La « médaille » du baron de Fouencamps et l'iconographie de la Vierge à la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours

1771 plaque gravée par l'orfèvre Ignace-François Delezenne

Index

 

 

Ignace-François Delezenne (vers 1717 - 1790), Plaque de fondation de la Chapelle-Notre-Dame-de-Bon-Secours, 1771, plomb gravé, 30 x 23,5 cm, Montréal, Musée Marguerite-Bourgeoys, Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours.
 

Transcription de l'inscription

D. O. M.
[Image gravée d'une Vierge à l'enfant dans un tondo]
Sub Inuocatione
Beatæ Mariæ auxiliatricis
Sub Titulo assumptionis

[Traduction : Deo Optimo Maximo À Dieu très grand et très bon Sous l'Invocation de la Bienheureuse Marie auxiliatrice Sous l'Invocation de l'assomption]

Le 30 juin 1771 Cette Premiere pierre a ete posee par Messire
Etienne Montgolfier Grand vicaire de Mgr Lévesque de
Quebec Superieur [des ecclésiastiques] du Seminaire de Montreal Seigneur de
Cette isle et Cure de Cette paroisse.
faisant les fonctions [curi]ales Messire Louis Jollivet
Licentier En Theologie d[e la] faculté de Paris. etant pour lors
marguillier En charge [Mrs I]gnace Bo[u]rassa La Ronde.
et Mrs Jean Baptiste adhemar et Piere Gamelin marguilliers.
nommes

Gravé par [...] f. Delezenne Md orfevre de quebec

 

 
Thomas Mahon (Chartres, Eure-et-Loire, XVIIe siècle), Reliquaire de la tunique de la Vierge, Chartres, 1679, argent, 24,1 x 17,1 cm, Wendake, Église Notre-Dame-de-Lorette.
Détail de la Vierge à l'enfant assise gravée sur la plaque de fondation par Delezenne.

Le reliquaire en argent de Thomas Mahon est gravé selon les mêmes techniques que la gravure, tout comme la plaque de cuivre illustrant La Vierge-Mère à l'Enfant Jésus emmailloté, ou la Vierge à l'enfant assise gravée par Delezenne sur la plaque de fondation de 1771. Cette gravure se situe dans la vie de Delezenne à l'époque où il entame une toute nouvelle partie sa carrière, entre autres par le calice et le ciboire de Saint-Nicolas qui permettent de relier son oeuvre à celle de son apprenti François Ranvoyzé. (Derome 1974a, Derome 1976/06, Derome 1980b, Derome 1987c)

La réalisation de Delezenne diffère cependant par plusieurs détails. La Vierge est inversée par rapport au Reliquaire de Mahon à Wendake. La posture est semblable, mais la pose est plus rapprochée éliminant les jambes. L'enfant Jésus se tient debout au lieu d'avoir les jambes repliées. Delezenne a peut-être utilisé un autre modèle iconographique que celui-ci. Il aurait pu aussi réaliser une « impression » à partir du reliquaire, ce qui expliquerait l'inversion de l'image. Mais il est plus probable qu'il ait adapté une autre image qu'il connaissait ou avait vu. La composition de Guido Reni gravée par Nicolas de Poilly présente davantage de similarités si on en exclut les anges.

François de Poilly (1623-1696) d'après Guido Reni, édité par Mariette, La Vierge et l'Enfant Jésus, gravure, 25,1 x 20,6 cm, en bas au centre « O homo ne auertas oculos a fulgore huius Syderis, si non vis obruj procellis. S. Bernardus », à gauche « G[uido] R[eni] inuent. », à droite « Mariette excud. », (Lothe 1994, p. 118-119, n° 173),

Aujourd'hui, la Chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours est toujours consacrée à l'Assomption. Cette plaque de 1771 utilise deux vocables de la Vierge en leur attribuant une relation de synonymie : « Bienheureuse Marie auxiliatrice sous l'invocation de l'Assomption ». Or l'image gravée par Delezenne ne présente ni l'Assomption, ni Marie Auxiliatrice, mais une Vierge à l'enfant assise, ce qui est très loin des vocables utilisés dans le texte.

Les Chemises de Chartres étaient portées par les dévots comme des amulettes. Celle de Thomas Mahon réfère par sa forme et son inscription à La Sainte Chemise donnée à la basilique de Chartres par Charles le Chauve (823-877). La popularité de cette relique date de 911. Rollon (v.860-v.933) assiégeait alors Chartres. L'évêque Gantelme le mit en déroute en brandissant au bout d'une perche la Sainte Chemise (Réau 1955-1959, tome second, vol. II, p. 61).

