Les portraits du père jésuite Paul Le Jeune, confusions et conversions...
XVII-XVIIIe siècle Anonyme sur René Lochon Caughnawaga Kahnawake (Le Jeune converti en Charlevoix reconverti en Le Jeune) |
Anonyme sur la gravure rognée de René Lochon, Surpeints et inscriptions sur le portrait de Paul Le Jeune également identifié comme celui de Pierre-François-Xavier de Charlevoix, gravure 1665, surpeints XVII-XVIIIe siècle, gravure originale 360 x 272 mm rognée, inscriptions manuscrites indéchiffrables en haut, Caughnawaga aujourd'hui Kahnawake, oeuvre disparue. Détail tiré de la photo de William Douw Lighthall, The Books of the Old Jesuits and portrait of Père Lejeune. - Presbytère of Caughnawaga, vers 1887-1909, photographie, 20,2 x 25,3 cm, signée W.D.L., MMCR 1998.3624. |
Félix Martin en 1843.
La notice de 1842 Légaré QMC fait état du retour des jésuites au pays en 1842. Félix Martin ne perd donc pas de temps à documenter les territoires et oeuvres d'art des anciens jésuites.
« 1ère Lettre LE PÈRE FÉLIX MARTIN, MISSIONNAIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS AU CANADA, A UN PÈRE DE LA MÊME COMPAGNIE EN FRANCE. Montréal, 1er juin 1843. [...] 28. [...] Le plus grand nombre [de la population sauvage qui appartient à ce diocèse] se trouve réunis dans trois grands villages (bourgs) au milieu de la populatton canadienne. 29. Le premier est celui du Saut Saint-Louis [Caughnawaga] auquel nos Pères donnèrent une forme de véritable bourgade en 1671 et dont ils ne cessèrent qu'en 1783 d'avoir un soin digne de leur zèle. Ce n'est qu'après différentes transplantations qu'il a été fixé au lieu qu'il occupe maintenant. Il n'est situé qu'à quatre lieues de Montréal et confine à notre paroisse de la Prairie. Tout y rappelle le souvenir de nos Pères. C'est l'église qu'ils ont bâtie. Leur maison sert encore de logement au missionnaire ; les PP. Lafiteau et Charlevoix l'ont habitée ; on y conserve leur portrait et quelques restes de leur bibliothèque [Cadieux 1973, p. 81 et 97]. »
Joseph Marcoux et la nouvelle église en 1845.
C'est donc Félix Martin, féru de l'histoire et des oeuvres d'art des anciens jésuites du Québec, qu'il redécouvre, à avoir laissé le plus ancien témoignage écrit, le 1er juin 1843, identifiant les portraits de Lafitau et Charlevoix. À cette époque, le curé est un personnage haut en couleurs, très intéressé par les arts et l'architecture. Il ne tarde d'ailleurs pas à se lier à Félix Martin, l'informant sur les oeuvres d'art de Caughnawaga et lui octroyant le contrat de construction la nouvelle église, celle qui est toujours en service depuis 1845.
Joseph Marcoux (1791-1855), surnommé Tharoniakanere (celui qui regarde le ciel), avait été nommé curé à Caughnawaga en 1819. Dès son arrivé, il se préoccupe du problème de la vieille église projetant d'en construire une nouvelle. Il quête auprès des plus grands et réussit à amasser des fonds et des oeuvres d'art : Charles X, roi de France, offre trois grands tableaux en 1826 ; roi Louis-Philippe, 1 000 francs, en 1842, puis de nouveau en 1844 ; Napoléon III, empereur des Français, et l’impératrice Eugénie donnent, en 1852, des vêtements liturgiques en drap d’or ainsi qu’un calice. En outre, Marcoux rédigea en agnier plusieurs ouvrages : catéchisme, livre de prières, extraits des évangiles, chant grégorien, biographie de Kateri Tekakouitha, grammaire, dictionnaires iroquois-français et français-iroquois. (Allaire 1908-1934, p. 364-365 ; Béchard DBC.) |
Anonyme, Rév. Joseph Marcoux, Caughnawaga, reproduction dans Devine 1922, p. 352. |
Attribué à Louis Dulongpré, Portrait de l'abbé Marcoux, vers 1830, 26"1/2 x 22"1/2, Caughnawaga. BANQ, Pistard, cote E6,S8,SS1,SSS865, IOA, fiche 05281 et photo C-2, 28 juillet 1944. |
« A la mission Saint-François-Xavier, dans le parloir du presbytère, une vieille peinture, assombrie par les années, est appendue au mur. Un abbé, ancien style - rien n'y manque, pas même le rabat! - vous regarde en face de ses yeux bien ouverts. Cheveux courts, longs favoris, oreille fine, bouche vive, prête à la riposte... ou à l'attaque. A la façon de Napoléon, qui passe la main gauche dans son gilet, la sienne est passée dans sa soutane. Voilà Messire Joseph Marcoux, curé vraiment extraordinaire de Caughnawaga [Béchard 1946, p. 13]. »
Henri Béchard, dans sa biographie de Joseph Marcoux du DBC, donne des références imprécises à un supposé « Fonds Marcoux » aux AJC où il a été imposssible de retracer ces documents, même avec l'aide de ses notes manuscrites (AJC, GLC,BO-0593, C-77). Quand à sa correspondance publiée (Marcoux 1869), il s'agit de lettres en Mohawk concernant probablement des affaires amérindiennes.
La mission Saint-François-Xavier du Sault-Saint-Louis.
Map illustrating Historic Caughnawaga 1667-1890 (détail), dans Devine 1922, p. viii. 1667 Laprairie Kentake. 1676 Kateri's Tomb Kahnawake (aujourd'hui Sainte-Catherine). 1690 Kahnawakon Jesuit's Mill. 1696 Kanatakwenke. 1716 Caughnawaga. |
La mission Saint-François-Xavier du Sault-Saint-Louis avait été dotée de somptueux présents en oeuvres d'art depuis sa fondation, en 1667 à Laprairie sous la gouverne des jésuites, avant de migrer quelques fois. Joseph-François Lafitau (1681-1746) y résida de 1712 à 1717, soit juste avant son dernier déménagement. Charlevoix n'y effectua qu'une courte visite, vers mars-avril 1721. Mais quand leurs portraits ont-il été commandités ? Par qui ? Et pourquoi ?
Plusieurs missionnaires sur place (liste chronologique non exhaustive complusée à partir de Devine 1922, du DBC et de Forbes 1899, p. 135-136) auraient pu commanditer les portraits de Le Jeune (plus tard converti en Charlevoix) et Lafitau : Pierre Raffeix (1635-1724) fondateur de la mission à Laprairie, Jacques Frémin (1628-1691), Jacques Bruyas (1635-1712), Claude Chauchetière (1645-1709), Jacques de Lamberville (1641-vers 1710), Vincent Bigot (1649-1720), Pierre Cholonec (1641-1723), Julien Garnier (1643-1730), Pierre de Lagrené (1659-1736), Pierre de Lauzon (1687-1742), Joseph-François Lafitau (1681-1746), Jacques Quintin de la Bretonnière (1689-1754), Luc-François Nau (1703-1753), Jean-Baptiste Tournois (1710-1761), Pierre-René Floquet (1716-1782), Nicolas de Gonnor, Antoine Gordan (1717-1779), Yves le Saux (1718-1753), Pierre Robert Billiard (1723-1757). Au décès du père Jean-Baptiste de Neuville, en 1761, Joseph Huguet (1725-1783) lui succéde comme supérieur de cette mission et y demeure en fonction jusqu’à sa mort en 1783, brièvement remplacé, jusqu'à la fin de l'année, par le jésuite d'origine belge Bernard Well (1724-1791). Ainsi se terminait 116 années de direction spirituelle des jésuites dans cette paroisse (Devine 1922, p. 310-311).
