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En présence des anges
Art religieux et dévotions populaires

©Professeur Robert Derome
Département d'histoire de l'art, Université du Québec à Montréal.


Avec ou sans ailes ?

Le tableau de Marc Antigna représente les anges sans ailes, donc aptères, qui accompagnent sainte Cécile. Ce qui aujourd'hui nous étonne, était usuel aux temps des premiers chrétiens. À leur côté, les anges porte-luminaires affichent des ailes typiques qui illustrent si bien leur caractère de célestes messagers au service de Dieu et de l'humanité.


3. Montréal, Marc Antigna (1869-1941), Sainte Cécile accompagnée de deux anges aptères, vers 1890-1903.

Huile sur toile. 81 x 116 cm. Signature en haut à droite « Marc Antigna ». Collection des RHSJM, 1986.x.186.

Marc Antigna est né à Paris en 1869. Marié à la fille de J.-D. Gauthier de Montréal, il séjourne ici à compter de 1890. Il participe aux expositions de l'Art Association of Montreal (devenu le Musée des beaux-arts de Montréal) de 1901 à 1903. Retourné dans son pays natal, il expose au Salon des Indépendants de Paris de 1903 à 1910. Son style, au caractère décoratif et artisanal, s'apparente au préraphaëlisme et au Arts and Craft.

Vierge martyre, la plus populaire des martyres romaines, sainte Cécile est connue par un récit légendaire de la fin du Ve siècle. Elle est la patronne des musiciens (chanteurs et organistes), des facteurs d'orgues et des luthiers. Ce patronage tardif, qui n'apparaît qu'au XVe siècle, repose sur plusieurs contresens dans la traduction du latin au français du récit de son mariage. Ici les couleurs automnales des végétaux réfèrent au monde terreste. Le côté céleste est marqué par l'auréole, la blancheur des vêtements et la beauté idéalisée des personnages.

Au Québec son culte était tellement populaire à la fin du XIXe siècle que le sculpteur Louis Jobin sculpta son effigie pour un char allégorique. Les Hospitalières de l'Hôtel-Dieu lui dédièrent un vitrail à la tribune de l'orgue de leur chapelle. Elles conservent également plusieurs gravures qui illustrent la sainte jouant de l'orgue, et qui étaient destinées à décorer des chambres des religieuses qui vouaient une dévotion particulière à cette sainte.


4. Montréal, Atelier T. Carli (1867-1923), Paire d'anges porte-luminaires (l'un aux grappes de raisins, l'autre avec une gerbe de blé), vers 1900.

Plâtre polychrome. H. 151 cm ; l. 42,5 cm. Inscription sur la base à l'endos « 579 [?] ». Collection des RHSJM, 1983.x.420.1-2.

Ces anges auraient été achetés en 1900 au prix de 10$, ce qui représentait une somme très importante à cette époque. À l'origine ils servaient de porte-bannières ; l'un portant l'inscription « gloire » et l'autre « honneur ». On les aperçoit sur une photographie du choeur de la chapelle prise en 1904. Ces anges ont une fonction à la fois utilitaire et décorative. Leur iconographie réfère à la célébration eucharistique se déroulant sur le maître-autel, soit le corps du Christ (le pain fait à partir du blé) et son sang (le vin fait à partir du raisin).

À la messe, on allume toujours des bougies en souvenir de la Passion, mais aussi parce que le feu symbolise la chaleur et l'intensité de la présence de la lumière divine. Les anges céroféraires, porteurs de cierges, se chargèrent bientôt de cette tâche. Avec la venue de l'électrification au tournant du XXe siècle, la lumière divine fut désormais apportée par des anges porte-luminaires dotés de cette nouvelle technologie. Le XXIe siècle utilisera peut-être des anges au laser, une forme encore plus pure de lumière...!

La sculpture sur plâtre devint populaire à compter du milieu du XIXe siècle. Elle fut pratiquée à Montréal par de nombreux artisans d'origine italienne. Outre les douze membres de la famille Carli et les quatre de la famille Petrucci, citons Hector Vacca, Carlo Catelli, G. Baccerini, A. Gionnati, Michele Rigali et la Compagnie Statuaire Daprato. Plusieurs de ces oeuvres en plâtre ne sont pas signées, ce qui rend difficile l'attribution et la datation précise puisque les mêmes modèles furent transmis d'une génération à l'autre, d'un atelier à l'autre.

Des anges du même modèle, signés « T. CARLI ÉDITEUR MONTRÉAL » ont été répertoriés à l'église du Très-Saint-Rédempteur à Montréal.

Robert Derome.

 

L'iconographie de ces anges est très particulière, car l'un porte une grappe de raisins dans la main droite et l'autre une gerbe de blé dans la main gauche, alors que la deuxième main soutient le candélabre. Habituellement, les candélabres sont soutenus des deux mains par ce type d'anges. Ces attributs font référence à la célébration eucharistique se déroulant sur le maître-autel, c'est-à-dire le corps et le sang du Christ.

Ces anges porte-candélabres en plâtre ont été achetés au prix de 10,00 $ en 1900 . Une photographie de la chapelle de l'Hôtel-Dieu prise, en 1904, lors d'une cérémonie de la Fête-Dieu, nous permet de constater que ces anges porte-candélabres tenaient lieu de porte-bannières pour la circonstance. Une de ces bannières portait l'inscription «  gloire  » et l'autre « honneur ». En effet, lors de cérémonies liturgiques exceptionnelles, comme la messe du premier vendredi du mois, la Fête-Dieu ou les Quarante heures, l'autel faisait l'objet de décoration spéciale.

Les registres des Hospitalières ne mentionnent pas s'ils ont été achetés à l'atelier T. Carli, mais des recherches effectuées à partir de l'Inventaire des biens culturels, du Ministère des affaires culturelles, datant des années soixante-dix, nous permettent de retracer des anges identiques appartenant à la fabrique Sainte-Marguerite-de-Blairfindie à l'Acadie, à l'Église Saint-Joseph à Huntingdon, à la fabrique Saint-Vincent-de-Paul et à l'Église du Très-Saint-Rédempteur, à Montréal.

À l'arrière des socles des anges de l'Église du Très-Saint-Rédempteur est gravée l'inscription T. CARLI ÉDITEUR MONTRÉAL  ; sur le socle de l'ange à la grappe de raisins s'ajoute le chiffre 129 après T. CARLI ce qui correspond probablement au numéro de catalogue de l'atelier. De plus, sur les deux socles du côté gauche, nous pouvons lire l'inscription DESMARAIS & ROBITAILLE LTÉE. MONTRÉAL. Cette inscription est le nom d'un commerce d'objets religieux fondé en 1909 et qui existe toujours rue Notre-Dame, à Montréal.

Dans le catalogue annuel Ornements d'Église, publié par Desmarais & Robitaille, en novembre 1929, nous retrouvons un ange porte-candélabres identique portant le numéro 298 et qui se vend 68 $ la paire (hauteur 36 pouces) et 138 $ la paire (hauteur 54 pouces) . Il est pertinent de conclure que les anges des Hospitalières font partie de cette série d'anges moulés chez T. Carli. Il est probable qu'à partir de 1909, Desmarais & Robitaille était dépositaire de statues religieuses fabriquées chez T. Carli puisqu'une liste de prix des statues de T. Carli a été retrouvée à l'intérieur des catalogues de ventes de ce magasin .

Selon les catalogues de vente, les clients pouvaient commander les couleurs de leur choix : « en composition de plâtre, bien décorés, blanc, crème et or ou autres couleurs au choix ». De plus, les chandeliers et les ailes étaient vendus séparément permettant ainsi à chaque acheteur de faire les combinaisons qu'il désirait.

Danielle Lord

Bibliographie. Archives des Hospitalières. Archives Desmarais & Robitaille.


Page créée le 4 décembre1997.

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