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« François Vachon de Belmont reçut une "éducation raffinée, tout à fait grand siècle". Il apprit plusieurs langues, s'adonna au dessin et à la musique, en plus d'obtenir un baccalauréat en théologie de la Sorbonne. Passa-t-il une partie de son adolescence à la cour ? On affirme en tout cas qu'il fut page de la reine avant d'occuper un poste dans la magistrature du Dauphiné (Mathieu 1969). » Son père, Ennemond de Vachon, était seigneur de Belmont et de Crapanoz ainsi que conseiller au parlement de Grenoble. Sa mère, Honorade Prunier, était la fille du président du parlement. Son frère aîné, Jean-François, succéda à son père au parlement et lui laissa une rente annuelle de 1 200# en 1707. François était entré à Saint-Sulpice à l'âge de 27 ans, le 18 octobre 1672. |
Diacre, il arrive en Nouvelle-France en 1680 et est ordonné prêtre l'année suivante. Il passe une grande partie de sa vie à s'occuper des amérindiens mis en réserve au fort de la montagne, au Sault-au-Récollet, puis au lac des Deux-Montagnes. En 1701 il succède à Dollier de Casson à titre de supérieur des sulpiciens en Nouvelle-France et comme lui s'intéresse aux travaux historiques par son Histoire du Canada. Il consacre sa fortune et ses multiples talents aux plans et à la construction du séminaire de la rue Notre-Dame, du fort de la Montagne, d'un moulin, de la façade de l'église Notre-Dame, de la chapelle de la congrégation des hommes (Mathieu 1969).
Le nom « Belmont » apparaît au premier feuillet d'un charmant carnet de dessins à l'encre conservé dans les Archives des sulpiciens à Montréal, intitulé « Divers peizages figures et fortifications dessinees a la main en lanée 1675 ». Ces magnifiques dessins illustrent l'art civil du XVIIe siècle tel que pratiqué par les lettrés de cette époque et constituent de magnifiques pendants à l'art du luth par leur caractère intimiste et sophistiqué.
La correspondance des supérieurs des sulpiciens conservée à Paris nous procure d'intéressantes lettres de M. Tronson à M. de Belmont qui documentent le contexte de sa pratique du luth à Montréal (collaboration d'Élisabeth Gallat-Morin). |
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4 juin 1686« J'ai reçu votre lettre du 24 septembre 1685. Elle est venue avec les autres dans le petit coffret qui ne nous a été rendu qu'au mois de février. C'est un peu tard, et les affaires n'en vont pas mieux.
Vous faites bien de retenir le plus long temps que vous pouvez les grands garçons de votre école, et les manières différentes dont vous proposez de les occuper ne peuvent que leur faire du bien, et elles me paroissent toutes très bonnes. Je ne fais pas même de difficulté que, pour l'accomplissement de votre musique, vous ne vous serviez du luth que la Providence de Dieu vous a fait trouver à Montréal. Je sais l'inclination que vous y avez eue autrefois : mais elle sera assez rectifiée pour ne vous point faire de tort, quand vous ne jouerez que dans l'église, et que vous ne vous en servirez que comme d'un instrument, non pas pour exciter les passions, mais pour porter à la dévotion.
Il ne faut pas s'attendre que vos sauvages soient des saints. Ainsi, je ne m'étonne pas que quelques-uns se débauchent, et que quelques autres vous fassent de la peine. C'est ce que l'on voit arriver partout. Il ne faut donc pas que cela vous décourage et vous abatte. Il y aura toujours de l'ivraie mêlée parmi le bon grain. Ce sont des sujets de mortification qu'il faut porter avec patience, et adorer en silence et en paix les jugemens de Dieu sur ces misérables, après y avoir fait ce qu'on a pu.
Quelques sollicitations que l'on fasse pour attirer ailleurs vos sauvages de la Montagne, gardez toujours une grande modération. C'est l'ouvrage de Dieu, qu'il saura bien soutenir, et rien ne le maintiendra mieux, de votre part, que la douceur et la charité. Surtout, ne vous faites point d'affaires avec les autres missionnaires. Quelques personnes qu'ils pourront attirer au Sault[-au-Récollet] ne feront pas un si grand tort à votre mission ; mais ce ne seroit lui en faire un notable que de vous brouiller avec eux, et les suites en seroient à craindre.
J'aurois été bien aise de voir le plan de votre village et de votre fort à quatre bastions autour de la chapelle. [...] »
(Collaboration de sur Nicole Bussières rhsj, 22 août 2000, pour la photocopie de Bertrand 1904, tome 2, p. 281-282 et 289, « Lettre de L. Tronson, 4 juin 1686 en réponse à celle de Monsieur de Belmont du 24 septembre 1685 ». Collaboration d'Élisabeth Gallat-Morin pour la référence à Amtmann 1976, p. 96, qui donne une transcription partielle en vieux français différant quelque peu de celle-ci, non datée, référant à la Correspondance de M. Tronson aux Messieurs du Séminaire de Montréal, tome XIII.)
Cette lettre démontre que Vachon de Belmont (1645-1732) a trouvé un luth à Montréal vers 1685 ou avant, alors qu'il est âgé d'environ 40 ans, en tout cas après son arrivée en Nouvelle-France en 1680 suivie de son ordination l'année suivante. De toute évidence, il avait appris le luth bien avant, certainement lorsqu'il était en France dans des cadres civils, mondains et festifs, tendances incompatibles selon Tronson avec son activité cléricale et missionnaire. Comme le passage concernant le luth fait partie du même paragraphe où Tronson parle de l'enseignement aux « garçons de votre école », pourrait-on en conclure que Vachon leur enseignait le luth comme l'une des « manières différentes dont vous proposez de les occuper », ou bien l'utilisait-il seulement comme accompagnement ? Tronson recommande bien à Vachon de ne pas utiliser le luth « pour exciter les passions, mais pour porter à la dévotion » tant à l'église que pour ses « sauvages » au Fort et à la Mission de la Montagne. Recommandations qu'il réitère plusieurs années plus tard.
1692. « Je ne desapprouve nullement ni l'inclination que vous avez pour la musique ni le desir que vous avez presentement de vous y exercer [...] Cet exercice pourra servir quelque fois a adoucir vos chagrins et a chasser les mauvaises humeurs quexcitent en vous les dereglemens des sauvages et a vous donner des distractions qui ne peuvent que vous être salutaires si elles font le bon effet que vous me marquez, sans compter l'avantage que vous esperez qu'en tirera l'Eglise ». (Collaboration d'Élisabeth Gallat-Morin pour la transcription de cet extrait de la « Lettre de M. Tronson à M. de Belmont », 1692, Paris, Archives de Saint-Sulpice, Correspondance des supérieurs.)1693. « Continuez a dissiper vos tentations et vos ennuys et a divertir vos sauvages et vos frères en iouant de vostre luth. » (Collaboration d'Élisabeth Gallat-Morin pour la transcription de de cet extrait de la « Lettre de M. Tronson à M. de Belmont », 1693, Paris, Archives de Saint-Sulpice, Correspondance des supérieurs.)
« Pour ce qui est de Belmont enseignant le luth aux petits Amérindiens, du moins à un sujet particulièrement doué, cela est tout à fait possible, comme l'Ursuline la Mère Saint-Joseph qui a enseigné la viole à la petite Agnès. Mais, pratique plus courante, il les faisait chanter des cantiques au son de son luth (collaboration d'Élisabeth Gallat-Morin le 27 août 2000). »
Les chapelles et églises de Montréal dans lesquelles Vachon de Belmont a pu jouer du luth entre 1685 et 1693 sont les suivantes (Gowans 1955, p. 99-124) :
- la seconde chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours érigée en pierre par Marguerite Bourgeoys en 1675, incendiée en 1754 ;- la première chapelle en bois du Fort des sulpiciens érigée vers 1680 au pied de la Côte-des-Neiges sur l'emplacement actuel du Grand séminaire de Montréal, incendiée en 1694 et remplacée par celle en pierre érigée par Vachon de Belmont vers 1695 dont Lapotherie donne la description suivante : « de 50 pieds de long sur 25 de large, dont les murailles sont revêtus d'un lambris sur lequel il y a quelques ornements, comme d'urnes, de niches, de pilastres et de piédestaux, en façon de marbre rouge veiné de blanc » ;
Francis Back,
Reconstitution de la Mission de la Montagne
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- la troisième église Notre-Dame dessinée par Dollier de Casson et construite par François Bailly dit Lafleur en 1672-1678 ;- la chapelle du second l'Hôtel-Dieu constuite en 1686 et incendiée en 1695 ;
- la seconde chapelle du Sault-au-Récollet érigée en 1691 (pour remplacer la chapelle des jésuites de 1684) où Vachon officie à compter de 1692 et qui sera démolie en 1749.
