La « médaille » du baron de Fouencamps et l'iconographie de la Vierge à la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-SecoursEnfant Jésus emmailloté — Élaboration |
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Une des particularités fort originales de la « médaille » du baron de Fouencamps est de présenter un nourisson emmailloté. Ce motif est très révélateur de tout un milieu religieux et artistique. Ce thème iconographique issu du Moyen Âge a été ravivé au XVIIe siècle par les milieux dévots, jansénistes et protestants, plus paticulièrement dans les Flandres, mais aussi en Italie et en Espagne. Pariset 1948 et Simard 1976 en ont livré de belles études. Cette imagerie de l'Enfant Jésus au maillot a été diffusée par la gravure et l'art religieux, mais aussi par les sujets montrant la vie du peuple. Ces images sont difficiles d'accès aujourd'hui, car elles sont conservées soit dans les communautés religieuses, soit dans les cabinets d'estampes et de dessin. |
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Deux facettes antinomiques de l'art du XVIIe
siècle présentent de façon
diamétralement opposé l'enfant Jésus et
sa mère. L'une privéligie la liberté et
la nudité de l'enfant Jésus, dans une relation
ludique toute empreinte de sensualité avec sa
mère. Cet art officiel et aristocratique peut
facilement être vu aujourd'hui dans les grands
musées français, qui en permettent un
accès encore plus facile par la merveilleuse base de
donnée Joconde.
Un tout autre courant présente l'enfant Jésus
emmailloté, contraint, restreint. Ces
représentations artistiques sont le reflet des
idéologies religieuses qui font jour chez les
théologiens et les fondateurs de communautés
religieuses.
On trouve le motif de l'enfant emmailloté dans
l'art civil français dès la fin du XVIe
siècle, par exemple dans un détail, à
gauche, du célèbre portrait de Diane de
Poitiers (1499-1566) au bain peint par François
Clouet. Abraham Bosse (1602-1676) a gravé avec brio la
vie de son époque, la première moitié
du XVIIe siècle. Dès 1627, il crée une
Vierge qui tient un Jésus emmailloté :
« Marie assise sur un talus, coiffée d'un
chapeau de paille, tient Jésus debout, dans un
maillot au col de dentelles, les bras libres, G. D. 11
(Pariset 1948,
p. 176 et 386, note 55) ». Dans La
nourrice (détail ci-dessus), il montre un
enfant en train de se faire emmaillotter dans un
intérieur domestique.
L'année 1638 voit la
consécration et l'explosion de ce
thème officiellement patronné par la
plus puissante dévote de France, Anne
d'Autriche (voir
la Vierge Mère). La même
année, Simon François de Tours
(1606-1671) a en outre représenté
Anne d'Autriche sous les traits de la Vierge et
le jeune Louis XIV sous ceux de l'enfant
Jésus dans une huile sur toile
conservée à
l'Évêché de Sées (Orne)
de laquelle nous aimerions bien obtenir une
reproduction
(Simard
1976, p. 48, référence
à Crozet
1954, p. 69 et 72). Anne d'Autriche
aimait se faire peindre avec ses enfants par
Philippe de Champaigne en compagnie de la cour
céleste de dieu et de ses saints.
Attribué à Simon
François de Tours (1606-1671), Louis XIV
et la dame Longuet de la Giraudière,
1638, huile sur toile, 84 x 68 cm, Versailles,
Musée nationale du château et des
Trianon, MV 5272.
Philippe de Champaigne, Anne
d'Autriche et ses enfants, vers 1656,
Musée national du Château,
Versailles.
Les visions de Marguerite de Beaune avaient
précédé la naissance du
dauphin Louis Dieudonné en 1638. En signe de
reconnaissance Anne d'Autriche avait donné
au carmel de Beaune une statuette
représentant Le Petit Louis XIV. La
dévotion prêchée par les
oratoriens se transforme alors radicalement. Mais
la visionnaire cherche un certain temps l'image qui
correspondait le mieux. Elle choisit celle
donnée en 1643 par le baron Gaston de Renty,
également un des premiers membres de la
Société de Notre-Dame. Cet enfant
emmailloté allait conquérir la
ferveur populaire et cette image fut largement
diffusée par les oratoriens (Simard
1976, p. 34 et fig. 10).
ou Petit Roi de Gloire
Anonyme, Petit Roi de
Grâce ou Petit Roi de Gloire,
1643, gravure d'après une statuette de bois
offerte par Gaston de Renty.
Bérulle établit en France l'ordre des Carmélites en 1604, fonde de la congrégation séculière de l'Oratoire en 1611 vouée à l'enseignement, au ministère et à la prédication, est élu cardinal en 1627. L'Oratoire a profondément marqué l'école française de spiritualité du XVIIe siècle : Saint-Cyran, Condren, saint Vincent de Paul, Jean-Jacques Olier, saint Jean Eudes... Après son décès ils fonderont de nouvelles communautés et commandiront des oeuvres d'art. La dévotion de Bérulle pour la Sainte Enfance s'articule à compter de 1604 à partir de sources espagnoles.
« Bérulle s'est attendri sur ces premières années de la vie, mais il constate que "l'état d'enfance est l'état le plus vil et le plus abject de la nature humaine apès celui de la mort (Bérulle, Oeuvres complètes, Paris, Éd. Migne, 1856, col. 1007)" et Condren pense de même : "L'enfance, dit-il, c'est indigence, dépendance d'autrui, assujettissement, inutilité (cité par Mâle 1984, p. 117)." Pour ces théologiens, le Christ n'a pas échappé à cette pénible consition : "la vie de gloire se cache et s'abaisse dans l'enfance, dans l'impuissance, dans la souffrance [...] et enfin dans l'opprobe de la Croix où il est destiné (Bérulle, cité par Paul Cochois, Bérule et l'École française, Paris, Seuil, 1960, p. 17)." Ainsi pour Bérulle, le rapprochement de l'Enfance et de la Croix est nécessaire et par conséquent la Croix doit remplacer la Crèche. Cet enseignement nouveau portera immédiatement ces fruits (Simard 1976, p. 27). »
Simard 1976 analyse plusieurs thématiques issues de ces dévotions : l'enfant Jésus au service de la monarchie ; l'enfant Jésus aux instruments de la Passion ; l'enfant Jésus au maillot ; l'enfant Jésus au service de la charité. Pour la compréhension du thème de l'enfant Jésus emmailloté trouvé sur cette « médaille du baron de Fouencamps », nous nous concentrerons sur l'étude des deux derniers thèmes.
Ces deux oeuvres sont de longtemps postérieures au décès du cardinal de Bérulle, mais elles indiquent l'importance de la diffusion de sa pensée et de la dévotion à l'enfant Jésus emmailloté dans la seconde moitié du XVIIe siècle.
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« [,,,] en général, on embellit les enfants, on les vieillit, on leur prête des attitudes au-dessus de leur âge, on les ennoblit à dessein. Par contre on a honte des détails réalistes, on veut ignorer le très jeune enfant, si fragile, trop naturel, presque inconscient encore. Ses infirmités montrent, selon le théologien, l'impuissance de l'être réduit à l'état de nature. C'est seulement lorsque l'enfant atteint l'âge de raison qu'il intéresse la société et la religion. Le premier âge qui ne peut comprendre Dieu, ne cherche pas encore à se rapprocher de lui, inspire dégoût et pitié. En 1640, dans l'ouvrage d'un Capucin (R. P. Sébastien de Senlis, Le flambeau du juste pour la coduite des esprits sublimes, Paris, 1640, réédition 1643, 2 parties in 4°, 508 et 492 p. Approbation du P. François de Pontoise, prédicateur capucin, Partie I, Ch. 29, Misères de la vie humaine, p. 272-273), cette idée est exprimée nettement et mène à d'autres considérations : "Si vous regardez ces petites Poupons dans les bras de leurs Nourrices et qui sont enveloppez dans leurs petits langes, ne diriez-vous pas à les voir que ce sont des Prisonniers qui sont ainsi garottez pour de bien grands crimes : ce sont néanmoins de jeunes Esclaves, que les pêchez de leurs Pères tiennent arrestez avec certains Liens qui ne sont pas moins fâcheux pour estre invisibles et qui ont besoin d'un Libérateur". [...] Jésus au maillot semblable aux enfants prisonniers de leurs péchés se rapproche de l'humanité qu'il rachètera, et le motif est une allusion à la Rédemption. [...] De même sans doute pour les gravures que nous ne pouvons dater avec précision de la Confrérie de la Sainte Enfance de Jésus-Christ instituée par saint Vincent de Paul, où Jésus au maillot se présente comme le patron des enfants abandonnés. [...] Le Jansénisme semble avoir eu une prédilection pour cette image. [...] Les milieux jansénistes n'ont pas répugné à rendre avec réalisme la divine enfance, en contradiction avec l'art officiel (Pariset 1948, p. 175-177). »« On nous a alors fait voir jusqu'à quel point le motif [de l'Enfant Jésus au maillot] était inspiré à la fois d'un réalisme populaire très net et d'une théologie de "l'enfance prisonnière" qui n'est pas sans évoquer, selon nous, le climat sévère de l'École française. On doit donc comprendre qu'une telle représentation de l'enfance, à laquelle d'ailleurs on doit associer avec celui de Simon François (1606-1671) les noms de Philippe de Champaigne (1602-1674), Abraham Bosse (1602-1676), Louis Le Nain (1593-1648) et Georges de La Tour (1593-1652), ne pouvait évidemment qu'être bien reçue dans les milieux bérulliens pour lesquels, dans "cette enfance, nous dit Condren (Lettres et Discours, p. 39), [...] Jésus est caché et captif en nous et Adam [est] vivant et régnant ". [...] cette image grave et austère convenait bien à celle que se faisaient les dévots bérulliens de l'enfance misérable du Christ [...] la dévotion à Jésus enfant n'aurait pas franchi le cercle fermé de l'Oratoire et du Carmel si la reine et sa cour ne l'avaient patronnée (Simard 1976, p. 46-52). »
Les disciples de Bérulle stimulent la diffusion de l'iconographie de l'enfant Jésus emmailloté dans les oeuvres d'art. Les oratoriens, fondés par Bérulle, y occupent une très grande place, de même que Vincent de Paul.
Saint Vincent de Paul (1576-1660) commença ses missions d'apostolat et de charité auprès des pauvres des campagnes après être devenu aumônier de Marguerite de Valois (1610), curé de Clichy (1611) et précepteur des enfants d'Emmanuel de Gondi (1613). « En 1617, à Châtillon des Dombes, il organisa la première Confrérie de la Charité d'où devaient sortir les Filles de la Charité dirigées par Louise de Marillac (1633) (Petit Robert 2). » En 1638, Vincent de Paul fonde avec Louise de Marillac Le Gras, l'Oeuvre des Enfants-Trouvés, grâce à une rente royale de quelques milliers de livres. On fonde ensuite la Confrérie de la Sainte Enfance de Jésus-Christ de la chapelle de l'hôpital des Enfants-Trouvés du Parvis Notre-Dame. Cette confrérie travaille en concertation avec « la célèbre et énigmatique Compagnie du Saint-Sacrement (1627-1665) (Simard 1976, p. 54) », à laquelle participe le cercle des dévots fondateurs de Ville-Marie soit plusieurs membres de la Société de Notre-Dame.
Dans tableau d'histoire ci-contre, Vincent de Paul préside une des réunions des Dames de la Charité. Autour de lui, on peut reconnaître « la présidente Goussault [dates?] et madame de Miramion [1629-1696] à leur voile de veuve, ainsi que la duchesse d'Aiguillon [1604-1675, veuve en 1622], madame d'Aligre [dates?] et Louise de Marillac [1591-1660, veuve le 21 décembre 1625], son inlassable collaboratrice. À leurs pieds et dans les bras de l'une des femmes, trois enfants au maillot. » Anonyme, Saint Vincent de Paul (1576-1660) présidant une réunion des Dames de la Charité qui lui remettent leurs bijoux pour l'oeuvre des Enfants-Trouvés, vers 1732, huile sur toile, Paris, Musée de l'Assistance publique, photo couleur courtoisie du musée (Simard 1976, fig. 27). |
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Même si ce tableau a été peint en 1732, bien après la date de la « Médaille » du baron de Fouencamps, il illustre admirablement les oeuvres charitables accomplies par les dévots du milieu du XVIIe siècle en France. Mais encore plus intéressant, deux des personnages représentés dans ce tableau furent de grandes donatrices des communautés religieuses en Nouvelle-France au XVIIe siècle, madame de Miramion et la duchesse d'Aiguillon (1604-1675). Le thème de l'enfant Jésus emmailloté est donc bien identifée à celui de la charité et des bonnes oeuvres des dévots parisiens qui les prolongèrent en Nouvelle-France. Il n'est pas étonnant que cette imagerie de l'enfant emmailloté se soit retrouvée dans le cercle des dévots venus coloniser la Nouvelle-France et Montréal.
Le cercle des amis de Vincent de Paul croisait fréquemment celui des amis de Confrérie du Saint-Sacrement, des Oratoriens et de la Société de Notre-Dame pour l'établissement de Ville-Marie. Jean-Jacques Olier (1608-1657) est, en 1639, le troisième membre de la Société de Notre-Dame. Il avait été sous la direction spirituelle de saint Vincent de Paul, puis sous celle du Père Charles de Condren, 2e supérieur général de l'Oratoire. En 1641 il fonde le séminaire de Saint-Sulpice. En 1650 il accepte la direction de la Société de Notre-Dame (Daveluy 1965, p. 109). Gaston-Jean-Baptiste baron de Renty (1611-1649), quatrième membre de la Société de Notre-Dame, fut souvent l'auxiliaire de saint Vincent de Paul en ses oeuvres (Daveluy 1965, p. 115) et à la source de l'iconographie du Petit Roi de Grâce en 1643, un enfant Jésus emmailloté qui connut un grand succès populaire.
Plusieurs autres membres de la Société de Notre-Dame fréquentaient Vincent de Paul :
Claude d'Urre du Puy-Saint-Martin seigneur de Chaudebonne (1582-1644) ; Bertrand Drouart sieur de Sommelan ; Henri-Louis Haber de Montmor (1600-1679) ; Pierre Le Gouvello de Kériolet (1602-1660) ; Élie Laisné de la Marguerie (1585-1656) ; Roger du Plessis marquis de Liancourt duc de la Rouche-Guyon et pair de France (1598-1674) ; Élisabeth de Balsac, de la Maison d'Entragues, Madame Gaston de Renty (1610-1687) ; Madeleine Fabri de Champauzé, Madame Pierre Séguier, dite madame La Chancelière (1599-1683) ; Henry de Lévis (ou Lévy) (1596-1680), duc de Ventadour, pair de France, prince de Maubuisson, comte de la Voulte, seigneur de Cheylard, Vauvert et autres lieux, lieutenant général du roi, Louis XIII, en Languedoc, vice-roi de la Nouvelle-France (1625-1627), allié des Condé, puis prêtre (1642 ou 1643) et chanoine de Notre-Dame de Paris (1650) ; Isabeau ou Isabelle Blondeau, Madame de Villesavin, plus tard comtesse de Busançais (1593-1687), une des célèbres Dames de Charité de l'Hôtel-Dieu de Paris dont saint Vincent de Paul parle avec éloge dans sa Correspondance, qui était aussi appréciée de Jean-Jacques Olier, le père Charles de Condren supérieur général de l'Oratoire et le Père Charles Lalemant de la Compagnie de Jésus ; Alexandre le Ragois (ou Rageois) de Bretonvilliers (1621-1676), deuxième supérieur général de la Compagnie de Saint-Sulpice (1657-1676) ; Armand de Bourbon, prince de Conti (1629-1666).
En outre, d'autres membres, tel Marie de Gournay (1596-1680), fréquentaient les Oratoriens, le cardinal de Bérulle et Charles de Condren (Daveluy 1965).
Pierre-Denys Leprestre (1612-après 1672) fut membre de la Mission de Vincent de Paul, « tout probablement un de ceux qui entrèrent des premiers, au prieuré de Saint-Lazare, en 1632 (Daveluy 1965, p. 236). » C'est de lui que Fouencamps obtiendra la Notre-Dame de Montaigu donnée à Marguerite Bourgeoys pour la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours. L'influence de Leprestre se serait-elle également étendue à l'iconographie de l'enfant Jésus emmailloté sur la « Médaille » du baron de Fouencamps ? Marie-Claire Daveluy (Daveluy 1965, p. 234-240) nous fournit des informations importantes sur Pierre-Denys LePrestre :
« En mars 1652, Bossuet avait demandé à saint Vincent de Paul de l'admettre aux exercices de Saint-Lazare, pour les ordinands, et saint Vincent le confiait à la direction spéciale d'un ancien de sa communauté [les prêtres de la Mission, fondée en 1626], M. LePrestre, membre de la Compagnie [du Saint-Sacrement]. »
Pierre-Denys Leprestre (1612-après 1672) était donc un fils spirituel de Vincent de Paul, un ancien prêtre de la Mission. Les « prêtres de la Mission, qu'on appelait aussi les lazaristes, à cause de leur présence au prieuré de Saint-Lazare n'étaient pas des religieux, mais des prêtres séculiers assemblés en congrégation (Daveluy 1965, p. 236). » LePrestre figure parmi les tous premiers membres de la Société de Notre-Dame aux côté de son fondateur Jérôme Le Royer et le baron de Fouencamps. Vincent de Paul, LePrestre, Le Royer étaient tous membres de la très influente Compagnie du Saint-Sacrement. La transmission en Nouvelle-France des dévotions et iconographies populaires en France allait donc de soi.