux; même les scènes foraines empruntent leurs éléments à la faune domestique.

Les bêtes sont à l'honneur et pour une raison toute naturelle; Melle Scott les aime presque sans partage.Ce n'est point par un attachement sentimental, romanesque, qu'elle est attirée vers les animaux (comme les gens qui adorent les chats ou les vieux messieurs du jockey qui idolâtrent les chevaux de course.) C'est par leur intérêt plastique, leur richesse plastique. Je n'en veux pour preuve que la variété de sa technique ou, mieux, le traitement des pelages.

Voyez les chevaux. Leur robe est presque toujours modelée; robe rouge ou noire, ocre ou blanche, lustrée, bariolée de soleil et des tons fauves des cuirs, souple dans ses dégradés, rebondissante de relief et de vie; robe hirsute des pouloins, tachetée et souillée, où la lumière s'accroche brutalement, où les tons salis s'affrontent et luttent avant la grande mue. La fourure des ours offre moins de ressources; l'artiste la modèle juste ce qu'il faut pour donner aux plantigrades leur allura à la fois souple et massive, naïve et bon-enfant. Quant aux chiens et aux chats, on perdrait top de temps à indiquer, d'ailleurs en pure perte, leurs robes compliquées et savantes, où les mèches chantournées, les opellations [illisible] et, les raies sombres jouent à l'effleurement de la lumière; on les simplifie avec grâce, mais sans les dépouiller de leur caractère d'arabesque.

Par contre, voyez les autres animaux; ceux dont les formes, qui ne nous sont pas tout à fait familières, suggèrent avec insistance la ligne expressive; ou ceux dont le pelage, sans être méprisable, est quelque peu ingrat.Melle Scott les traite comme ils doivent l'être: en animaux curieux, dont le galbe et les gestes sont en eux-mêmes si captivants, si piquants, que seuls quelques lignes qui ne se mêlent même pas, suffisent à les exprimer.C'est lè, je pense, que l'artiste peut se flatter de ses plus belles réussites. On lui sait gré de nous parler à mi-mot; de suggérer les formes au lieu de les dessiner; de faire surgir du papier des lignes sinueuses, charmantes, peu appuyées, des traits vibrants comme la peau des farouches bêtes; de faire concourir un soupçon de modelé à suggérer davantage les reliefs. La ligne n'est pas un contour; ni un cadre rigide où s'inscrirent les ilhouettes d'animaux ; ni un réseau laborieux de points de repère. Elle vit par elle-même, avec ses vides et ses pleins, sa densité propre, son indépendance. De là, laforce de son expression, son élégance, son charme.

À côté de ces dessins synthétiques, on voit des paysages et des scènes de rues, de marché et de cirque. Dans quelquesuns de ces ouvrages, les animaux reparaissent non plus dans les poses indolentes du repos, mais en pleine activité, comme de vaillants compagnons de l'homme. Je ne leur trouve pas autant de sobriété; peut-être à cause d'un vague souci de belle image, tout au moins de composition pittoresque. Ce sont pourtant d'honnêtes documents, de ceux dont on peut dire qu'ils sont irréfutables mais sympathiques.. Dans ces documents, Melle Scott sait unir la joliesse à la véracité (numéros 12,14, 35 et 65), la poésie à la justesse(numéros 21, 22, 25 et 39), la candeur à la fraîcheur des tons (numéros 7, 9 et 20).

Parmi les aquarelles il y en a deux qui étonnent par leur poésie un peu triste. L'une représente le Saint-Laurent devant Québec; masse d'eau de ton ocre à quoi se mêles les nuances pâlottes des glâces; au fond, l'île d'Orléans barre l'horizon, bande mauve qui se prolonge dans les nuages et fait valoir les jaunes salis de la mer; au premier plan, quelques taches de rouge étalent un peu cet atmosphère sans gaîté. L'autre, le Port de Québec par temps gris, fait penser aux paysages aquatiques de Marquet: presque pas de modelé; des tons plats qui font bon voisinage; des harmonies très fines et une certaine hardiesse dans le maniement des verts; une humidité froide qui monte de l'eau jaunâtre et brouille toutes choses...

En somme l'exposition des œuvres de mademoiselle Scott constitue un "salon" de fort bonne tenue. De plus, elle est un enseignement: simplification intelligente des formes, honnêteté de la technique.

 

 

web Robert DEROME

Gérard Morisset (1898-1970)