Certaines interprétations, relevant du roman historique, ont prétendu que Vachon de Belmont aurait joué sur le luth laissé par Maisonneuve à Montréal en 1665 qui comptait y revenir...!? Ce qui serait fort étonnant étant donné le contexte du départ de Chomedey, le coût de l'instrument et l'attachement de Maisonneuve à sa musique. Notons également qu'une vingtaine d'années séparent le départ de Maisonneuve de Montréal et les documents attestant que Vachon trouve un luth à Montréal. Plusieurs autres personnes auraient pu apporter ou envoyer des luths durant ces deux décennies...! Il n'y a là rien d'étonnant, puisque le luth était l'instrument de prédilection à cette époque et qu'il se transporte beaucoup plus facilement qu'un clavecin ou des orgues.
Par ailleurs, le luthiste Michel Cardin atteste que le luth est un instrument très fragile qui se détériore très rapidement, en l'espace de cinq années, s'il n'est pas entretenu. Michel Cardin atteste également que l'instrument était fort répandu à la fin du XVIIe siècle, si bien que dans la ville de Prague un témoin prétend qu'on aurait pu construire un toit au-dessus de la ville avec tous les luths qui s'y trouvaient...!!! Dans ce contexte, il n'est pas étonnant de trouver plusieurs luths à Montréal au XVIIe siècle, soit ceux de Maisonneuve, de Bizard et de Vachon de Belmont, et peut-être d'autres dont les traces restent à être repérées.
Les cahiers de musique de Vachon de Belmont n'ont pas encore été retrouvés, ni son luth. Espérons que la retructuration et les inventaires actuellement menés dans les Archives des sulpiciens de Montréal puissent éventuellement nous révéler cette documentation.
« Si on parle de musique de luth, c'est exact. Mais on a d'autres de ses livres de musique à la Bibliothèque nationale du Québec : Lully, les 4 recueils reliés ensemble ; Noël/Lebègue, Bacilly et DuMont, ainsi que l'Institution harmonique (je crois) de Salomon de Caus (collaboration d'Élisabeth Gallat-Morin le 27 août 2000 ; pour plus de détails sur cette question voir Gallat-Morin 1998.07 et Gallat-Morin 1993). »
« Par ailleurs, on retrouve à quelques reprises la mention du luth dans les dictionnaires de langues amérindiennes constitués par les missionnaires ce qui laisse croire que Vachon de Belmont n'était pas le seul à s'en servir. Par contre, plusieurs livres de musique imprimés ayant appartenus à ces missionnaires nous sont parvenus dont des airs spirituels de Du Mont et plusieurs livres d'opera de Lully. Voir Gallat-Morin 1981 à ce sujet (collaboration de Paul-André Dubois). »« Dans la section "Par les missionnaires" : il est question de plusieurs livres de musique imprimés ayant appartenu à ces missionnaires. C'est peut-être un peu vague. Ces livres en particulier ont appartenu à François Vachon de Belmont ; le livre d'airs de DuMont relié avec trois autres recueils, est ensuite passé à Jean Girard (collaboration d'Élisabeth Gallat-Morin le 27 août 2000 ; pour plus de détails sur cette question voir Gallat-Morin 1998.07 et Gallat-Morin 1993). »
La pratique du luth par Jean de Poutrincourt (1557-1615) « A propos de l'éducation de Jean de Poutrincourt, sa mère Jeanne de Salazar « lui donna des maîtres de musique, de telle sorte que Jean, adolescent, se servait agrablement du luth et du manicordion ». (Adrien Huguet, « Jean de Poutrincourt, fondateur de Port-Royal en Acadie, vice-roi du Canada, 1557-1615, campagnes, voyages et aventures d'un colonisateur sous Henri IV », Mémoires de la Société des antiquaires de Picardie, tome XLIV, Paris, Picard, 1932, p. 43. Collaboration de Paul-André Dubois). »