Cuiller à servir d'Ignace-François Delezenne aux armes de la famille Baby.
Nouvelle-France : cuillers à servir et orfèvrerie domestique.
L'orfèvrerie en Nouvelle-France fut d'abord celle d'importation depuis la France, principalement de Paris, dès le début du XVIIe siècle. Le premier orfèvre mentionné y est Jean-Baptiste Villain en 1666. Delezenne y arrive vers 1740. Sa carrière sous le Régime français se termine avec le bombardement de sa maison atelier de la rue de la Montagne lors du Siège de Québec à l'été de 1759 (voir L'atelier de Delezenne).
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Les cuillers à servir de Delezenne.
La carrière d'Ignace-François Delezenne a couvert deux périodes très différentes : la Nouvelle-France et le Régime anglais. Certaines de ses cuillers à servir peuvent être datées de l'une ou l'autre. Elles seront donc étudiées contextuellement avec les cuillers à servir importées ou produites au Québec durant ces périodes. Le tableau ci-dessous les présente classées par dates. Une cuiller du MMBAM en est exclue car, avec ses 20,5 cm, elle doit plutôt être considérée comme une cuiller à soupe ou à potage.
Trois cuillers à servir du Régime français de la Nouvelle-France ne sont connues que par les archives : une pour Barsalou en 1748 et deux pour l'abbé Noël en 1755-1756. Leur étude a nécessité l'éclaicissement du vocabulaire des cuillers et une incursion dans les archives via les Inventaires après décès (IAD).
Les quatre cuillers à servir les plus anciennes de Delezenne qui ont été conservées datent de la Nouvelle-France : voir ci-dessous, section Cuillers, ainsi que dans celle consacrée à Ranvoyzé. Trois autres datent du Régime anglais : elles seront étudiées dans la section éponyme, ainsi que dans celle consacrée à Ranvoyzé.
Une autre cuiller à servir, mise en vente par Walker's, n'est pas datée car son poinçon n'est pas connu, ni sa localisation. Elle serait la deuxième plus lourde de Delezenne. La forme de son cuilleron se rapproche de celle aux armes des Baby, mais sa courte spatule se compare plutôt aux autres cuillers à servir de Delezenne.
Ignace-François Delezenne (1718-1790), Cuiller à servir, (Nouvelle-France ou Régime anglais) 1743-1790,
Argent, 247 g, 40,5 cm, Poinçon non vérifié, Walker's Fine Art & Estate Auctioneers (pdf), CP. Photo recto.
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Vocabulaire des cuillers au XVIIIe siècle.
L'essentiel Furetière 1690, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots François, tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, divisé en trois tomes, fixe l'acception et la graphie du terme que nous adoptons.
Les scribes de nos archives de Nouvelle-France utiliseront beaucoup la seconde graphie « cuilliere » proposée en second par Furetière 1690. Le Robert 1988, propose « cuiller ou cuillère » alors que le Robert 2017 propose « cuillère ou cuiller ». Le remarquable lexique spécialisé d'Arminjon 1984, Objets civils domestiques, Vocabulaire typologique, poursuit la voie adoptée par Furetière 1690.
Genêt 1974 (p. 103-104), tout en adoptant la graphie « cuillère », répertorie avec intérêt l'éventail des utilisations propres à nos archives au XVIIIe siècle au Québec (cliquer sur le dessin à droite pour voir le pdf de ces deux pages). |
Nous privilégions la simplicité de l'appellation historique « cuiller à servir » selon la première graphie donnée par Furetière et retenue par Arminjon. Par ailleurs, les appellations utilisées dans les fiches techniques des musées et collections (souvent reproduites dans les fiches techniques sur ce site) donnent une variété d'acceptions : cuiller à ragoût, cuiller à servir, cuillère à ragoût, cuillère à servir, cuillère de service et large spoon. Certaines demeurent anonymes, telles que celle-ci, probablement du XVIIIe siècle, et dont la justification de la date proposée de 1734 demeure nébuleuse.
Anonyme (18e-19e), Cuillère à ragoût, (Pays inconnu) Date inconnue [1734 d'après la fiche du musée ?],
Argent, 32,4 x 6 cm, Poinçon non vérifié, QMNBAQ 1960.255. Photo recto.
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Commande de Jacques Barsalou : « Cuilliere à soupe [...] Et une dite a ragout ».
La terminologie des cuillers peut porter à confusion dans l’interprétation de ce document concernant Ignace-François Delezenne, résidant alors à Montréal, et son client Jacques Barsalou en 1748.
« Audiance […] Entre Sr jacques Barsalou Comparant demandeur […] a ce que le defendeur cy apres nommé [Sr ignace Delzene orphevre] a remettre jouissemment aud Demand une grande Culliere à soupe pesant dix onces Et une dite a ragout du poids de six onces Le tout dargent bon Et valable [BANQ, Registre des audiences de la juridiction royale de Montréal, t. 24, 1746-1749, f° 309, du 13 juillet 1748.] »
La grande cuiller à soupe de Barsalou serait-elle une louche selon Arminjon 1984 (p. 266), qui se base sur la terminologie utilisée en France ? Ou une cuiller potagère selon le vocabulaire de Genêt 1974, p. 103, défini par le dépouillement des inventaires après décès à Montréal au XVIIIe siècle ? Il ne faut pas non plus les confondre avec la cuiller à soupe, de table ou à bouche, telle que nommée en France, « d’une longueur d’environ 20 cm, faisant partie d’une série, assortie en général aux fourchettes de table [Arminjon 1984, p. 258] », et la cuiller à potage « pour manger les soupes » selon la terminologie des documents notariés montréalais du XVIIIe siècle !
Cette commande du marchand, négociant ou écrivain du roi Jacques Barsalou à l'orfèvre Delezenne soulève également la question de la masse des objets d’orfèvrerie. Le gramme d’argent valant 0,83 $, le 8 juillet 2016, le matériau de la cuiller à servir pesant 286 g vaudrait donc 237,38 $ de nos jours. Pourquoi, alors, les musées et les historiens de l’orfèvrerie n’en tiennent-ils pas davantage compte dans leurs fiches techniques des objets ?
Les métaux précieux d’or et d’argent, matériaux de base utilisés par l’orfèvre, se vendent au poids, d’où cette spécification essentielle dans les contrats d’époque qui influe directement sur le prix et la valeur de l’objet. La grande cuiller à soupe de Barsalou, avec ses 10 onces (305,94 g), est plus lourde que sa cuiller à ragoût de 6 onces (183,6 g), l’once de Paris équivalant à 30,5941 g (Derome 1974a, p. 315). La cuiller à ragoût de Barsalou pesait donc 64% des 286 g de celle de Brian Laufer !
Aurait-il pu alors s’agir d’une cuiller à soupe ou à potage ? Le poids moyen de quatre cuillers de ce type, de l’orfèvrerie provinciale française du XVIIIe (collection RD), mesurant environ 20 cm, équivaut à 77,5 g, ce qui représente 42% de celui de la cuiller à ragoût de Barsalou. On peut donc conclure qu’il s’agissait bel et bien d’une cuiller à servir, d’autant plus que son poids est supérieur à celui de trois cuillers à servir françaises du XVIIIe, pesant respectivement 168, 140 et 160,5 g, donc moins que celle de Barsalou !
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Commande inédite d'orfèvrerie domestique somptuaire,
en 1755-1756, par l'abbé Jean-Baptiste Noël.
Un document inédit, d'une très grande importance, trouvé à l'occasion des recherches sur cette cuiller, révèle la fabrication de deux autres cuillers à ragoût. Il s'agit d'une commande d'orfèvrerie domestique somptuaire, en 1755-1756, par l'abbé Jean-Baptiste Noël à Ignace-François Delezenne, telle que révélée par une cause devant la prévôté de Québec, le 23 novembre 1756. L'importance de cette découverte commande une analyse élaboré de ses composantes. Ce qui permet de bien contextualiser la place de la cuiller à servir dans un intérieur domestique du XVIIIe siècle.
« Entre Mr. Noël pretre curé a St. Antoine demandr. Aux fins de son exploit du dix neuf de ce mois, comparant par Me. Décharnay Nore en cette prevosté d’une part et S. Ignace Delzaine orfevre deff assigné a ce jour par exploit de l’huissier Thibaut du dit jour dix neuf de ce mois present d'autre part apres que par le demandr. été conclue a ce qu'il nous plaise condamner le deffend. a luy livrer une paire de flambeaux d'argent, avec les mouchettes a soixante quinze livres le marc, les portes mouchettes a soixante douze livres, deux cuillieres a ragout, deux fouchons, et huit couverts de cinq marc aud. prix, une paire boucles de souliers, six cuillieres a caffé, avec caffetiere, et une soupiere, la caffetière et soupière a quatre vingt dix livres le marc, comme il si est obligé, par l'écrit du neuf octobre 1755 ainsy qu'il si est expliqué, concluans aux dépens par le deffend. a été di pour deffense qu'il conscient du marché, qu'il a fait avec le demand.; mais que comme il a été ordonné par Monseigneur L'Intendant de travailler pour le Roy pour ouvrages de traite Il n'a pu satisfaire a ses conventions, que cependant il a actuellement de fait huit couverts, deux cuillieres a ragout, et deux fourchons, une paire de boucles a souliers, qu'il assure remettre, que quant au surplus il ne peut le livrer, attendu comme il vient de le dire, il est occupé pour le service du Roy. Par le demand. repliqué qu'il ne peut accorder aucun delay au deffend. ses ouvrages ayant dus etre faits depuis pres de neuf mois ainsy qu'il si est obligé par son ecrit ou convention qu'il represente, Partie et criée assemble le procureur du Roy vu les conventions faites entre les parties le neuf octobre 1755. Nous condamnons le deffend. a fournir et livrer au demand. dans le jour de demain les huit couverts, deux cuillieres d'argent a ragout, deux fourchons, et une paire de boucles idem a souliers, que le deffendeur a déclaré, et a offert de remettre, et condamnons a remettre, et fournir au demand. le surplus des ouvrages dont il est question, et ce dans quinzaine et en outre aux dépens liquidé à six livres aux presentes comprises mandons &c [Signé] Daine » BANQ Québec : TL1 Fonds Prévôté de Québec ; S11 Registres et documents de la Prévôté de Québec ; SS1 Registres de la Prévôté de Québec. Le greffe de Jean-Baptiste Decharnay (Vachon 1955-1958) ne fournit pas d'autres documents à ce sujet. |
Delezenne argue avoir été obligé par l'intendant Bigot de travailler à l'orfèvrerie de traite pour le service du roi, ce qui explique son retard. Ce document met clairement en relief l'ampleur des énergies consacrées par Delezenne en tant que pionnier de l'orfèvrerie de traite...! Dans notre biographie de Delezenne (Derome 1980b), nous notions déjà : « De 1756 à 1759, Delezenne gère une véritable petite industrie de fabrication d’orfèvrerie de traite qui lui fait négliger sa production d’orfèvrerie religieuse et domestique. » Cette commande de l'abbé Noël corrobore cette assertion, tout en permettant de devancer à la fin de 1755 la forte implication de Delezenne en orfèvrerie de traite. Mais, aucun objet authentique (plusieurs faux ont circulé sur le marché) de ce commerce à très grande échelle n'a encore été retrouvé...!
Le marché original est signé le 9 octobre 1755. Le délai de remise des objets fixé moins de neuf mois avant cette comparution du 23 novembre 1756, donc vers la fin février ou début mars 1756. Delezenne avait donc 5 mois pour livrer tous ces objets. Par ce jugement, il est condamné à remettre le lendemain les objets déjà faits, soit le 24 novembre 1756, et le reste des ouvrages à compléter dans une quizaine de jours. Faire vite ne doit pas trop lui causer soucis, car son atelier regroupe le plus grand nombre d'engagés et d'apprentis en Nouvelle-France (Derome 1993, Derome 2005a, L'atelier de Delezenne) ! La tâche n'est quand même pas simple, puisque les objets qui restent à faire sont les plus gros, les plus complexes et donc, forcément, ceux qui commandent un prix plus élevé au marc d'argent. En effet, plus l'objet est somptueux, rare et volumineux, plus cette valeur est élevée car nécessitant une plus grande quantité du précieux matériau, difficile à trouver en si grande quantité sur le marché de Nouvelle-France. Seul le poids des couverts est indiqué et leur prix pourra être calculé avec la valeur du marc. Ce document nous prive cependant du poids réel des autres objets commandés par l'abbé Noël et de leur valeur ! Les IAD permettent de combler cette lacune et de mieux comprendre cette commande exceptionnelle. |
Jean-Baptiste Noël est né le 16 janvier 1709 à Saint-Pierre Île d'Orléans, fils de Marie Rondeau et Philippe Noël. Après ses études à Québec, il est ordonné le 18 octobre 1734. D'abord nommé à Champlain, il devient le premier curé de Saint-Antoine-de-Tilly en 1736 (Noël 1941 et Allaire 1910a). C'est en 1748 que son frère aîné, Philippe Noël (1705-1760), achète cette seigneurie des héritiers de Pierre Noël Legardeur de Tilly (web ou pdf). Son fils Jean-Baptiste (1731-1805), homonyme et neveu du curé, devient seigneur de Tilly en 1760. L'abbé Jean-Baptiste officie d'abord dans la première église de pierre, construite en 1721, qui remplaçait l'ancienne chapelle de bois érigée vers 1700-1702 (Gowans 1955, p. 130 et 140).
Le nouveau presbytère, construit en 1739 par l'abbé Noël mais qui n'existe plus, mesurait 47 pieds sur 24 (Noël 1941, p. 23 note 25). C'est également sous sa direction qu'est construite la seconde église de pierre, commencée le 6 février 1786 et terminée au milieu de l'été 1788, et qui existe toujours (Noël 1941, Noppen 1977a et QCBCQ 1990). Église de Saint-Antoine-de-Tilly avant la transformation de la façade en 1902. Photo tirée de Noël 1941, p. 71. Voir aussi RPCQ (web ou pdf). |
« Vue de l'emplacement où était situé le manoir seigneurial de Pierre-Noël Le Gardeur, seigneur de Tilly.
Aujourd'hui, nous en voyons encore quelques vestiges [Noël 1941, p. 19]. »
Chose certaine, l'abbé Noël avait de la fortune pour effectuer une commande aussi somptuaire à l'orfèvre Delezenne ! Et volumineuse, de par la quantité des objets ! Ils étaient certainement destinés à être utilisés dans le cadre de l'ancien presbytère qu'il habitait comme curé de Saint-Antoine-de-Tilly dont l'emplacement jouxtait l'ancien manoir. L'abbé Noël vivait donc en aristocrate ! Le nouveau manoir a été construit en 1786.
Ancien manoir de la famille Noël de Tilly à Saint-Antoine-de-Tilly. Photo vers 1925 BANQ P600,S6,D5,P598.
« En 1790, M. le Curé Noël, désirant prendre son repos, se retire au manoir, chez son neveu, le seigneur Jean-Baptiste Noël ; ce dernier s'oblige de lui donner un bon logement en lui accordant la plus belle partie du manoir et promet de loger son personnel et en outre, la gérance de ses affaires domestiques et temporelles ; mais s'il décède avant son oncle, (M. le curé Noël) l'administration sera transmise à son épouse, Geneviève Dussault. Monsieur le curé accepte ces conditions et s'engage à payer cent piastres d' espagne. (Greffe de Cadet) [Noël 1941, p. 72] ».
La personnalité de l'abbé Noël est bien mise en valeur dans l'abondante correspondance des évêques à l'occasion de sa retraite (RAPQ 1930-1931, dont seules les dates des lettres sont retenues ci-dessous). Ne pouvant plus effectuer son ministère à cause de son âge avancé, Mgr Hubert demande, le 6 janvier 1790, à Louis-Amable Prévost, curé de Saint-Nicolas, de s'occuper également de la cure de Saint-Antoine. Le partage des revenus, fixé le 6 août 1790, sera pour les deux-tiers en faveur de Prévost et du tiers restant pour Noël. Suite au refus de Prévost, le 20 septembre, il est remplacé par Jean-Baptiste-Antoine Marcheteau qui résidera à Saint-Antoine aux mêmes conditions.
Jean-Baptiste-Antoine Marcheteau (1761-1816), Saint Michel terrassant le démon, 1784, Huile sur toile, 114,6 x 78,9 cm, Signature à l'endos « Expers Artis | Pinxit | J: B:te Marcheteau | 1784 Eccle », MMHHD 1986.x.153. |
Mais l'année suivante, le 1er juin 1791, Noël n'a toujours pas reçu le tiers des revenus convenus de Marcheteau « engagé dans des procès, par suite de la mauvaise gestion de ses affaires personnelles [21 mars 1791] ». Il demeure inflexible dans sa requête, faisant la sourde oreille face à la situation précaire ainsi exprimée par son débiteur.
« C'est la faute du diocèse qui n'a pas voulu se cottiser pour les prêtres usés ou malades, et non la mienne. Car, vous le savez, je n'ai presque rien. Je suis moi-même à la charité du séminaire qui, à la vérité, agit à mon égard, avec toute la charité possible. D'ailleurs, j'ai sur mes charges, depuis un an et demi, deux jeunes prêtres, MM. Leclerc et Hamel, malades à l'Hôpital général, à raison de cent pistoles par an pour chaque. »
Mgr Jean-François Hubert sollicite l'abbé Noël qui « en réclamant son dû, aura tout de même égard aux dettes que M. Marcheteau a contractées, et lui fera autant de remise qu'il pourra. » Inflexible, Noël réitère sa demande le 6 octobre, date à laquelle Marcheteau est prié de payer ses dettes à l'abbé Noël, ainsi que celles contractées envers les fabriques de Saint-Marie et de la chapelle Sainte-Anne. Situation toujours inchangée au 9 avril 1792 où Marcheteau risque de perdre la cure de Saint-Antoine, menace réitérée le 3 août suite à ces « tracasseries » non encore résolues. Le 14 septembre Charles Bégin est envoyé à Saint-Antoine et Marcheteau à Saint-Nicolas.
Ce « coffre », contenant son trésor de monnaies d'or et d'argent décrit ci-dessous, a bel et bien été inventorié au décès de Noël ; il valait « neuf livres douze sols » (Noël 1941, p. 75). Coffre-fort de la fabrique de Saint-Denis-sur-Richelieu, fin XVIIIe ou début XIXe siècle, métal fer, 36,5 x 42 cm, environ 300 livres, Société du patrimoine religieux du diocèse de Saint-Hyacinthe, 56.2003.396 (collaboration d'Anick Chandonnet). |
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Le 27 septembre 1792, Marcheteau s'engage à signer une obligation envers l'abbé Noël, ce qui est fait le 1er octobre : Noël aura donc le droit de le poursuivre sans être obligé de recourir à l'évêque, alors que Marcheteau continuera à desservir les deux paroisses de Saint-Antoine et de Saint-Croix. En outre, le 25 novembre 1792, Mgr Hubert enjoint Marcheteau de remettre, à M. et Mme Noël seigneurs de Tilly, les ornements de la chapelle Saint-Anne, tout en qualifiant sa manière d'agir : « trop de pédantisme et pas assez de savoir-vivre » ! La dernière correspondance date du 8 janvier 1794 par laquelle l'abbé Noël est dispensé de la récitation du saint office.
« Quelques années après [sa retraite au manoir seigneurial en 1790], le 20 mai 1795, Messire Noël, en considération de la bonne harmonie qui régnait entre eux, fait une cession à son neveu et à son épouse au montant de six mille livres de 20 sols, créance due par un citoyen, marchand à Québec, en vertu de deux actes d'obligations passés devant Mtre Dumas notaire le trentième jour d'avril 1790 ; en retour, monsieur et madame Noël s'obligent de remplir loyalement leurs obligations comme par le passé. Monsieur le curé constitua le seigneur Noël, son mandataire général et spécial. (Greffe de Cadet) Monsieur l'Abbé Jean-Baptiste Noël mourut au manoir signeurial, le 16 janvier 1797, à l'âge de 88 ans [Noël 1941, p. 72] ».
Cette composante de la personnalité de l'abbé Noël, la thésaurisation à tout crin, mise en exergue dans ses relations avec l'abbé Marcheteau, est corroborée par le véritable trésor de 15 891# en monnaies d'or et d'argent inventorié après son décès. Cette grande variété de monnaies permet de fixer leurs taux de conversion à cette époque. Elles pouvaient provenir des dîmes reçues des paroissiens. Par son testament du 12 juin 1790 (Noël 1941, p. 73, référence au greffe de Joseph Cadet), l'abbé Noël lègue 1 000# à sa ménagère, Marie Pouliot veuve de feu Pierre Bergeron ; 300# à la fabrique de Sainte-Croix ; la moitié de ses avoirs à la fabrique de Saint-Antoine, ainsi qu'un calice d'argent et sa patène, la pierre d'autel et ornements ; le quart de ses avoirs aux pauvres de la paroisse de Saint-Antoine ; le quart restant à ses héritiers naturels ; ses livres aux pauvres ecclésiastiques du Séminaire de Québec. Son exécuteur testamentaire est son neveu Jean-Baptiste Noël, le seigneur de Saint-Antoine-de-Tilly. |
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Les extraits de l'inventaire dressé le 6 février 1797 par le notaire Joseph Cadet présentent les pièces d'argenterie qui étaient en possession de l'abbé Noël après son décès survenu le 16 janvier (Noël 1941, p. 73-75).
Peut-on y retracer les objets commandés à Delezenne en 1755-1756 ? Parmi ceux qui étaient faits en 1755-1756, on retrouve en 1797 deux cuillers à ragoût ou à servir accompagnées de deux fourchons. Les 8 couverts de Delezenne devaient figurer parmi les 17 au décès, de quoi servir une grande tablée ! Qui étaient les orfèvres auteurs de l'assiette, de l'écuelle et du pot ? La cafetière pourrait être celle de Delezenne ! Mais où étaient passés la soupière, les flambeaux, mouchettes et porte mouchettes si tant est qu'ils aient été fabriqués ? Auraient-il pu être donnés entre vifs au neveu hébergeant le vieux curé dans son manoir seigneurial ?
Dans son testament du 22 août 1798, le seigneur Jean-Baptiste Noël ne fait aucune mention de l'argenterie lorsqu'il lègue la plus grande partie de ses biens à son fils Jean-Baptiste (Noël 1941, p. 168, appendice 9). L'inventaire de ses biens, dressé le 12 mars 1823, soit 18 ans après son décès survenu en 1805, ne mentionne que quelques petits objets d'argent : 4 paires de boucles, gobelet, fourchettes et cuillers dont une grande (Noël 1941, p. 178, appendice 12). Aucune argenterie n'est mentionnée dans le testament (12 février 1836) de sa veuve, Marie-Josephte Boudreault, ni dans l'inventaire de ses biens (17 octobre 1836) (Noël 1941, p. 92-94).
L'orfèvrerie domestique de l'abbé Noël éclairée par les inventaires après décès (IAD).
Peu d'orfèvrerie domestique, tant en quantité qu'en types d'objets, a été conservée comparativement à l'orfèvrerie religieuse. Afin de bien comprendre la commande de l'abbé Noël à Delezenne, les IAD constituent un outil exceptionnel nous permettant d'entrer furtivement dans les résidences du XVIIIe afin de mieux comprendre la place qu'y occupe l'orfèvrerie civile.
Sur plus de 200 IAD consultés, 137 contiennent de l'orfèvrerie, soit plus de 69%, pour un total de 2 745 objets d'une valeur de 83 977#. À titre comparatif, la maison atelier de Delezenne, sur la rue de La Montagne à Québec (voir deux gravures ci-dessous), avait été payée 11 100# en 1752 (Derome 1974a, p. 280). Dans un même inventaire, on trouve un maximum de 106 objets, une moyenne de 20 ; un maximum de 25 types d'objets, une moyenne de 6 ; une valeur maximum de 5 399#, une moyenne de 613#. |
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L'argent au poinçon du pays, ainsi désigné par les notaires dans les IAD, est celui fabriqué par les orfèvres de Nouvelle-France. Il est quantitativement plus abondant que celui au poinçoin de Paris, dont la valeur est cependant supérieure, tant à cause de son poids plus élevé, de l'évaluation du marc (tableau ci-dessous), que de ses ascendants stylistiques et symboliques. La colonne argent, dont la provenance n'est pas connue, regroupe 60,7% des objets. L'argent au poinçon de La Rochelle est un cas exceptionnel, car ces 53 objets ne figurent que dans un seul inventaire, le 1er décembre 1706 (Raimbault 1283), celui d'un marchand bourgeois probablement en lien avec cette ville. L'argent haché se rencontre occasionnellement, mais sa valeur est beaucoup moins élevée. Le cuivre argenté n'est présent que pour une cafetière et un sucrier. | ![]() |
La ligne maximum présente le total le plus élevé d'objets figurant dans le même inventaire. Les nobles et riches administrateurs, fonctionnaires, militaires ou marchands, apportaient souvent de France leur argenterie. Ce qui explique que l'orfèvrerie parisienne puisse atteindre 106 objets chez une personne de ces classes sociales, au sommet de la hiérarchie, et pouvant se payer ce luxe. La colonne argent suit avec un maximum de 86, car elle contient souvent des objets importés de Paris chez les classes aisées, occupant ainsi une proportion mitoyenne avec l'argent du pays.
On trouve sur une autre ligne la moyenne des quantités d'objets provenant de l'ensemble des inventaires. La colonne argent remporte la palme, suivie du pays et de Paris. Ce qui est compatible avec le fait que chaque propriétaire d'une classe plus pauvre possédait forcément moins d'objets, mais ces objets se trouvaient répartis dans un plus grand nombre de foyers.
Le poids est une valeur fondamentale permettant d'évaluer la quantité de métal précieux dans les objets, donc leur valeur. Paris, avec 12,7% des objets représente 21% du poids, alors que pour le pays c'est l'inverse : 20,4% des objets pour 13,7% du poids. Il n'est donc pas étonnant que la colonne argent présente une position mitoyenne entre ces extrêmes, avec 60,7% des objets pour 46,3% du poids. Le poids moyen d'un seul objet est plus de deux fois supérieur pour l'argent au poinçons de Paris.
La valeur # se réfère aux évaluations notées par les notaires dans les inventaires, parfois effectués par un orfèvre appelé à cet effet. Souvent, on indique un poids et une valeur globales pour un lot d'objets, ce qui oblige à effectuer un calcul d'extrapolation pour connaître la valeur du marc ou la valeur totale des objets, ce qui est représenté par Val. tot. # qui compense ainsi pour les données manquantes.
Quel était le statut de l'argent au poinçon du pays, face aux importations au poinçon de Paris ? La quantité d'objets est plus grande de 161%, mais leur poids et leur valeur n'en représentent que les 2/3. Cette plus value de l'argent de Paris est d'autant plus marquante que ces objets proviennent de 16 documents, soit moitié moins de propriétaires que pour l'argent du pays ! |
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Souvent, les notaires évaluent en lots plusieurs objets en argent pour leur conférer un poids et une évaluation globale, notant parfois « tant au poinçon du pays que de Paris ». Quel est le statut de ces objets en argent face à ceux réunis qui sont clairement identifiés au pays et à Paris ? Ils représentent 183% en quantité, mais leur poids est moins élevé, à 133%. La valeur indiquée par les notaire se situe à 78%, alors que celle extrapolée se site à 126%. Donc, un savant mélange entre les caractéristiques décrites ci-dessus pour l'argent du pays et celui de Paris. |
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L'argent haché est un cas particulier non étudié dans Genêt 1974, ni dans Arminjon 1984. Absence comblée par Arminjon 1998 qui, sous ce terme, se réfère à deux techniques.
« Argent haché, voir Argenture au mercure [Arminjon 1998, p. 347]. [...] L'argenture au mercure relève du même procédé [que la dorure au mercure], avec un amalgame d'argent et de mercure [p. 277]. [...] Une fois l'amalgame [...] appliqué et chauffé, le mercure se volatilise et [l'argent] se répand en couvrant la surface à [argenter]. Ce procédé peut être appliqué sur presque tous les métaux, à l'exception de certains alliages à forte proportion d'étain ou de plomb sur lesquels [l'argenture] ne tient pas [p. 274]. »
« L'argenture à la feuille dite à l'argent haché relève du même procédé [que la dorure à la feuille dite à l'or haché où] les feuilles [d'argent] sont appliquées au brunissoir sur un fond de métal gravé de petites hachures et traits entrecoisés, avec un burin spécial appelé couteau à hacher. Ce procédé est reconnaissable par la présence de hachures sur le fond lorsque la couche [d'argent] a disparu. Ces dorures et argentures sont épaisses et solides [...] Ces hachures permettent l'adhérence de feuilles [d'argent], fixées en couches successives pour [argenter] la pièce [...] Pour l'argenture à l'argent haché, il faut dix à douze couches de deux feuilles [Arminjon 1998, p. 262 et 264, note 6]. »
Cette définition du CNRTL et la citation, tirée des Misérables de Victor Hugo, sied bien aux statistiques tirées des IAD ainsi qu'aux chandeliers reproduits ci-dessous.
« HACHÉ, -ÉE, adj. − B. ARTS GRAPH. et GRAV. − [En parlant d'une pièce de métal] Qui porte de petites entailles destinées à faire mieux tenir l'or ou l'argent qu'on y applique. Flambeaux en argent haché. Une paire de chenets en fer ornés de deux vases à guirlandes et cannelures jadis argentés à l'argent haché (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 32) [CNRTL - Centre national de ressources textuelles et lexicales]. »
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Le marc et sa valeur.
Le marc est une mesure de poids valant 244,7529 g (Trudel 1974a, p. 12). Le marc se divise en 8 onces, l'once en 8 gros, le gros en 3 deniers et le denier en 24 grains. Dans les IAD, l'évaluation de l'argent de Paris est parfois différenciée de l'argent du pays. Les données étant souvent incomplètes, la colonne « calcul » permet d'extrapoler les valeurs avec des marges d'erreurs variables. |
Le prix du marc demandé par Delezenne à l'abbé Noël, différencié en trois catégories selon les objets à fabriquer, est beaucoup plus élevé que celui des évaluations des notaires dans les IAD. Par contre, le prix du marc lors de ventes à l'encan peut dépasser celui donné par les notaires (Trudel 1974a, p. 16), à cause de la rareté des objets sur le marché, ainsi de celle du numéraire dans le contexte de la Nouvelle-France avec sa monnaie de carte ou d'ordonnance. Cette commande ouvre donc une fenêtre qui jusqu'ici était fermée : les prix véritables pratiqués en orfèvrerie domestique par Delezenne vis-à-vis ses clients en Nouvelle-France. Et vient conférer créance au calcul extrapolé du marc à 96# à la ligne maximum dans la colonne argent des IAD. Le seul poids indiqué dans la commande de l'abbé Noël, en 1755-1756, est celui des 8 couverts, soit 5 marcs à 72# pour un total de 360#, donc à 45# le couvert d'un poids de 152,97 g chacun. Un inventaire du 8 janvier 1756 (Danré de Blanzy 6573) évalue 5 cuillers à bouche et 5 fourchettes en argent poinçon de Paris à 144# pour 2 marcs, donc à 72# le marc et 28,8# du couvert d'un poids de 97,90 g chacun. Le prix du marc de Delezenne est donc aussi élévé que celui de Paris, ce qui confère aux lourds couverts de l'abbé Noël une valeur somptuaire. À titre comparatif, son couvert aux armes des La Corne pèse 148 g, soit 73 g pour la fourchette qui est légèrement plus petite que la cuiller pesant 75 g. |
L'inventaire après décès de l'abbé Noël, dressé en 1797, donne le poids des argenteries en piastres d'Espagne, ce qui est inusité. Il s'agit de la pièce de 8 réaux du réal espagnol ou real español, également nommée pièce de huit, peso de plata, real de a ocho, piastre d'argent, dollar ou peso espagnol, spanish dollar, piece of eight ou pillar dollar à cause des colonnes aux phylactères illustrées au revers la pièce qui ont donné naissance au signe du $. Il existait également des pièces d'autres format selon le schéma ci-contre, soit ¼, ½, 1, 2, 4 et 8 réaux. Dimensions relatives des pièces d'argent castillan selon un document de 1657. Source : web ou pdf. |
« Moneda española de ocho reales, acuñada en 1759 en la ceca de México [source]. » |
McCullough 1987, p. 52, pièce de « 8 R », soit ocho reales ou 8 réaux. |
« Pendant plus de deux cents ans les pesos issus des Monnaies américaines furent les maîtres indiscutables des marchés monétaires internationaux et le doublon de 8 pour l’or, les pesos ou real de 8 pour l’argent, furent les symboles tangibles de la richesse, du pouvoir et de l’influence du Nouveau Monde sur le commerce de l’époque [Marichal 2007, p. 112]. » « De 1600 à 1840 et peut-être même plus tard, la pièce de monnaie qui circula le plus couramment dans l'hémisphère occidental fut le dollar d'argent et, pour être plus précis, le dollar espagnol ou hispano américain. À cause de cette omniprésence, c'est sur lui que fut basé le cours d'Halifax et toute variation de sa valeur intrinsèque se répercuta sur la valeur de ce cours. [...] Poids à la frappe, de 1772 à 1848, 417,6 grains [McCullough 1987, p. 253 Appendice B, p. 255 tableau 42, p. 265 Appendice E pour la mesure de la monnaie anglaise en poids de troy]. » « Un cours qui a acquis une importance considérable en Amérique du Nord britannique est le cours de Halifax. Ce cours, qui tire son nom de la ville où il a été institué, fut sanctionné par une loi votée par la première assemblée législative de la Nouvelle-Écosse en 1758. Exprimé en livres, shillings et pence (£, s et d), il établissait à 5 shillings en monnaie locale la valeur du dollar d’argent espagnol (d’Europe ou des colonies) de 420 grains [troy selon la note 23]. Cette valeur du dollar espagnol devait être utilisée pour le règlement des dettes. Le dollar espagnol acquit ainsi le statut de monnaie légale en Nouvelle-Écosse [Powell 2005.12, p. 14-15]. » |
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Afin d'évaluer les l'argenterie de l'abbé Noël inventoriée en 1797, il faut convertir la valeur de l'unité de poids utilisée, la piastre d'Espagne, en grammes. Pour les calculs nous avons retenu le taux très précis de McCullough basé sur la citation ci-dessus, soit 27,06 g pour 417,6 grains troy (McCullough 1987, p. 253). La cafetière représente un poids considérable avec ses 3 734,3 g de métal précieux, 38% du total de 9 958,1 g ! L'écuelle et l'assiette suivent. Impossible de connaître le poids des cuillers à servir car elles ont été pesées en même temps que les fouchons ! |
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Après conversion, les 4 couverts les plus lourds de l'abbé Noël, identifiés par la lettre B en vert, pèsent 155,6 g selon la méthode de conversion la plus précise, celle de McCullough, représentant 102% des 152,97 g stipulés dans la commande à Delezenne. On peut donc conclure que les 4 couverts B, ainsi que les 4 C évalués au même prix en 1797, correspondent aux 8 commandés en 1755-1756, les 9 autres n'étant pas assez lourds. Lors de sa commande à Delezenne, l'abbé Noël a payé chacun de ses couverts 45#. À son décès, les plus lourds ne sont évalués qu'à 34,5#. Leur coût d'achat était donc 130% plus élevé ! |
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Cette différence s'explique par un amalgame de plusieurs réalités. Delezenne pratiquait des prix très élevés dans une période de fébrilité économique à la fin du Régime français. En 1755-1756, la valeur facturée à l'abbé Noël par Delezenne pour un couvert de 152,97 g est de 45#. Ce qui équivaut à 5,7$ piastres d'Espagne au taux de 8# pour 1$, alors que le cours officiel est de 6#, donc une plus value du tiers en période inflationniste où les monnaies de carte et d'ordonnance dominent alors que le numéraire est rare. La surévaluation des monnaies réelles d'or et d'argent dans le commerce par rapport à leur tarif légal fut d'ailleurs un phénomène largement répandu en Europe du XIIIe au XVIIIe siècle (Van Werveke 1934, p. 18). Ce qui n'est plus le cas en 1797, alors que la piastre d'Espagne est évaluée au cours officiel, soit 6# (McCullough 1987, tableau 43 p. 263), par le notaire Joseph Cadet qui a cependant sous-évalué à 88#16s la quadruplée d'Espagne dans l'inventaire du trésor de monnaies de l'abbé Noël, alors que son cours légal est 16 fois celle de piastre et aurait donc dû valoir 96# !
Par ailleurs, la valeur des anciens couverts de style français a pu décroître après quatre décennies d'utilisation et d'usure. Il faudrait pouvoir comparer le prix de vente qui aurait pu en être obtenu en rapport avec celui d'un couvert comparable fabriqué par un orfèvre de Québec en 1797 dans un marché et une société métamorphosés par le commerce d'importation britannique (Les cuillers à servir sous le Régime anglais (1759-1839)).
Ce type de Balance de changeur du XVIIIe siècle a été utilisé à l'Hôtel-Dieu de Montréal par les religieuses hospitalières de Saint-Joseph, donc probablement aussi en Nouvelle-France et au Québec par divers corps de métiers dont les orfèvres et les notaires. Sa TABLE... ne nous avance pas dans la conversion des piastres d'Espagne. On n'y trouve en effet mention que de la « quadrup. d'Espagne » (graphie mieux lisible sur celle d'une autre collection).
Les monnaies d'Espagne Ces tableaux sont des mises en forme du texte de Bonneville 1806 (p. 32) qui indique, en italique, les noms officiels et vernaculaires des monnaies en espagnol puis en français, auxquels il ajoute (en parenthèse) une autre appellation qui ne relève ni du nom intrinsèque de cette monnaie, ni de sa valeur, ni de son existence en pièce réelle, mais qui correspond, dans le cas du (Quadruple), à celle de la TABLE... de la Balance de changeur. À ces informations, nous avons ajouté les valeurs en Escudos, en Réaux et en Pistoles (colonnes en jaune pâle), ainsi que des précisions sur le Réal de veillon (au bas de cet encadré).
En espagnol, l'Escudo de oro a été doublé et la nouvelle pièce a été nommée el Doblon de oro qui, doublée à son tour, s'est appelée el Doblon de á quatro et qui, doublée elle aussi, est devenue le Doblon de á ocho. Alors qu'en espagnol l'unité de base qui est doublée plusieurs fois est l'Escudo de oro, les Français lui ont substitué la Pistole qui, doublée deux fois, est devenue la (Quadruple) ! Cette appellation, typiquement française, représente donc une « quadruple pistole [Bonneville 1849, p. 111, Pl. 1 et 2] » ! Cette (Quadruple) est nommé par McCullough, dans son étude sur les colonies britanniques d'Amérique, doublon ou pièce de 4 pistoles, mais aussi doublon crénelage espagnol ou pièce de 4 pistoles (McCullough 1987, p. 55 et 59 ; on devrait plutôt dire doublon de huit écus à bordure crénelée). Son poids est de 7 gros 3 grains de marc soit 26,93 g (table de la balance), 7 gros 4 grains de marc soit 26,98 g (Bonneville 1806, p. 38), ou 408 grains troy soit 26,44 g (McCullough 1987, p. 55 et 59).
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Cette pile est un étalon monétaire, servant aux ateliers régionaux ainsi qu'aux artisans travaillant l'or ou l'argent, aux orfèvres, joailliers, batteurs d'or et passementiers. L'unité principale est la « livre poids-de-marc », qui vaut 2 marcs de cette pile, soit 489,5 g. Pile de poids de 50 marcs dite « pile de Charlemagne » et son écrin, vers 1450-1510, Laiton, avec écrin 16 x 18 x 21,5 x 13,14 cm, Musée des arts et métiers 03261-0000-. Source : web ou pdf.
Illustration de l'utilisation de la "pile de Charlemagne" et d'une balance à fléau dans cette oeuvre de Quentin Metsys,
Le Prêteur et sa femme, aussi appelé Le Changeur et sa femme, Le Peseur d'or et sa femme ou Le Banquier et sa femme, 1514,
huile sur panneau, 71 x 68 cm, Musée du Louvre, Paris, INV 1444.