Le très renommé sanctuaire de Chartres conserve la trace d'une profonde influence celtique. Les Gaulois y rendaient un culte à la Virgo paritura, la Vierge devant enfanter, tel qu'attesté par César dans la Guerre des Gaules. Cette dévotion s'accompagnait d'un puits miraculeux, « le puits des forts ». Une gravure de 1609 illustre la Virgini paritura sur « L'AVTEL DES DRUIDES », à proximité du « PVITZ DES SAINCTZ FORTZ ».

L'iconographie du reliquaire de Thomas Mahon et de la plaque de Delezenne puisent, si l'on peut dire, aux mêmes sources, soit la Sedes Sapientiae de l'époque romane. Mais à Chartres on insistait sur le fait que ce sanctuaire remontait à la plus haute antiquité. La Vieille chronique (un manuscrit de 1207 conservé à Chartres) raconte la légende de la création de la Virgo paritura : « un prince chartrain aurait fait sculpter, avant même la naissance de Marie, une statue de Vierge portant un Enfant sur ses genoux qui était vénérée en un lieu secret à côté des idoles païennes. » Ainsi la déesse gauloise Bélisama devint-elle la Virgo paritura, puis la mère de Dieu (Cassagnes-Brouquet 1990, p. 142-145)  !

[L. Gautier sculpt], Virgo paritura, gravure tirée de Sébastien Rouillard, Parthenie, 1609, Archives de l'Eure-et-Loir.

Par ailleurs, on peut également rattacher cette iconographie aux sulpiciens et à leur fondateur Jean-Jacques Olier. Ce qui n'est pas étonnant, car les sulpiciens eurent et ont toujours partie prenante dans la propriété et la célébration du culte à la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours. La gravure de Delezenne se rapproche beaucoup de celle de La Vierge protégeant le séminaire de Saint-Sulpice sur une médaille frappée vers 1650.

Anonyme, La Vierge protégeant le séminaire de Saint-Sulpice (détail), vers 1650, médaille, tirée de Vie de M. Olier, 1853, t. II, p. 243 (Simard 1976, fig. 60).
Anonyme, Reine du clergé (détail), gravure en page titre de Jean-Jacques Olier, Explication des Cérémonies de la Grande Messe de Paroisse selon l'Usage romain, Paris, 1661 (Simard 1976, fig. 61).
Anonyme, Reine du clergé (détail), gravure en page titre de Jean-Jacques Olier, La journée chrétienne, Paris, 1662 (Simard 1976, fig. 62).

 

 AUTRE SOURCE D'ARCHIVES QUI DONNE UNE VARIANTE DE LA TRANSCRIPTION DU TEXTE DE LA PLAQUE ORIGINALE AINSI QUE PLUSIEURS INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES
(Lapalice 1930)

A la page 235, du même régistre, monsieur Louis Jollivet, douzième curé de N.-D., a inscrit le rapport suivant, juste quatre-vingy seize ans après le précédant :

Le vingt neuf Juin mil sept cent soixante onze en consequence des déliberations precedentes Mrs Les Ecclesiastiques du Seminaire de cette ville Seigneurs et proprietaires de cette isle ayant cédé gratuitement Tout le Terrain appt auxdits Seigneurs scitué entre la maison de Mr Deschambault et celle de feu Mr Montigny ou est aujourd'huy scituée la maison dite la friponne sans autre garentie de la part desdits Seigneurs que le Terrain non concedé, Mre Louis Jollivet pretre faisant les fonctions curiales en cette paroisse a planté la Croix au Lieu designé pour la batisse de la nouvelle Eglise et le lendemain Dimanche Trente Juin de la meme année a l'issue des Vepres on a fait une procession solennelle au meme lieu, ou apres avoir replacé la première pierre de l'ancienne église avec la plaque de plomb et la medaille de la Ste. Vierge qu'on avait Trouvée en Creusant les fondements, Mr Etienne de Montgolfier grand Vicaire de Mgr Levesque de Quebec et curé de cette paroisse posa la première pierre de la Nouvelle eglise sur Laquelle on a mise une grande plaque de plomb ou est gravé l'image de la Tres Ste. Vierge avec cette Inscription

D O M
et
Beatae mariae Auxiliatrici sub titulo Assumptionis

[Traduction : Deo Optimo Maximo À Dieu très grand et très bon et à la Bienheureuse Vierge Marie Sous le Vocable de l'Assomption]

Le 30 Juin 1771 cette première pierre a été posée par Messire Etienne Montgolfier grand Vicaire de Mgr Levesque de Quebec Superieur de Ecclesiastiques du Seminaire de Montreal Seigneurs et proprietaires de cette Isle et Curé de cette paroisse, faisant les fonctions Curiales Messire Louis Jollivet Licentier en Theologie de la faculté de Paris, estant pour lors Marguillier en charge Mr Ignace Bourassa la Ronde, Mrs Jean Baptiste adhemar et Pierre Gamelin marguilliers nommés, sous la plaque de plomb a été mise une medaille d'argent du pape clement XIII [246e pape 1758-1769] avec Cette Legende Centis incollis ampliata Civitas.

La première pierre angulaire a été posée dans L'angle du tiers point du coté de l'Epitre par Roch St. ours Ecuyer Sieur de L'Echaillions Seigneur de l'assomption & Chevalier de l'ordre Royal et militaire de St. Louis, avec une plaque de plomb ou sont gravés son nom et ses qualités.

La deuxe pierre angulaire a été posée dans L'angle du Tiers point du coté de l'Evangile par Luc Dechapt Ecuyer Sieur de La Corne et chevalier de l'ordre Royal et militaire de St. Louis avec une plaque de plomb ou sont gravés son nom et ses qualités.

La Troisième pierre angulaire a été posée dans le deuxe angle du Tiers point du coté de l'Epistre par francois Maris Picotté Ecuyer Sieur de Belletre chevalier de St. Louis avec une plaque de plomb ou sont gravés son nom et ses qualités.

La quatrième pierre angulaire a été posée dans le deuxième angle du Tiers point du coté de l'Evangile par Joseph Dominique Emmanuel Le Moine Ecuyer Baron de longueuil Seigneur de Soulanges ancien cape dans les Troupes de Sa Majesté très chretienne avec une plaque de plomb ou sont gravés son nom et ses qualités.

La Cinquième pierre angulaire a eté posée dans L'Angle Interieur de la première chapelle du coté de l'Epitre par Mr Ignace Bourassa la ronde negt de cette ville marguillier en Charge de Loeuvre et fabrique de cette paroisse.

La Sixième pierre angulaire a eté posée dans Langle interieur de la deuxe chapelle du coté de l'Evangile par m. Pierre Gamelin negt de cette 3e marguillier de cette paroisse.

La septieme pierre angulaire a été posée dan Langle exterieur de la premiere chapelle du coté de l'Epitre par Mr Jacques Porlier negt. de cette ville et ancien marguillier de la paroisse.

La huitième pierre angulaire a eté posée dans Langle Exterieur de la deuxe Chapelle du cote de L'Evangile par M. Jacques le Moine negt. de cette ville ancien marguillier de la paroisse.

La Neuvieme pierre angulaire a eté posée dans Langle droit de L'Eglise en entrant par M. Estiene Augé Negt. de cette ville, ancien marguillier de la paroisse.

La dixième pierre angulaire a été posée dans Langle gauche de l'Eglise en entrant par M. Thomas Dufy Desauniers negt. de cette ville, ancien marguillier de cette paroisse, et sur Toutes ces pierres ont a mis une plaque de plomb ou sont gravés le nom et la qualité des Mrs qui les ont posés.

La dernière pierre fondamentale a eté posée sous le Ceüil de la porte au milieu par M. Louis Jollivet faisant les fonctions Curiales de cette paroisse avec cette inscription, avec une plaque de plomb sur laquelle on lit

D O M
et
Beatae Mariae auxiliatrici Sub titulo assumptionis Templum
hoc
Primum angustiori forma oedificatum
anno 1675
Postea flammis adustum
anno 1754
ampliori forma restauraverunt
Cives Mariopolitani
Cultui Beatae Mariae virginis
addictissimi
anno 1771
Die junii 30a eadem quâ perimus
Lapis veteris ecclesiae fuerat impositus.

Sous la plaque de plomb a eté mise une médaille d'argent de Clement XIII sur le revers de laquelle on voit la charité avec une corne d'abondance, avec cette légende dedit pauperibus pour l'exergue MDCCLIX.

Jollivet ptre
J. R. Porlier
Dufy Desauniers
Ig. Bourassa
E. auger

Montgolfier
Lemoine
P. Gamelin
Neveu Sevestre
P. Panet

La chapelle de 1771 occupe le même site de celle de 1675, sans pourtant en avoir suivi l'alignement exact. Un ancien plan superposé de deux édifices mentionne que le second est quelque peu dévié vers l'ouest, et englobe totalement le premier.

Les fondations sont remarquables par leur massive solidité. Les murs des longs pans, au niveau du sol, mesurent six pieds d'épaisseur, et atteignent jusqu'à dix pieds tout le tour de l'abside.

La grève avoisinante et la crue des eaux du S.-Laurent furent-elles des sujets d'appréhension, touchant la solidité de cette partie de l'édifice, adossée au fleuve ?

Trouée de petites fenêtres aux vastes embrassures, correspondantes aux chassis du choeur, l'abside forme autant d'arceaux dont les sommets renferment plus d'une des pierres angulaires.

O. Lapalice. (Lapalice 1930)

 

web Robert DEROME

La « médaille » du baron de Fouencamps
et l'iconographie de la Vierge
à la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours