La « médaille » du baron de Fouencamps et l'iconographie de la Vierge à la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours

Notre-Dame de Montaigu — Vierge noire

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Le luthiste montréalais Sylvain Bergeron, en marge de la préparation d'un des prochains spectacles de La Nef dédié à la « Vierge noire », nous a communiqué une information à l'effet que des Vierges noires étaient conservées à Montréal. Il nous a prêté l'ouvrage de Begg 1996 qui dresse un inventaire des Vierges noires à travers le monde :

« CANADA. Montreal. In Jesuit Church, statue of N-D de Liesse; 1877; contains relics of old Black Virgin of Liesse (France). The oldest Church in the city, N-D de Bon Secours, contains a Santa Casa of Loretto (Begg 1996, p. 163, sources non indiquées). »

On a bel et bien apporté en 1877 à l'église des Jésuites à Montréal, le Gesu, une Notre-Dame de Liesse qui est documentée. Le site web de Notre-Dame de Liesse (diocèse de Soisson, Aines, Picardie), consacre une étude à ce culte et son expansion au Canada, plus particulièrement à Montréal, au Sanctuaire Notre-Dame de Liesse, Église du Gesu, 1202 rue Bleury. Ce site web tire ses sources de Girard 1976.

La Vierge noire originale de Liesse a été brûlée à la Révolution, puis remplacée par une réplique en ébène après la restauration de ce culte en 1802. La polychromie de celle de Montréal n'a plus rien d'une Vierge noire...! Par contre elle contiendrait des reliques de la Vierge noire originale (Begg 1996, p. 193 ; Girard 1976) ...!

Anonyme France, Notre-Dame de Liesse, XIXe siècle, matériau inconnu, dimensions inconnues, Montréal, Église du Gesu, Sanctuaire Notre-Dame de Liesse.

La chapelle aérienne de la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours a été construite en 1893-1894. Elle contenait une « Santa Casa » qui n'exite plus aujourd'hui mais qui est connue par des photographies. Elle ne semblait pas contenir de Vierge noire.

Autel de la chapelle aérienne, Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, fin XIXe siècle, photographie, 8 x 10 pouces, Musée Marguerite-Bourgeoys.
Autel de la chapelle aérienne, Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, milieu du XXe siècle, photographie, 4 x 6 pouces, Musée Marguerite-Bourgeoys.
Chapelle aérienne, Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, 2001, photographie numérique, Robert Derome.

Barbeau 1957 (p. 166-168) a répertorié une Santa Casa à l'église de la « Jeune-Lorette », localité renommée Village-des-Hurons, puis Wendake. Cette dévotion avait été introduite ici par le père Chaumonot qui l'avait rapporté directement de sa source à Loretto en Italie lors d'un pèlerinage qu'il y faisait en 1637. D'après les photos reproduites par Barbeau, la Vierge de la Jeune-Lorette a apparemment le visage blanc...! Par contre la Vierge originale de Loretto, brûlée en 1921, aurait été une Vierge noire (Begg 1996, p. 242) !

Anonyme, Intérieur de l'église de la Jeune-Lorette, détail de la Santa Casa de Lorette, vers 1870, photographie tirée de Traquair 1947, p. 183.
Anonyme, La Santa Casa de Lorette, détail de la tête de la Vierge à l'enfant, vers 1736, bois polychromé, Église de Wendake, photographie tirée de Barbeau 1957, p. 166-168.

Reste à savoir si la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours possède une Vierge noire ? La seule candidate à ce titre serait la statuette de Notre-Dame de Montaigu donnée par le baron de Fouencamps à Marguerite Bourgeoys, sculptée au début du XVIIe siècle à partir d'un morceau du chêne miraculeux de Montaigu-Scherpenheuvel. Bien que cette Vierge soit marron foncé, elle n'est pas noire.

Anonyme, Notre-Dame de Montaigu : Vierge miraculeuse à l'Enfant Jésus au globe, début du XVIIe siècle, sculptée dans un morceau du chêne miraculeux de Montaigu-Scherpenheuvel, « de la haulteur de six poulces ou environ », 6 pouces dans les anciennes unités de mesure françaises équivalent à 16,2 cm ou à 6 pouces et 3/8 en unités de mesures anglaises, Montréal, Chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours, photos Robert Derome.  

L'originale belge, bien qu'elle soit désignée par certains comme une Vierge noire, présente un visage polychromé aux carnations blanches et roses. Par contre Begg 1996 (p. 159) lui confère une « couleur argent-gris foncé » !? Les autorités locales ne la reconnaissent pas comme une Vierge noire. Mais est-ce son apparence originale ? Seule une expertise scientifique pourrait le révéler...! Ou peut-être une photo sans ses vêtements d'apparat...!

Anonyme, Notre-Dame de Montaigu, détail du visage, avant 1405-1415 selon la tradition, chêne, 30,5 cm, Belgique, Brabant-Hageland, Basilique de Montaigu-Scherpenheuvel-Zichem, arondissement de Leuven-Louvain.

Comment expliquer le fait que plusieurs des Vierges sculptées à partir du chêne miraculeux de Montaigu soient considérées comme des Vierges noires ?

L'ouvrage de Begg 1996 a compilé une liste raisonnée des Vierges noires à travers le monde. Il ne l'a pas fait dans une perspective d'historien de l'art, mais en tant qu'analyste jungien qui s'intéresse aux archétypes mythiques et mystiques dans l'évolution des mentalités et des idéologies. Il prévient d'ailleurs le lecteur qu'il n'a pas tenté de départir la réalité des faits historiques de la part inhérente des légendes associées aux Vierges noires (Preface).

Begg 1996 établit trois niveaux d'interprétation dans son inventaire :

1° VIERGE NOIRE RECONNUE : les Vierges noires reconnues et vénérées, même si la copie de l'image originale n'est plus noire ;

2° PROBABLEMENT UNE VIERGE NOIRE : lieux où des Vierges noires ont été vénérées, où un culte est probable mais non confirmé, et où l'image est une copie d'une Vierge noire qui existe encore ;

3° PEUT-ÊTRE UNE VIERGE NOIRE : sites associés au culte de la Vierge noire, mais sur lequel les informations sont douteuses ou incomplètes, où l'image est dans un musée ou une collection privée.

L'information concernant Montreal, qui est pour le moins douteuse, est compilée selon le 2° niveau d'interprétation : PROBABLEMENT UNE VIERGE NOIRE. Devons-nous étendre notre scepticisme scientifique face à cet inventaire de Begg 1996 aux informations concernant l'indentification de Vierges noires parmi celles de Notre-Dame de Montaigu ? Dans cette liste, Begg en identifie trois comme des VIERGES NOIRES RECONNUES. Ce sont les mêmes que celles qui sont ainsi identifiées sur ce site web :

Vincenzina Krymow and Johannes Roten, "Black Madonnas: Still Black and Still Venerated", The Mary Page, The Marian Library, International Marian Research Institute, Dayton, Ohio, July 1998.

Recognized as the world's largest and most comprehensive collection of printed materials on Mary the Marian Library aims to further study and research and to promote well-founded devotion to Mary. The library comprises a Marian collection -- theological treatises, books on shrines, sermon collections, anthologies of Marian poetry and other works -- and a complementary reference collection in scripture, patristics, systematic and spiritual theology, history, religious art and general bibliography.

Le directeur de cet institut et bibliothèque nous a gracieusement fait parvenir des images de ces trois Vierges avec le commentaire suivant :

« We have a series of Montaigu representations. They are all sumptuously dressed allowing only for hands and face to be visible. This comes as no surprise: the apparel (including change of color or sumptuousness according to liturgical seasons) is part and parcel of this type of image. The statue would never be publicly presented without the vestment! Besides, the image [of the Montreal Virgin] according to my observation is not a black madonna. None of the images [of Notre-Dame de Montaigu] in our possession has a black face. Pallemaerts 1936-1937 has the information on Arbois, Jussey and Ornans. At first glance, none seems to be black (collaboration du Rev. Johann G. ROTEN). »

Âme de bois et vêtements de Notre-Dame de Lorette (Porter 1986, p. 263).

Anonyme, Notre-Dame de Jussey, 1613, sculptée dans un morceau du chêne miraculeux de Montaigu-Scherpenheuvel, 7 cm, France, Église de Jussey (Haute Saône).
Anonyme, Notre-Dame des Malades, 1613, sculptée dans un morceau du chêne miraculeux de Montaigu-Scherpenheuvel, 13 cm, France, Ornans (Doubs), Église de Saint-Laurent.
Anonyme, Notre-Dame de l'Ermitage, avant 1700, sculptée dans un morceau du chêne miraculeux de Montaigu-Scherpenheuvel, dimensions inconnues, France, Arbois (Jura) au sommet de la colline de l'Ermitage à l'extérieur de la ville.
pour des informations plus détaillées sur ces sculptures
voir la diffusion de la dévotion à Notre-Dame de Montaigu

Nous n'avons pas de photographies pour discuter les autres versions des Vierges de Montaigu identifiées par Begg 1996 comme PROBABLEMENT ou PEUT-ÊTRE des Vierges noires. Le dossier reste donc ouvert à savoir si ces Vierges, incluant celle de Montréal qui est marron foncé, sont ou ne sont pas des Vierges noires...!? Par contre, on attribue à plusieurs de ces Vierges l'insigne honneur d'avoir accompli des miracles. Dans ces deux instances, il n'est pas évident de départager la réalité historique des légendes et des mythes.

Par ailleurs, plusieurs des dévots liés à la Compagnie du Saint-Sacrement et à la Société de Notre-Dame devaient certainement connaître la plus célèbre des Vierges noires de Paris, Notre-Dame de Bonne Délivrance. Cette dévotion aurait-elle des liens avec celle de Notre-Dame de Bon Secours ?

Cette statue gothique se trouvait autrefois au coeur du Quartier Latin sur la montagne Sainte-Geneviève dans l'église Saint-Étienne-des-Grès. La Révolution amena la fermeture et la démolition de cette église, puis la vente de son mobilier le 16 mai 1791. Cette église était localisée autrefois sur l'emplacement actuel de la rue Soufflot, en face du Panthéon, tout près de l'endroit où résidait Paul Chomedey de Maisonneuve, le premier gouverneur de Montréal, à la fin de sa vie entre 1665 et 1676. Madame de Carignan, qui avait acquis cette Vierge, la céda en 1806 à la Congrégation des soeurs de Saint-Thomas.

L'iconographie de cette Vierge noire se rapproche à plusieurs égards de la Notre-Dame de Montaigu donnée par le baron de Fouencamps. La confrérie royale de la charité de Notre-Dame-de-Bonne-Délivrance avait été créée en 1533 par le chanoine Jean Olivier. Au XVIIe siècle cette confrérie comptait jusqu'à 12 000 membres (Cassagnes-Brouquet 1990, p. 116-117). On peut donc à juste titre se demander combien de membres de la Société de Notre-Dame faisaient partie de cette confrérie, peut-être même Marguerite-Bourgeoys ?

Anonyme, Vierge noire de Paris, Notre-Dame de Bonne Délivrance, XIVe siècle, calcaire, polychromie plus récente, dimensions inconnues, Neuilly, Congrégation des Soeurs de Saint-Thomas de Villeneuve, depuis 1806 (Cassagnes-Brouquet 1990, p. 116-117).
  

web Robert DEROME

La « médaille » du baron de Fouencamps
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à la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours