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 La québécitude dans l'art de l'orfèvrerie,
Importations, influences et production locale

© Robert Derome, professeur, Université du Québec à Montréal

Ce résumé a été réalisé à l'occasion de la conférence prononcée dans le cadre du
Forum de l'IREP sur l'étude comparée des imaginaires collectifs
ayant pour thème La canadianisation aux XVIIe et XVIIIe siècles
Tenu au Salon des professeurs de l'Université McGill le vendredi 5 décembre 1997.
Édition html publiée le 3 décembre 1997.


Au XVIIe siècle toute l'orfèvrerie était importée de France. Aucun artisan local ne pouvait réparer les objets brisés ; on les retournait donc en France. La canadianisation commence dans le dernier quart du XVIIe siècle où des artisans des métaux commencent à réparer des pièces d'orfèvrerie.

Le premier orfèvre arrive en 1700. Le métier se transmet par l'apprentissage en s'adaptant aux réalités locales moins réglementées. Les réparations se font ici ; on y reconnaît d'ailleurs la main locale moins sophistiquée dans le traitement et le décor. Les traditions de plusieurs régions de la France se retrouvent chez les orfèvres immigrés. Mais certaines grandes personnalités insufflent des caractéristiques tout à fait originales à leur oeuvre, par exemple Paul Lambert dit Saint-Paul. Les inventaires après décès notent une importante différence de prix entre l'orfèvrerie du pays et celle plus onéreuse venue de France.

Le troc des fourrures avec les Amérindiens développe une production orginale, celle de l'orfèvrerie de traite. Un autre aspect inusité de la canadianisation de l'orfèvrerie sous le Régime français est l'incidence de la pratique de cet art sur la monnaie. En l'absence de sources d'approvisionnement locales en métal précieux, on a fondu de larges quantités de pièces malgré les lois qui l'interdisaient.

La Cession amène de nombreux changements. L'Angleterre protège les intérêts économiques de ses artisans dont les marchandises sont vendues par un réseau de marchands. Bientôt des orfèvres d'origine britannique immigrent. Robert Cruickshank apporte le style néo-classique, mais se canadianise en copiant les vases liturgiques importés de France sous l'Ancien régime. S'ensuivent différents procédés de métissages entre les formes, les fonctions et les décors des objets, de curieux passages entre les symboliques civiles, religieuses et commerciales. Pour l'orfèvrerie de traite, Cruickshank innove en créant des modèles inspirés de l'art populaire de son Écosse natale.

Les importations françaises d'objets religieux sont plus rares à la fin du XVIIIe siècle. On envoye donc Laurent Amiot se perfectionner un France. Il suivait les traces de François Baillairgé qui y avait été envoyé entre 1778 et 1781 pour y apprendre le dessin, la peinture et la sculpture. Ces artisans participent aux efforts de reconstruction d'après guerre et incarnent les efforts de rester français dans un pays sous allégeance britannique.

Ignace-François Delezenne illustre parfaitement le passage entre les deux régimes. Ses modèles, uniques et originaux, circulent parmi les nouveaux venus britanniques qui les copient. Il transmet à son appenti François Ranvoyzé le goût pour les anciens objets français. Ranvoyzé a une énorme production où on retrouve tous les métissages entres les productions anciennes françaises, les nouveaux modèles britanniques et américains circulant au pays. Il mêle les anciens styles Louis XIV au néo-rococo importé d'Angleterre, qui lui-même imitait le style Louis XV...! Même Laurent Amiot, pourtant formé en France, n'échappe pas à l'influence britannique.

Delezenne, Amiot et Ranvoyzé comptent parmi les plus grands orfèvres québécois. Ils ont su marquer leur identité en insufflant leur orginalité à travers leurs oeuvres. Nous sommes ainsi d'emblée entrés dans une phase de canadianisation hautement marquée par son originalité et caractérisée par son ouverture sur le monde. Malgré le réseau international d'influences liées à l'emprise de l'empire britannique, l'oeuvre des grands artisans québécois ne peut pas être confondue à cause de sa saveur et de son originalité. Ainsi en va-t-il de la production de Pierre Huguet dit Latour et de son talentueux apprenti, Salomon Marion. Ce dernier conjuge admirablement les sources françaises et anglaises, en créant un art d'une grande qualité qui en fait l'un des grands esthètes de notre histoire. Cette époque traditionnelle prendra fin avec l'arrivée des procédés industriels vers 1840.


créé le 3 décembre 1997

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