« En 1783, les prêtres séculiers ont remplacé les Jésuites : 1783, M. J.-B. Dumouchel (il était curé de Châteauguay) ; 1783-1784, M. P. Gallet (il était en même temps curé de Lachine) ; 1784-1793, M. Laurent Lucharme (inhumé au Sault Saint-Louis, le 31 décembre 1793) ; 1794-1802, M. Ant. Rinfret (transféré à Ste Anne de Mascouche) ; 1802-1808 M. Ant. Van Felson (transféré à Beauport) ; 1808-1814 M. Ant. Rinfret (revenu au Sault Saint-Louis, inhumé à Lachine dont il était aussi curé) ; 1814, M. P.-N. Leduc ; 1814- 1819, M. Nic. Dufresne (transféré à Saint-Régis) ; 1819-1855 M. Joseph Marcoux (inhumé au Sault Saint-Louis, le 30 mai 1855). En mai 1855, la mission fut confiée aux RR. PP. Oblats de Marie Immaculée : 1855-1864, R. P. Eugène Antoine (aujourd'hui 1er assistant-général de son ordre ; il réside à Paris) ; 1864, R. P. Léonard ; 1864-1892, R. P. N.-V. Burtin (réside à Saint-Sauveur de Québec). En 1892, les prêtres séculiers reprirent la direction de la mission : J.-Guillaume Forbes. L'abbé J.-G. Forbes [Forbes 1899, p. 135-136]. »
« A. Marmette grav », Église de St-François-Xavier de Caughnawaga, gravure dans Forbes 1899, p. 130.
Les portaits de Lafitau et de Charlevoix sont forcément antérieurs à leur mention par Félix Martin en 1843. Ont-il été commandités avant ou après le départ des jésuites en 1783 ? Peut-être après la publication des livres des portraiturés, soit Lafitau 1718 et Lafitau 1724, Charlevoix 1724 et Charlevoix 1744 ? Ou bien, après 1819, lors de la renaissance de la paroisse sous la gouverne de Joseph Marcoux ?
Nicolas Frémiot en 1847.
La présence des portraits de Lafitau et de Charlevoix à Caughnawaga est de nouveau attestée, le 17 décembre 1847, par Nicolas Frémiot (1818-1854). Originaire de France où il est ordonné 1847, il passe l'hiver suivant dans la région de Montréal. Le 20 mai 1848, il se rend dans ses missions de l'Ontario où il décédera le 4 juillet 1854.
« 41e Lettre LE PÈRE FRÉMIOT, MISSIONNAIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS DANS LE HAUT-CANADA A UN PÈRE DE LA MÊME COMPAGNIE. Laprairie, 27 décembre 1847. 1. Vous connaissez déjà le Sault-Saint-Louis [Caughnawaga] : la première lettre du Père Tellier vous a décrit l'origine et les transmigrations de ce village d'Iroquois catholiques. Les deux visites, que j'ai eu occasion d'y faire, me donnent lieu d'ajouter à ces premiers renseignements : je m'empresse donc de vous communiquer le résultat de mes observations, bien assuré que tout ce qui concerne les sauvages intéressera votre zèle. D'ailleurs le peu qui reste de cette nation, jadis si belliqueuse et si fière, semble réclamer une attention toute spéciale. On aime à étudier les ruines d'un antique et majestueux édifice, les ruines d'une nation sont bien autrement imposantes : offriraient-elles moins d'attraits à une louable curiosité ? Si vous ajoutez au Sault-Saint-Louis, Saint-François Régis (Saint-Régis) et le lac des deux-montagnes (Oka), vous aurez les trois seuls villages d'lroquois catholiques qui existent dans le monde. [...]
16. Quelque longue que soit déjà cette lettre, il faudra pourtant, mon Rév. Père, qu'avant de quitter le terrain, je vous dise un mot de l'église et du presbytère [de Chaughnawaga]. Ce dernier est encore l'ancienne maison de la Compagnie, et ce n'a pas été chose indifférente pour moi de manger dans un réfectoire et de coucher dans une chambre, où tant de missionnaires étaient venus se remettre de leurs fatigues ou se préparer au martyre. J'avais sous les yeux les portraits des Pères Charlevoix et Lafiteau, tous deux avaient trouvé, sous ce toit hospitalier, une trève bien douce à leurs lointaines et pénibles excursions. C'est de là que le Père Charlevoix, le 1er mai 1721, racontait à la Comtesse de Lesdiguières, quelles édifiantes, quelles délicieuses fêtes de Pâques, il venait d'y passer. C'est là, sans doute, que le Père Lafiteau vint puiser ses inspirations, avant de laisser tomber de sa plume quelqu'une de ces belles pages sur Les moeurs des Sauvages de l'Amérique comparées aux moeurs des Chrétiens des premiers siècles. 17. L'ancienne église, bâtie par nos Pères, était en son genre, une des plus belles du pays, au temps où écrivait le Père Charlevoix. Mais depuis plusieurs années, elle se trouvait insuffisante pour une population de 1200 âmes. Elle a fait place à une nouvelle dont la dédicace eut lieu, il y a un peu plus d'un an. Elle avait été bâtie en sept mois, et cependant elle est vaste et solide. Elle paraît devoir suffire aux besoins futurs de la localité. Le maître autel est magnifique; c'est celui de l'ancienne église, modifié et redoré. Les ornements y sont répandus avec profusion; on voit que nos Pères s'étaient conformés au goût des sauvages. Un tableau de saint François Xavier le domine. Aux petits autels se trouve, d'un côté, le tableau de la Ste Vierge sur le modèle de la médaille miraculeuse, de l'autre, un tableau de St-Louis donné par Charles X, quatre ans avant sa chute [Cadieux 1973, p. 444 et 454]. »
Hospice Verreau en 1858 et le portrait de Lafitau.
« C'est avec beaucoup de peine et grâce à l'obligeance du R. P. Martin et de M. le Commandeur Viger, que nous avons pu réunir quelques détails que nos lecteurs jugeront, sans-doute, bien insuffisants. Joseph François Lafitau, naquit à Bordeaux, vers la fin du 17e siècle. Le Père Martin lui-même n'a pu nous donner l'année de sa naissance. De quelques notes qu'il vient de recueillir en Europe et qu'il a bien voulu nous communiquer, nous pouvons conclure que Lafitau étudiait la théologie à Paris, en 1710, et qu'il avait demandé au Père-Général la faveur d'être destiné aux missions du Canada. [...]
On écrit Caughnawaga et Cahnawaga ; mais la meilleure orthographe pour la prononciation française est Kahnawaké. D'après feu M. Marcoux et le M. de Lorimier, descendant des Iroquois par sa mère, ce nom signifie rapides. [...]
M. le commandeur Viger, qui possède plusieurs autographes de Lafitau, entr'autres celui dont nous publions un facsimile [...]
Lafitau a fait parler cette ressemblance aux yeux de son lecteur dans ses belles gravures, dont les dessins paraissent avoir été tracés par lui-même, ce qui en soi serait déjà un mérite qu'il ne faudrait pas dédaigner. L'ouvrage dédié au Duc d'Orléans est digne, sous ce rapport, du goût artistique de ce prince. Il contient 41 planches, contenant chacune d'elles un grand nombre de gravures. Le frontispice représente le Temps dictant à l'histoire les admirables récits de l'Ancien et du Nouveau Testament (1 Les exemplaires de cet ouvrage sont devenus assez rares et dispendieux. Il en existe plusieurs dans le pays. Celui du commandeur Viger est enrichi des notes précieuses de M. Joseph Marcoux) [...]
Grâce, cependant, à un portrait qu'un homme, qu'il faut toujours nommer quand il s'agit d'antiquités canadiennes, M. Viger, a tiré de l'oubli, nous pouvons donner à nos lecteurs une idée assez précise de la personne du célèbre missionnaire qui fait l'objet de cette notice. (1 Le portrait que nous offrons à nos lecteurs était, ainsi que celui de Charlevoix, à la mission du Sault St. Louis, où personne, sauf M. Marcoux, n'aurait pu les identifier, ce qu'il lui était facile de faire par la tradition transmise de missionnaire en missionnaire. Le commandeur Viger les fit restaurer et copier, par M. Duncan, pour son riche album. Le portrait de Charlevoix a été aussi reproduit par le pinceau de M. Antoine Plamondon, pour la cabine du vapeur qui portait le nom de l'historien de la Nouvelle-France. Cette toile a dû périr avec le vaisseau, brûlé il y a quelques années.) Le Père Lafitau était de taille ordinaire, il avait les traits de la figure fins et délicats, le teint blanc et coloré. Son front, ses yeux et toute l'expression de sa physionomie, indiquaient une vive et pénétrante intelligence. Sa contenance devait être pleine de noblesse et d'une douce fermeté. En un mot, il nous apparaît comme un de ces hommes d'élite qui peuvent renoncer à la gloire humaine; mais que cette gloire va couronner partout, dans la cabane du sauvage, dans le désert, tout aussi bien que sur un théâtre plus élevé [Lafitau 1858, p. 4, 5, 12-14 ; une partie de ces informations, ainsi que la gravure, sera reprise dans Verreau 1858.09, p. 153-154]. »
En 1858, Hospice Verreau (1825-1901) se réfère donc à ces deux portraits mais, curieusement, il en parle au passé ! N'étaient-ils déjà donc plus à Caughnawaga ? Leurs disparitions seraient donc postérieures au témoignage de Frémiot qui les y avait vus en 1847. Pourrait-on alors dater leur restauration et leur copie par Viger après cette date ? Sont-ils revenus à leur lieu d'origine après avoir été restaurés et copiés ? Verreau donne une reproduction du portrait de Lafitau, mais pas de celui de Charlevoix. Il situe toutefois les liens l'unissant, dans sa quête de connaissance, à Viger, Martin et Marcoux. Il semblerait que ces portraits aient déjà été présents à Caughnawaga avant l'arrivée de Marcoux en 1819, car Verreau signale qu'il était le seul à pouvoir les identifier « par la tradition transmise de missionnaire en missionnaire » ! Marcoux ne serait donc pas leur commanditaire ! Et on doit donc les dater d'avant 1819. |
Anonyme, Portrait de Joseph-François Lafitau, date, dimensions et médium inconnus, Kahnawake, oeuvre disparue. |
Viger ASC : (228) James Duncan (attr.), R. P. Jos. Fr. Lafitau, aquarelle, 13,2 X 10,3 (Boivin 1990). |
John Henry Walker, JF Lafitau J Missionnaire au Sault St Louis, signé en bas à gauche de l'image « JHWalker sc », gravure dans Lafitau 1858, frontispice. |
D'après le texte de Verreau ci-dessus, Jacques Viger a demandé à James Ducan de copier les portraits de Charlevoix (qui est en fait un portrait de Le Jeune) et de Lafitau à Caughnawaga, aujourd'hui disparus, pour son album. Celui de Lafitau ne peut pas être daté plus précisément que celui de Charlevoix, soit vers 1830-1858. Il est donc antérieur à celui gravé par Walker, peut-être de plusieurs années. Walker utilise une présentation générale qui s'inspire de celle de Duncan. Mais son visage de Lafitau, quoique positionné de la même manière que celui de Duncan, y paraît assez différent. Aurait-il interprété différemment le portrait original disparu de Caughnawaga ? Ou aurait-il pu avoir accès à d'autres sources iconographiques pour graver son rendu de ce visage ?
Quel est l'âge apparent de Joseph-François Lafitau (1681-1746) sur ces portraits ? Serait-il compatible avec celui qu'il avait lors de son séjour à Caughnawaga (1712-1717), soit de 31 à 36 ans ? Ou représente-t-il un homme plus âgé qui vécut jusqu'à 65 ans ? Loin d'être anecdotique, cette question peut permettre de déterminer à quel moment le portrait original disparu aurait pu arriver à Caughnawaga. Y aurait-il été peint par un artiste en Nouvelle-France ? Y aurait-il été apporté dans ses bagages par le portraituré, fils d'une riche famille bordelaise ? Qui aurait alors pu le laisser là à son départ ! Ou bien, y aurait-il été envoyé plus tard, par Lafitau lui-même à l'intention d'un de ses contacts, ou peut-être aussi après son décès par son frère cadet Pierre-François (1685-1764) ? Évêque de Sisteron, celui-ci aida à la publication des livres de son frère ; il pouvait donc, tout aussi bien, diffuser son portrait et en faire parvenir un exemplaire à la mission du Sault-Saint-Louis ! « Mgr Lafitau, évêque de Sisteron, portrait du XVIIIe s. », Chambonnet 1998, p. 18. |
Détail du visage de John Henry Walker, JF Lafitau J Missionnaire au Sault St Louis, signé en bas à gauche de l'image « JHWalker sc », gravure dans Lafitau 1858, frontispice. |
Détai du visage de « Mgr Lafitau, évêque de Sisteron, portrait du XVIIIe s. », Chambonnet 1998, p. 18. |
Le visage de l'évêque de Sisteron présente des airs de famille avec celui de son frère aîné, surtout dans la version gravée par Walker : forme ovale, grand front bombé haut et large, sourcils étroits peu accentués, yeux rapprochés, nez effilé, petite bouche aux lèvres pincées, menton terminé en ovale. Cette ressemblance, à elle seule, peut-elle prouver l'existence d'un authentique portrait de Lafitau disparu de Caughnawaga ? A contrario, Walker aurait-il pu avoir accès (via Viger, Félix Martin ou autres) aux traits de l'évêque de Sisteron pour graver ceux de son frère ? Dans ce même ouvage, Verreau prétend qu'il s'agit du cousin du missionnaire (Lafitau 1858, p. 13) en se référant au « Dict. Hist. de Feller » où ne se trouve aucun portrait (Feller 1838, t. 4, p. 18-19). |
Quel était l'âge apparent sur le portrait de Lafitau à Caughnawaga ? Impossible de dire si Duncan l'a rajeuni ou vieilli puisque ce portait est disparu ! Par contre on peut évaluer la transposition faite par Duncan à partir du portrait de Le Jeune qui était alors identifié comme celui de Charlevoix. L'âge apparent semble être le même que celui de la gravure surpeinte de Lochon, quoique la couleur blanche de la barbe et des cheveux accentue l'âge, alors que le rendu des yeux semble le rajeunir. Les gris du dessin de Lafitau par Duncan le font paraître plus vieux. Walker le fait paraître plus jeune en lui amincissant les traits du visage. Verreau a republié cette gravure, qui a également été rééditée avec l'ajout d'un titre anglais et photographiée par Livernois. Les reproductions de Hamy, Rochemonteix et Devine, présentent toutefois un visage replet, plus près de l'original de Duncan. Difficile donc de statuer si ces portraits représentent un homme dans la trentaine ou la quarantaine, voire la cinquantaine, avec une calvitie plus ou moins avancée selon les différentes versions. |
septembre 1858 Verreau 1858.09, p. 153-154, reproduction de la gravure de John Henry Walker dans Lafitau 1858. |
1858 John Henry Walker, JF Lafitau J Missionnaire au Sault St Louis, Rev. Father Lafitau, gravure, signé en bas à gauche de l'image « JHWalker sc », OBAC. |
après 1858 J. E. Livernois, Photographie retouchée de la gravure de J. H. Walker dans Lafitau 1858 (détail), BANQ P560,S2,D1,P583. Source. |
1893 Anonyme, Le R.P. Joseph-François Lafiteau de la compagnie de Jésus, gravure dans Hamy 1893, vol. 5, non paginé. Source : archive.org f° 111/128. |
1895-1896 HM, RP Lafitau S.J., gravure, signée en bas à gauche « HM », dans Rochemonteix 1895-1896, vol. 3, p. 384. |
1907 J.J. Boyes, Joseph-François Lafitau, 1907, huile sur toile, 61,5 x 46,5 cm, bd « J. Boyes », Archives des jésuites au Canada (Église de l'Immaculée-Conception). RPCQ. |
Viger s'est fourvoyé en identifiant le portrait de Le Jeune à celui de Chalevoix et plusieurs ont suivi ses traces. Doit-on lui faire confiance dans son identification de celui de Lafitau ? Tant de héros de la Nouvelle-France ont vu leurs portraits fabriqués, au XIXe siècle, qu'une bonne dose de scepticisme est de rigueur (Martin 1988 et Les sources iconographiques des portraits fictifs du père jésuite Jacques Marquette). Faute de preuves probantes permettant de corroborer l'authenticité du portrait de Lafitau, il est donc possible que ceux de Duncan et Walker, ainsi que tous leurs clones, puissent également faire partie de ces portraits fictifs ou inventés. D'autant plus qu'aucun portrait connu de Lafitau n'est antérieur à ceux du milieu du XIXe siècle, soit un siècle après son décès ! La vente récente d'un portrait inédit permet cependant d'ajouter des bémols à ces questionnements.
Anonyme, Portrait de Joseph François LAFITAU (1681-1746), missionnaire jésuite, Huile sur toile rentoilée, H. 95,5 cm, L. 72 cm HVS, Restaurations, Cadre en bois et stuc moulé doré vers 1840, De Baecque, vente du 29 Novembre 2021, lot 436 (web ou pdf). « Le modèle apparait accompagné d'une planche botanique issue de son ouvrage de 1718 illustrant "l'Aureliana du Canada". » (Collaboration Jean-François Lozier.) |
Détail du visage de John Henry Walker, JF Lafitau J Missionnaire au Sault St Louis, signé en bas à gauche de l'image « JHWalker sc », gravure dans Lafitau 1858, frontispice. |
Merci à la collaboration de Jean-François Lozier qui nous a fait connaître ce portrait de Lafitau vendu en 2021. Le détail du visage montre une aura provenant du nettoyage partiel effectué autour de la tête. Ce visage ressemble à celui de la gravure où il est quelque peu schématisé. Le portraituré est accompagné d'un dessin du fameux ginseng ayant contribué à sa renommée (Lafitau 1718).
Le graveur John Henry Walker, utilisé par Verreau, a également beaucoup travaillé pour illustrer les ouvrages de Félix Martin, par exemple pour le portrait de Jacques Cartier. Ce visage du découvreur, probablement inventé, provient d'une composition peinte par François Riss pour Saint-Malo, en 1839, qui fut copiée par Théophile Hamel avant sa destruction (Martin 1988).
« XII. Explication des Gravures. [...] Page 51. Jacques Quartier. D’après une excellente aquarelle de Duncan, dans le magnifique Album Canadien de S. H. le Lieut.-Col. J. Viger. C’est la copie du Portrait peint pour la Chambre d’Assemblée, sur l’original conservé à St. Malo en France, lieu de la naissance de ce marin célèbre. [Martin 1852b, p. 330]. »
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Si Félix Martin s'est inspiré de l'album de Jacques Viger, il y a aussi laissé une contribution anonyme. Soit, un dessin du buste reliquaire de Brébeuf (Derome 1997b et Bimbenet-Privat 1997), qu'il a connu par le tableau de 1842 Légaré QMC, et dont il fait graver des illustrations pour ses livres... |
Viger ASC : (266) Attribué à Félix Martin, Joannes de Brebeuf. Soc. Jes. tué par les Iroquois le 16 mars 1649, crayon et aquarelle, 16,6 x 14,2. |
Martin 1852b, p. 250. |
Chaumonot 1885, p. 226. Félix Martin fait ici reposer le buste sur un tissu imaginaire dont le motif est tiré de la chasuble de saint Ignace sur la magnifique sculpture en argent d'Alexis Porcher à l'égise Notre-Dame de Québec. |
On doit donc imaginer Viger, Duncan, Martin et Marcoux, ensemble à Caughnawaga, tel qu'illustré ci-dessous, devisant sur ces anciens jésuites, Lafitau et Charlevoix. Cette vue, représentant la nouvelle église construite par Félix Martin en 1845, est donc postérieure à sa construction.
Viger ASC : (254) James Duncan, "Ruines de l'ancien Fort de Sault St-louis (Caughnawaga)", aquarelle, 14,8 x 25,6 (Boivin 1990).
Fin XIXe siècle.
Quelques nouvelles informations sont révélées, par divers auteurs, sur la vie de Charlevoix à Caughnawaga, le bureau sur lequel il écrivait, ou son portrait, mais aucune reproduction photographique n'en est donnée.
1855 — « [...] here Charlevoix, wrote his History of New France; here Lafitau drew up his "Manners of the American Indians, compared to the manners of the earliest times," in which every classic author gives his part ; and here, in our own day, Marcoux gave the last form to his incomparable grammar and dictionary of the Caughnawaga dialect of the Iroquois language, and compiled those catechisms, books of prayer, devotion and instruction, which furnish such a library to his flock [Shea 1855, p. 590]. »
1891 — « The desk at which Charlevoix and Lafitau wrote is still used by the missionary who occupies the presbytère [Walworth 1891, p. 279, note 70]. »
William Douw Lighthall et sa photographie du portrait de Le Jeune à Caughnawaga (vers 1887-1909).
William Douw Lighthall, The Books of the Old Jesuits and portrait of Père Lejeune. - Presbytère of Caughnawaga,
vers 1887-1909, photographie, 20,2 x 25,3 cm, signée W.D.L., MMCR 1998.3624.
L'inscription au bas de cette photographie identifie clairement ce qui y est représenté, The Books of the Old Jesuits and portrait of Père Lejeune. - Presbytère of Caughnawaga, ainsi que son auteur « W.D.L. » pour William Douw Lighthall. Voilà donc, enfin, une image de cette oeuvre dont on a tant parlé depuis 1843, mais dont aucune reproduction n'avait été publiée par les historiens ou les historiens de l'art ! Espérons qu'elle pourra aider à retrouver ce portrait mythique de Le Jeune toujours manquant à l'appel ! La biographie de Lighthall, tel que nous le verrons plus loin, met en relief ses relations avec le Château Ramezay où cette photographie est conservée.
« La Société d'archéologie et de numismatique de Montréal est l'une des plus anciennes institutions à oeuvrer à la mise en valeur et à la sauvegarde du patrimoine montréalais. Créée en 1862 sous le nom de Société de numismatique de Montréal [...] la société change son nom pour celui d'Antiquarian and Numismatic Society, en 1866 [...] À la manière des sociétés savantes et des sociétés historiques canadiennes et américaines du XIXe siècle, le conseil et les membres de la société dirigent ou participent à des fouilles archéologiques. La société publie, à partir de 1872, le Canadian Antiquarian and Numismatic Journal, qui paraît, irrégulièrement à certaines périodes, durant soixante ans. Engagée dans la préservation du patrimoine, la société contribue par ses recommandations à la sauvegarde et à la valorisation d'immeubles et de sites historiques, au nombre desquels figurent la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours et les plaines d'Abraham. Elle organise plusieurs expositions d'objets et pose, en 1891, 75 plaques commémoratives à Montréal. [...] En 1895, elle installe son musée dans le château De Ramezay, alors menacé de démolition [RPCQ]. »
La photographie couleur sépia est très oxydée.
Sa restitution en noir et blanc permet de mieux lire les détails.
Le portrait est entouré d'un large cadre rustique.
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Format du portrait de Le Jeune comparé à ceux, à la même échelle, des livres sur l'étagère du haut replacés à l'horizontale.
Les chiffres rouges identifient les in-4°, in-8° et in-12.
L'analyse des formats de la gravure de Le Jeune a permis de conclure qu'elle était imprimée sur un papier de la taille d'un grand in-4° grand jésus (38 x 28 cm) ou d'un grand in-4° jésus (36 x 28 cm). Ce qui est compatible avec ce portrait de Caughnawaga si on le compare aux formats apparents des livres sur l'étagère du dessus, des in-8° et in-12. Ainsi, la hauteur de la gravure originale de 36 cm, moins les parties rognées du portrait à Caughnawaga, peut correspondre à un format se situant entre le grand in-4° et le in-4°. |
Surlignage en vert des éléments de l'inscription manuscrite indéchiffrable.
En variant la luminosité et le contraste, on aperçoit une inscription manuscrite en haut de la tête de Le Jeune, mais on ne peut pas reconstituer les lettres de ces graphies indéchiffrables. On distingue également, à gauche de la tête de Le Jeune, les doubles traits du haut de l'ovale autour du portrait gravé par Lochon.
Le portrait de Caughnawaga est nettement issu de la gravure de Lochon. Même position du buste regardant à gauche, même tête chauve et visage barbu. On distingue bien des portions de l'ovale, à droite en haut et en bas. Les écritures dans le cadre de l'ovale ne sont plus là, ni la longue inscription du bas. On note, à droite du visage, une large et longue ligne verticale boursouflée. S'agit-il d'un froissement du papier de la gravure, ou bien un empâtement de repeints ? Ce portrait de Caughnawaga était donc une gravure originale de Lochon, amplement rognée, puis surpeinte.
Cette photographie permet donc de corroborer l'assertion de Philéas Gagnon publiée en 1895.
Curieusement, tout comme Verreau, Gagnon parle au passé de sa présence à Caughnawaga ! Cette photographie prouve cependant qu'il s'y trouvait toujours. La description de Gagnon laisse supposer qu'il s'agissait d'un exemplaire du portrait gravé original de Lochon « retouché et colorié », ce qui est corroboré par cette photographie. Le « on » qui, d'après Gagnon, avait fait cette découverte pourrait-il être Lighthall ? Corrigeant ainsi la mésinterprétation du XIXe siècle en identifiant correctement ce portrait à Le Jeune et non pas à Charlevoix ! Mais, la publication de clones de la gravure de Lochon, dès 1888-1889 à Montréal et 1893 en France, fournissait également au bibliophile averti des outils adéquats pour corriger cette erreur d'identification. |
Cette photographie est signée « W.D.L. », en bas à droite, pour William Douw Lighthall. Mais elle n'est pas datée. L'étude de sa biographie et de ses publications permettent de mieux cerner les circonstances qui l'ont amené à photographier ce portait de Le Jeune. D'après ses intérêts et liens avec Caughnawaga, elle pourrait avoir été prise vers 1887-1889 alors qu'il travaille sur ce sujet, ou bien vers 1909 lorsqu'il devient chef amérindien honoraire à Caughnawaga sous le nom de Tekenderoken. On pourrait donc la dater vers 1887-1909.
William Douw Lighthall (1857-1954) est un avocat, historien, romancier, poète, philosophe, archéologue, collectionneur et muséologue, doté d'un esprit particulièment brillant et polyvalent, impliqué dans nombre d'activités publiques et associatives. Virr 1989 révèle les richesses de ses archives conservées à l'université McGill et au musée McCord, mais aussi à Ottawa. Bien que né en Ontario, à Hamilton, il devient un véritable montréalais. Lighthall étudie au McGill College : fondé en 1821, actif à compter de 1829 avec le pouvoir de conférer des diplômes universitaires, devenu la McGill University en 1885 (Wikipedia). On lui attribue un recueil de chants, avec partitions musicales, publié en 1879 sous le pseudonyme « Student in Arts ». On y trouve des mélodies anglophones, mais également plusieurs francophones dont Alouette, Vive la compagnie, Vive la canadienne, À Saint Malo beau port de mer, À la claire fontaine, Malbrough, Mariann' s'en va-t-au moulin, En roulant. On y dénote donc déjà, à 22 ans, son intérêt pour la culture et le folklore francophones (Lighthall 1879). Trois ans plus tard, diplômé B.A. et B.C.L. (Bachelor of Civil Law), il publie un petit Essay on pure ethics, with a theory of the motive (Lighthall 1882, 15 p.). Il taquine de nouveau la muse de la philosophie avec Sketch of a new utilitarianism, Including a criticism of the ordinary argument from design and other matter, I. Analysis of the altruistic act, II. The myterious power, III. The true form of the argument from design, IV. The new utilitarianism (Lighthall 1887). Il poursuivra cet intérêt par d'autres publications ultérieures. Portrait de William Douw Lighthall, reproduction photographique, Caswell 1919, p. 68. |
Après avoir obtenu, en 1885, son dipôme de M.A. de l'université McGill, Lighthall débute sa carrière d'avocat comme partenaire chez « A. C. de Léry Macdonald, the collector of the papers of many of the seigneurial families including the Chartier de Lotbinière, Lemoyne, de Rigaud, Lefebvre de Bellefeuille and Harwood families to most of whom de Léry Macdonald was related. » Lighthall veillera à faire acquérir cette collection, en 1922, par le département des livres rares de McGill (Virr 1989, p. 103 et note 1). Est-ce là qu'il puise son inspiration pour son roman historique, publié sous le pseudonyme Wilfrid Châteauclair à « Dormillière, March, 1888 », The young seigneur, or, Nation-making (Lighthall 1888).
L'année précédente, il avait publié une série de poèmes sous le titre Thoughts, moods and ideals, Crimes of leisure (Lighthall 1887), où un des textes dénote un intérêt manifeste pour Caughnawaga (The Caughnawaga beadwork-seller) et un autre pour La Prairie premier lieu de fondation de cette réserve. Publications qui sont rééditées, deux ans plus tard, dans son ambitieuse anthologie. Notman, W.D. Lighthall, vers 1900, photographie, Université McGill, Lighthall Papers, Department of Rare Books and Special Collections, Virr 1989, p. 105. |
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En 1889, Lighthall collige un vaste recueil phare souvent réédité. Son titre démontre sa forte affiliation à l'Empire britannique, l'appel de la nature, mais aussi de ses habitants et villes : Songs of the Great Dominion, voices from the forests and waters, the settlements and cities of Canada (Lighthall 1889). La table des matières est révélatrice de ses intérêts et orientations. L'ordre de présentation des chapitres priorise I. l'esprit impérialiste, II. la nouvelle nationalité, III. l'Indien, IV. le voyageur et l'habitant, V. la colonisation, VI. les sports et le plein air, VII. l'esprit de l'histoire canadienne, VIII. les lieux, IX. les saisons. En pourcentage de pages accordées, l'ordre est très différent (voir tableau ci-dessus). Lighthall y publie huit de ses textes dont plusieurs repris de Lighthall 1887 et un de Lighthall 1879 en adaptation anglaise depuis la chanson traditionnelle.
L'intérêt de Lighthall pour Caughnawaga est de nouveau confirmé dans un extrait de l'introduction, soit une relation de proximité avec le fils d'un chef de cette réserve qui, en plus, étudie dans la même profession que lui.
Cet ouvrage contient des références biographiques et bibliographiques étoffées (Lighthall 1889, p. 449-464). Sous le nom de Lighthall, on trouve des notes sur les conflits historiques entre Anglais, Français et Iroquois, où il cite l'historien Charlevoix dont le faux portrait a été créé à partir de celui de Le Jeune à Caughnawaga, localité qui y attire une nouvelle fois son attention.
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Symboles utilisés sur l'image de la page couverture de Lighthall 1889 : un écu entroué de feuilles d'érables, fleurs de lys en haut, lion de l'empire britannique au centre, feuilles d'érables en bas, au sol, un castor de la traite des fourrures et un bison des grandes plaines. |
Excerpts from In the late nineteenth, early twentieth century English Canada psyche the Native became a symbolic referant in the discourse about fear and loathing in an increasingly modern, urban, industrial society and about the construction of a nationalism complete with native traditions. The most obvious and recurring images were the Native Peoples as doomed and as nature's children. In the introduction to Songs of the Great Dominion Lighthall wrote that throughout the anthology we would hear, among other things, "the lament of vanishing races singing their death-song as they are swept on to the cataract of oblivion."126 No subtlety in that. Indeed Lighthall included one of his own poems, "The Caughnawaga Beadwork-Seller," in which he tells the story of a Native woman who leaves the reserve to sell her beads in the city. Tired and alone she laments,
Similarly, Lighthall included George Martin's poem, "Change On The Ottawa." Here Martin recounts how a "chief of the Algonquins" travelled down Ottawa river to look at what was once his "boyhood haunt" but is now the city of Montreal, where "Great wheels along the stream revolving large, / And swift machinery's whirr and clank and groan."
For both Lighthall and Martin the symbol of the doomed Native- crushed by "the reckless tread / Of human progress" and left aside as "[White men] are mounting up to heaven / And are pressing all around"129 - refers not to the plight of the Native Peoples but to their own sense of loss. The concomitant of progress was the modern, urban, industrial experience or the loss of nature. 126 W. D. Lighthall, Songs of the Great Dominion, p xxi |
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Caughnawaga est encore mentionné par Lighthall dans sa publication An account of the battle of Chateauguay, A lecture delivered at Ormstown, March 8th, 1889 (Lighthall 1889.03.08, p. 8 et carte p. 16). Le lieu de cette bataille est en effet situé dans la même région que cette réserve indienne, à seulement 39 km. En page titre, il présente ses affiliations à diverses sociétés savantes : M.A., Honorary Member of the Chateauguay Literary and Historical Society, Secretary of the Antiquarian Society of Montreal, Life Corresponding Member of the Scottish Society of Literature and Art.
« In addition to his interest in the history of Montreal, he had a special interest in the region around Beauharnois and Huntingdon, Quebec, and there are notes on this area and a number of nineteenth-century documents related to its history [Virr 1989, p. 107]. »
Lighthall 1899, p. 206. |
L'intérêt de Lighthall pour les Amérindiens s'infiltre dans plusieurs sphères de sa vie : littéraire, historique, archéologique, légale. En 1899, il publie un savant compte-rendu de sa découverte d'une tombe amérindienne à Westmount (Lighthall 1899). Cette approche scientifique se double aussi d'une publication littéraire. Dans son roman The Master of Life, malgré le caractère fictionnel, il ne manque pas de faire référence aux sources historiques.
« Field scholars now identify the Mohawks with the Hochelagans, who had been driven out from the Montreal country by Algonkins, assisted by Hurons of the West, shortly before the formation of the League. The description of their town, Hochelaga, by Jacques Cartier in 1535, and its subsequent disappearance, is one of the most fairy-like tales in history [Lighthall 1908a, preface, p. 5]. »
Cet intérêt l'amène à siéger au sein d'une association savante, mais également d'être nommé chef honoraire par les Amérindiens de Caughnawaga.
« He was also an archaeologist - in the 1890s he unearthed a Native burial ground at what was Hochelaga and in 1909 he was appointed chair of Indian Archaeology at the Montreal Society of the Archaeologlcal Institute of America. Also in 1909 the Native people of Caughnawaga made Lighthall an honourary chief with the name "Tekenderoken;" tremendously touched by the ceremony Lighthall wrote to the Council, "I consider myself henceforth your brother ln blood." [Wright 1991.07, p. 4, référence à July 8, 1909 Ltghthall Papers 4/4]. »
Même sa pratique professionnelle d'avocat n'échappe pas à ses relations avec les premières nations.
« Of particular interest are the files concerning the land claims of the Nishga, 1912-1930, and the status of the Six Nations, 1920-1921 [Virr 1989, p. 108]. »
En 1890, Lighthall épouse Cybel Wilkes (à laquelle il avait dédié le poème To Cybel dear, Love-Song, trois ans plus tôt dans Lighthall 1887, p. 30) dont il a trois enfants : Alice Margaret Schuyler née en 1891, Cybel Katherine Schuyler née en 1893 fondatrice de la Canadian Handicrafts Guild en 1908 (Virr 1989, p. 104 et 108), et William Wilkes Schuyler né en 1896.
Château Ramezay, vers 1890, photographie imprimée, tirée de John McConniff, Illustrated Montreal, the metropolis of Canada, Its romantic history, its beautiful scenery, its grand institutions, tis present greatness, its future splendor, 5th ed., Montreal, J. McConniff, Desbarats & Co. Engravers and Printers, [189-?], 110 p., ill., portr., 16 x 23 cm. Source BANQ ark:/52327/1957050.
Lighthall est également versé en histoire, commémoration, muséologie et monuments historiques. En 1889, il est « Secretary of the Antiquarian Society of Montreal [Lighthall 1889.03.08, p. titre] », qui fonde le Château Ramezay dont il est un membre influent. Ce qui explique donc la présence de sa photographie de Le Jeune dans les collections de ce musée.
« Le début des années 1890 marque donc l'intensification des démarches de la NASM [Numismatic and Antiquarian Society of Montreal] en vue de concrétiser le premier musée historique permanent de type savant à Montréal. En octobre 1893, elle organise au Mechanic's Institute une assemblée de ses membres et des citoyens de Montréal en vue de mettre au point une stratégie de préservation du Château Ramezay. Sont entre autres présents, le sénateur Edward Murphy, le vicomte de la Barthe, l'échevin Perreault, H. J. Tiffin, J. B. Léonard, Lucien Huot, H. Lyman, E. Lyman, E. H. Parent, D. Lighthall, J. C. Robillard et James Grant [Gagnon 1995.12, p. 342, référence à La Minerve, 10 octobre 1893]. »
Louis-Philippe Hébert (1850-1917), Monument Maisonneuve, 1895, |
En 1892, il publie sur Montréal à l'occasion de son 250e anniversaire (Lighthall 1892a et 1892b) dont l'édition de luxe est : « Dedicated to the Numismatic and Antiquarian Society of Montreal : my friends and fellow-strollers in pleasant fields [Lighthall 1892a]. » Il joue un rôle important dans l'érection du monument Maisonneuve sur la Place d'Armes. Le peintre William Raphael accepte, en 1905, à la demande du juge Louis-François-Georges Baby et de William Douw Lighthall, de copier des portraits rares de bâtisseurs de la Nouvelle-France et du Québec. Ces tableaux sont exposés au Château Ramezay de 1908 à 1976 (DBC).
Lighthall incite David Ross McCord à remettre sa collection à l'université McGill, en 1919, avec une dotation (DBC) afin de fonder le Musée McCord ; il sera aussi son exécuteur testamentaire. Également collectionneur, Lighthall laissera une partie de ses masques polynésiens à un autre institution muséale de l'université McGill, le Redpath Museum (Virr 1989, p. 107). Sa profession d'avocat touchera également aux aspects de la collection d'oeuvres d'art.
On ne saurait passer sous silence sa longue et importante implication dans la sauvegarde des monuments historiques.
Il est en outre nommé commissaire à la Commission des monuments historiques, en 1922, poste qu'il occupe jusqu'à son décès en 1954 (Brunelle-Lavoie 1995, p. 68). William Douw Lighthall, photographie, XXe siècle. Canadian Newspaper Service, Archives de la Ville de Montréal, CA M001 BM001-05-P1250. |
Lighthall s'est investi dans une grande variété d'activités publiques et associatives, mais également littéraires et historiques : Society of Canadian Literature (1889-1890), Royal Society of Literature (1895), Royal Society of Canada (fellow 1902, président 1917-1918), la Great War Veterans Association (après la première guerre mondiale), un des fondateurs de Canadian Authors' Association (président en 1930) (Virr 1989, p. 104). Maire de Westmount (1900-1903), il fonde en 1901, avec le maire de Toronto, l'Union of Canadian Municipalities. Il s'implique également dans l'Armenian Relief Fund Association of Canada et la Spanish Medical Aid Committee of Montreal qui organise la visite d'André Malraux en 1937.
Edward James Devine en 1922.
Les commentaires d'Edward James Devine (1860-1927) fournissent, semblent-ils, de nouveaux détails intéressants, mais tout en soulevant de nombreuses questions. Devine connaissait bien les archives des jésuites pour y avoir travaillé, de 1885 à 1889, avec l’archiviste Arthur Edward Jones.
Texte de |
Commentaires... |
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For nearly a century, the residence at Caughnawaga possessed | Devine a-t-il vu ce portrait ? Il semblerait que non, puisqu'il en parle au passé, disant que la résidence de Caughnawaga avait possédé, pendant près d'un siècle, ce tableau. Où se serait terminé le siècle en question ? Au moment où Devine publie cet ouvrage en 1922 ? Ou à la date de la dernière mention de leur présence, soit par Frémiot en 1847 ? Donc, si on lit entre les lignes, ce portrait n'était peut-être plus à Caughnawaga ! Pourtant, Lighthall l'avait photographié vers 1887-1909 ! |
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a small | Cette indication du format est précieuse. Si c'était un petit tableau, il pourrait donc se rapprocher du format de 1665 Lochon OBAC. Il pourrait même s'agir de la gravure elle-même ! Ce qui est confirmé par la photo de Lighthall. | ||||||||||
painting | S'agissait-il d'une peinture à l'huile ? Ou un portrait, gravure ou huile sur toile, de Le Jeune « retouché et colorié » tel que rapporté par Philéas Gagnon, en 1895 ? Ce qui est confirmé par la photo de Lighthall. |
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which, tradition asserted, was the portrait of Charlevoix. | Cette information découle des écrits de Martin, Frémiot et Verreau rapportés ci-dessus. | ||||||||||
No one doubting the genuineness of the work, it was reproduced by John Gilmary Shea, Justin Winsor, and others. It was even accepted in France as a true portrait of the famous historian. |
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Le portrait de Le Jeune à Caughnawaga ne peut pas avoir été reproduit par Shea pour son portrait de Charlevoix, car la source utilisée par son graveur O'Neill découle du tableau de Légaré provenant d'un autre modèle des jésuites, lui aussi disparu, mais regardant à notre droite. |
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On closer inspection, in recent years, it was shown to be a copper-plate engraving of Father Paul Lejeune, S.J., made in 1665, the year after his death. | Devine confirme que l'on savait, depuis le commentaire de Philéas Gagnon, en 1895, que ce portrait de Charlevoix était celui de Le Jeune sur la gravure de Lochon. |
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The Caughnawaga portrait was a forgery, skilfully hidden under a coat of paint. | Devine semble ici affirmer que la gravure de Lochon se cachait derrière une couche de peinture ! A-t-il vu l'oeuvre ? Ou répête-t-il les informations reprises de Philéas Gagnon, en 1895, ou ailleurs ? Aurait-il connu Lighthall ou sa photographie ? | ||||||||||
No authentic portrait of Charlevoix is known to exist. | Nous sommes tout à fait d'accord avec Devine sur ce point...! |
Les historiens de l'art au XXe siècle.
Avant la découverte, en juillet 2018, de la photo de Lighthall dans les archives du Château de Ramezay, aucun des fonds et ouvrages consultés ne donnait de référence, ni de description, ni de photographie, permettant d'attester de la présence du portrait disparu de Le Jeune, alias Charlevoix, à Caughnawaga au XXe siècle.
Ramsay Traquair effectue des relevés dans les églises, dès les années 1920-1930, dont celle de Caughnawaga : CAC Traquair, avec son moteur de recherche, donne trois photos architecturales extérieures à Caughnawaga ; Murray 1987 donne plusieurs références à des photographies de Caughnawaga dans le Fonds Ramsay Traquair, mais aucune relative à ces portraits ; Traquair photographie l'orfèvrerie de Caughnawaga en 1933 (Derome 1987f, p. 64). Il est vrai que Traquair s'intéressait à l'architecture, à la sculpture et à l'orfèvrerie, mais pas à la peinture.
Gérard Morisset a compilé, pour son IOA, plusieurs oeuvres et archives à Caughnawaga en 1944 (BANQ, Pistard, cotes E6,S8,SS1,SSS865 et E6,S8,SS1,SSS866). On y trouve bien une photo du portrait de Marcoux ainsi que sa fiche technique. Par contre, on n'y trouve aucun relevé, ni photographie, des portraits de Lafitau et de Charlevoix. On peut donc se demander s'il les a vus à cet endroit ?
Morisset se réfère pourtant à leur présence à Caughnawaga dans son inventaire de l'Album de Jacques Viger (Viger ASC) également effectué en 1944 : pour Lafitau il y note « D'après un portrait conservé à Caughnawaga [BANQ, Pistard, cote E6,S8,SS1,SSS548,D2170] » ; pour Charlevoix « Dessin réalisé d'après une peinture conservée à Caughnawaga [BANQ, Pistard, cote E6,S8,SS1,SSS548,D2143] ». La référence, à l'effet que ces portraits se trouvaient à Caughnawaga, ne provient donc pas de l'inventaire dressé dans cette paroisse, mais de l'article de Verreau 1858.09 (voir ci-dessus Verreau) auquel Morisset donne référence dans son inventaire de Viger ASC !
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Cet état de la documentation a porté à confusion et induit les historiens de l'art à penser, par la suite, que ce portrait se trouvait bel et bien à Caughnawaga. Pourtant, plusieurs historiens en parlaient déjà au passé depuis des lustres : Verreau dès 1858, Gagnon en 1895 et Devine en 1922 !
La correspondance de Morisset fait en outre état de ses échanges avec le jésuite Henri Béchard à qui il fournit des photographies (voir image à droite). Celui-ci signe une carte du Centre Kateri, à Caughnawaga, et publie une histoire de cette paroisse, J'ai cent ans, l'église Saint-François-Xavier de Caughnawaga (Béchard 1946), où il n'est fait nulle mention des portraits de Lafitau et de Charlevoix ; mais il décrit celui de Marcoux. On y apprend également qu'à la demande du jésuite Joseph Gras, en fonction dans la paroisse de 1913 à 1922, « Ottawa envoie un connaisseur examiner les peintures et tableaux et rentoiler ceux qui en ont besoin [Béchard 1946, p. 44]. » Joseph Gras s'était déjà intéressé au portrait de Le Jeune (alias Charlevoix) dans une lettre datée du 2 février 1909. |
Marius Barbeau s'est intéressé au Trésor des anciens Jésuites (Barbeau 1957b) où il documente plusieurs oeuvres, dont les portraits de « Katherine Tegakouita » et de l'abbé Marcoux, mais il ne mentionne ni ceux de Lafitau, ni de Le Jeune alias Charlevoix. Béland 1985 et 1988, qui a répertorié les publications de Marius Barbeau, ne donne aucune référence à Caughnawaga. La Collection numérique de la BANQ donne plusieurs photographies à Caughnawaga, mais aucune pour ces portraits. Il en va de même pour les Archives photographiques Notman.
Doit-on prêter foi à l'historien Léon Pouliot lorsqu'il affirme, en 1964, que « la toile est exposée au Musée des Pères Jésuites à Caughnawaga, près de Montréal » ? Non ! Car le texte de la légende contenant cette assertion est truffé d'inexactitudes flagrantes !
Par la suite, les historiens de l'art se penchent sur la substitution d'identité entre Le Jeune et Charlevoix, entre autres sur ce portrait de Caughnawaga. À l'occasion de l'étude du portrait de 1863 Hamel QMA, Nicole Boisclair révèle qu'une...
« lettre du R.P. Frémiot, datée du 27 décembre 1847, prouve toutefois que le nom de ce dernier [Charlevoix] fut attaché aux copies de ce portrait dès la première moitié du XIXe siècle au moins à Caughnawaga [Boisclair 1977, p. 40-41 n° 57, se réfère à Cadieux 1873, p. 454, alors qu'il s'agit de Cadieux 1973]. Selon le R.P. Léon Pouliot, il n'existe cependant aucun portrait authentique du P. Charlevoix [Boisclair 1977, p. 40-41 n° 57]. »
Des extraits de cette lettre de Frémiot sont reproduits ci-dessus ainsi que de celle, encore plus importante car antérieure, de Félix Martin. Boisclair ne fait toutefois pas mention de l'existence de ce portrait à Caughnawaga à l'époque où elle écrit ces lignes, n'en donnant aucune reproduction ni référence.
Denis Martin apporte des informations plus détaillées : |
Commentaires... | |||||||
Jacques Viger avait retrouvé à la mission du Sault-Saint-Louis un tableau censé représenter, selon la tradition missionnaire, le père François-Xavier de Charlevoix (1682-1761), qui passait au 19e siècle pour le "père" des historiens de la Nouvelle-France. Viger fit restaurer le tableau et chargea James Duncan d'en exécuter une copie à l'aquarelle pour son Album [Souvenirs Canadiens], mais sans vérifier le bien-fondé de cette identification (19. Verreau 1858.09, p. 154, n. 1). | Cette interprétation provient d'un article de Verreau, auquel Martin se réfère dans sa note 19, qui est un bref résumé d'un texte antérieur de Verreau reproduit ci-dessus qui contient davantage d'informations. La référence à cet article provient probablement des fiches de l'IOA de Morisset. | |||||||
En fait, le tableau original (conservé aujourd'hui à Caughnawaga) | Ce tableau était-il vraiment à Caughnawaga en 1988 ? Ou Martin l'a-t-il présumé d'après les fiches de l'IOA de Morisset ? | |||||||
copié par Duncan pour Viger | Information tiré de Verreau reproduit ci-dessus. | |||||||
ne représentait pas le père Charlevoix, mais plutôt le père Paul Le Jeune (1591-1664), supérieur des Jésuites de la Nouvelle-France de 1632 à 1639. | Cette information provient probablement de Philéas Gagnon, en 1895. | |||||||
Le tableau conservé au Sault-Saint-Louis s'inspirait du portrait gravé en 1665 par René Lochon pour servir de frontispice aux Epistres spirituelles du père Le Jeune. |
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L'erreur d'identification de Viger, due à une méconnaissance des sources iconographiques du Régime français, fut perpétuée par tous les historiens et collectionneurs du siècle dernier s'intéressant aux portraits anciens. Elle ne fut rectifiée qu'à la toute fin du 19e siècle. (20. Gagnon 1895, p. 684, n° 4626. L'identification au Père de Charlevoix se retrouve encore, plus récemment, dans la thèse de Todd 1978, p. 84.) | Martin se réfère à la notice de Philéas Gagnon, en 1895. | |||||||
Entre temps, le supposé portrait du père Charlevoix fut copié et reproduit à plusieurs reprises. On en connaît une copie par Joseph Légaré, datée de 1842 (21. Porter 1978, p. 132-133, N. 181), | ||||||||
et une autre exécutée par Antoine Plamondon pour orner la cabine du bateau à vapeur le Charlevoix, détruit par un incendie au début des années 1850 (22. Verreau 1858.09, p. 154, n° 1). |
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Entre 1853 et 1858, Théophile Hamel en exécuta également une copie pour la galerie de portraits historiques de la Chambre d' Assemblée (23. Vézina 1977, p. 396). | ||||||||
Par la suite, le soi-disant portrait du père Charlevoix se retrouvera partout: dans les albums souvenirs, les manuels d'histoire du Canada, etc. Le cas du père Charlevoix n'est pas un exemple isolé de la confusion qui règne, entre 1840 et 1860, au sujet des connaissances en iconographie canadienne. Cette époque, qui marque les débuts de l'historiographie canadienne-française, reste aussi la plus féconde en portraits fictifs. |
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Absence et hypothèses.
Devons-nous conclure que les portraits de Lafitau et Charlevoix, naguère « vus » à Caughnawaga, n'étaient que des « projections » des désirs de leurs spectateurs enthousiastes, prêts à recréer l'histoire perdue du mythe des fondateurs de la Nouvelle-France ? Les Marcoux, Martin, Viger et Verreau, voulaient à tout prix « voir » leurs héros et en ont fait excécuter des versions par les Duncan et Walker. Le portrait de « Jacques Quartier » n'existait pas, il fallait donc le créer ! Il en va de même pour moults héros de la Nouvelle-France, tel que brillamment démontré par Martin 1988.
N'est-il pas étonnant que, pour Lafitau, aucun portait antérieur à celui de l'album Viger ne soit connu ? Quant à Charlevoix, il n'a fait qu'y passer brièvement, vers mars-avril 1721, durant son court voyage de deux ans en Amérique, de Québec à Saint-Domingue en passant par le Mississippi. Nonobstant, il aurait laissé sa marque indélébile, tant par son portrait, que par le bureau sur le quel il aurait écrit son Histoire de Description générale de Nouvelle-France..., pourtant publiée 24 ans plus tard (Charlevoix 1744) ! N'est-ce pas là pure fantaisie spéculative d'antiquaires voulant honorer la mémoire du grand historien du paradis perdu de l'ancienne colonie française ? D'autant plus que ces érudits du XIXe siècle ont fini par conclure qu'il s'agissait d'un portrait de Le Jeune ! On peut alors, à juste titre, se demander quels auraient pu être les liens et circonstances historiques qui auraient pu rendre probable la présence d'un portrait du jésuite Paul Le Jeune dans cette mission ?
« En ce qui concerne le rapport entre Lejeune et Caughnawaga, la réponse est négative. Ce qui ne signifie pas qu'elle ne pourrait s'avérer très intéressante.
Lorsqu'il quitte définitivement la Nouvelle-France, en 1649, la colonie et les missions n'ont aucun rapport avec les Iroquois, depuis l'assassinat de Jogues à Ossossané, en 1646. À partir de ce moment, Lejeune est procureur de la mission, à Paris. Il lit, édite la relation annuelle. C'est dans la seconde moitié de la décennie, après 1650, que les jésuites vont tenter de s'établir en Iroquoisie. L'établissement de Caughnawaga viendra beaucoup plus tard.
L'important est que je ne connais aucun rapport entre Lejeune et la mission iroquoise. Or, l'intéressant, pour vous, certainement, c'est que vous puissiez en établir des relations iconographiques. Contrairement aux martyrs jésuites (Jogues, Brébeuf, Garnier, Daniel, etc.), notre missionnaire n'est pas une figure marquante de la colonie, alors qu'en fait il aura été probablement le missionnaire le plus important dans la relance de la mission à partir de 1632, comme supérieur et comme inspirateur des impératifs de la mission. Il n'a pas joué de rôle politique, comme Jérôme Lalemant ou Paul Ragueneau, mais il a influencé comme eux tout le développement à venir de la mission, particulièrement dans sa vocation "missionnaire", apostolique.
Tout l'intérêt est que je ne peux que répondre négativement à votre question : rien ne lie Lejeune à la réserve iroquoise. Pourquoi et comment la réserve serait-elle donc liée à lui [Collaboration de Guy Laflèche] ? »
Et si, toutefois, le portrait de Le Jeune, disparu de Caughnawaga, avait été une gravure telle que celle de 1665 Lochon OBAC, sa venue dans cette mission aurait pu dater d'aussi tôt que sa fondation en 1667. Gravure alors d'actualité, peut-être fraîchement reçue et semble-t-il largement diffusée, et mise là en souvenir de cet ancien supérieur des jésuites de Nouvelle-France nouvellement décédé. Bien que tous les premiers missionnaires de la mission aient pu l'y apporter, certains s'intéressaient davantage aux images, tel Chauchetière et Cholenec en rapport avec le portrait de Kateri Tekakwitha. Ce qui permettrait de corroborer l'assertion de Verreau en 1858, à l'effet que son identification s'était faite « par la tradition transmise de missionnaire en missionnaire » jusqu'à l'arrivée du curé Joseph Marcoux en 1819. Un maillon disruptif aurait cependant court-circuité cette chaîne dans son bon fonctionnement, puisqu'en un siècle et demi de cette transmission physique et orale, Le Jeune se serait alors vu « retouché et colorié », tel que rapporté par Philéas Gagnon en 1895 et corroboré par la photo de Lighthall, donc converti en Charlevoix !
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Le portrait original de Le Jeune, une gravure telle que celle de 1665 Lochon OBAC, y aurait donc subi un sort similaire à celui de Marguerite Bourgeoys peint par Pierre Le Ber en 1700 et totalement repeint au XIXe siècle, tout comme L'Ex-voto de la salle des femmes à l'Hôtel-Dieu de Montréal (Meunier 2016.12.07). Ces « ruptures de mémoire » sont fréquentes dans l'historiographie des oeuvres d'art de la Nouvelle-France, tel que démontré lors de l'étude de La « médaille » du baron de Fouencamps et l'iconographie de la Vierge à la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours.
Encore une fois, avec ce portrait disparu de Le Jeune converti en Charlevoix, ne sommes-nous pas à reconstituer archéologiquement les stratifications multiples des vestiges d'un objet du XVIIe siècle dont il ne reste que des fragments historiques épars... |
Anonyme sur la gravure rognée de René Lochon, Surpeints et inscriptions sur le portrait de Paul Le Jeune également identifié comme celui de Pierre-François-Xavier de Charlevoix, gravure 1665, surpeints XVII-XVIIIe siècle, gravure originale 360 x 272 mm rognée, inscriptions manuscrites indéchiffrables en haut, Caughnawaga aujourd'hui Kahnawake, oeuvre disparue. Détail tiré de la photo de William Douw Lighthall, The Books of the Old Jesuits and portrait of Père Lejeune. - Presbytère of Caughnawaga, vers 1887-1909, photographie, 20,2 x 25,3 cm, signée W.D.L., MMCR 1998.3624. |
Épilogue à l'oeuvre disparue, ou... Aujourd'hui, aucun portrait de Le Jeune alias Charlevoix ne se trouve à Kahnawake. Ma mémoire me joue-t-elle des tours, ou ne croit-elle pas se souvenir en avoir vu un, à Caughnawaga, vers 1969-1970 ? Alors que j'étais jeune étudiant en histoire de l'art ! Dans ce monde « imaginel », il orne le bureau du curé, entouré d'un magnifique cadre doré, au-dessus du bureau où écrivaient Lafitau et Charlevoix. Qu'attend-on pour inventer une imprinante 3D de nos pensées dont je me servirais volontiers ici et maintenant ? Car, je n'en avais pas pris de photo à cette époque de ma jeunesse, pensant que la localisation des oeuvres d'art était pérenne. Faux prérequis que je me suis par la suite empressé de rectifier en constatant la très grande mobilité de ces objets, très justement appelés mobiliers, au fil de la fermeture et de l'ouverture des maisons et archives jésuites. Je suspecte donc qu'il puisse s'agir de 1842 Légaré AJC photographié lors de l'exposition sur Joseph Légaré tenue en 1978 (Porter 1978) alors que j'étais conservateur de l'art canadien à la Galerie nationale du Canada, aujourd'hui le Musée des beaux-arts du Canada. À moins que ces souvenirs ne se bouscoulent et se téléscopent, se transforment dans la confusion de la conversion au sein de ce monde « imaginel » de la mémoire confondue de l'enfance de l'histoire de l'art...!? Mais, hérésie, si c'était le Légaré qui était à Caughnawaga, il serait dans le sens inverse de celui de Duncan pour Viger...! Vaut donc peut-être mieux en rester avec les bonnes vieilles données historiques qui s'avèrent moins évanescentes, même dans leurs incertitudes... Telle que la confirmation que les portraits de Le Jeune, Charlevoix, Marcoux et Lafitau ne seraient plus conservés à la paroisse Saint-François-Xavier de Kahnawake (collaboration de Gabriel Berberian, courriel du 10 juillet 2017). |
Les portraits du père jésuite Paul Le Jeune, |