"Pile de Charlemagne", de fabrication moderne. Source : web ou pdf.
Il est intéressant de comparer les prix de Delezenne avec ceux de l'orfèvre le plus important de Nouvelle-France, Paul Lambert dit Saint-Paul. Dans son inventaire après décès, dressé du 28 novembre au 3 décembre 1749, le notaire Dulaurent a retranscrit des extraits du livre de compte ou journal de l'orfèvre. Le tableau ci-dessous présente les poids des couverts cités dans la transcription partielle de Morisset 1945d. Nous y ajoutons une estimation de la valeur d'un couvert selon la moyenne du prix du marc au poinçon du pays dans les IAD.
L'examen de 8 couverts d'orfèvrerie provinciale française d'Ancien Régime démontre que les orfèvres, tout comme Lambert ci-dessus, jouissent d'une grande latitude dans le poids des cuillers et fouchettes de couverts, ce qui se ressent immédiatement dès que l'on soupèse l'un ou l'autre des exemplaires provenant d'orfèvres ou de régions différentes. La moyenne de 8 de ces couverts, pesant ensemble 1 160 g, donne un poids d'environ 145 g par couvert, ce qui se rapproche de la valeur moyenne calculée ci-dessus pour les 21 couverts de Lambert. Mais inférieur aux 152,97 g des 8 couverts de Delezenne pour l'abbé Noël qui, tout comme ceux haut de gamme de Lambert, sont d'une qualité supérieure que l'on peut qualifier de somptuaire.
L'étude des Inventaires après décès (IAD) a révélé l'importance du poids des objets en marc. Les critères du poids et de la longueur ont donc servis de base au classement des cuillers à servir de Delezenne dans le tableau ci-dessous.
Le poids est l'élément qui influe le plus sur la valeur d'origine de la cuiller. Le second critère de classement est la longueur. La cuiller de Brian Laufer (ci-dessous) s'y démarque nettement par ces deux variables. Ces données soulignent donc, avec évidence, le caractère exceptionnel de cette cuiller aux armes de la famille Baby.
Ignace-François Delezenne (1718-1790), Cuiller à servir, (Nouvelle-France) 1740-1763,
Argent, 286 g, 41,9 cm, I,F,D (1), Armes Baby, Famille Baby, CBL. Photo RD recto verso poinçon goutte armes, Brian Laufer poinçon.
Les objets commandés par l'abbé Noël et leur présence dans les IAD.
Comment se situe la commande d'orfèvrerie domestique de l'abbé Noël à Delezenne, en comparaison des mêmes types d'objets présents dans les IAD ? Les ustensibles de table ou de bouche y occupent 65% du nombre des objets ; ce qui n'est guère étonnant, puisque les mêmes ustensiles en argent occupent de 81% à 92% de ce territoire dans les IAD.
Roland Paradis (vers 1696-1754), Fourchon ou fourchette à servir, vers 1728-1754, argent, 26 cm, QMNBAQ.
Les deux fourchons (terme utilisé dans les IAD), fourchettes à rôti ou à servir de l'abbé Noël, compagnons de la cuiller à servir, comptent pour 6% d'objets dans sa commande à Delezenne. C'est un luxe qui se situe dans une moyenne trois fois supérieure au total de 2% de ceux trouvés dans les IAD. Celui de l'abbé Noël aurait pu ressembler à celui de Roland Paradis (Bourassa 1992) qui connaissait Delezenne puisqu'ils ont prisé ensemble les outils de l'orfèvre Jacques Gadois dit Mauger à son inventaire après décès, le 14 janvier 1751 (Derome 1974b, p. 156). Les IAD fournissent des informations sur 4 fourchons du pays, 4 de Paris et 29 autres en argent. Espérons que l'un ou l'autre de ces 37 exemplaires ait pu survivre à la fonte des objets anciens, fréquemment utilisée pour remettre au goût du jour les anciennes argenteries en les faisant refaire par un orfèvre à la mode. Le QMNBAQ (1960.380) en conserve un autre, de 21,9 cm par Paul Lambert, aux armes de Jean-Victor Varin de la Marre et de Charlotte Liénard de Beaujeu.
Les deux cuillers à ragoût ou à servir occupent 6% de la commande de l'abbé Noël, ce qui est supérieur aux 4% des IAD. On pourra se faire une idée de l'apparence des deux cuillers à ragoût de l'abbé Noël en examinant l'ensemble des cuillers à servir de Delezenne et, plus particulièrement, celles datant de la Nouvelle-France.
Les autres objets commandés par l'abbé Noël sont des objets somptuaires de grand luxe. Ses mouchettes qui représentent 3% de sa commande, n'occupent que 1% du même espace en argent du pays et 0,8% en argent. Avec cet objet il se situe donc dans un luxe comparable à l'argent au poinçon de Paris avec ses 3%. Les porte-mouchettes occupent une place similaire dans ce goût du luxe. Paris France 1728-1729, Mouchettes et porte-mouchettes, 21,5 cm, armoiries de la famille Abbadie de Saint-Castin, Montréal Congrégation Notre-Dame, photo RD. |
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Ses 6% de flambeaux sont supérieurs aux 2% en argent du pays et aux 3,2% en argent incluant les chandeliers, mais inférieurs aux 7% au poinçon de Paris. À GAUCHE - Jacques Pagé dit Quercy, Chandeliers ou flambeaux, éteignoir, argent, 21,5 cm, armoiries de Henri-Louis Deschamps de Boishébert (1679-1736), QMA, photo RD. À DROITE - Paul Lambert dit Saint-Paul (1691-1749), Chandelier, vers 1729-1747, argent, hauteur 25,1, dimètre 11,3 cm, Birks, OMBAC nº 24001. |
La soupière et la cafetière de l'abbé Noël sont, sans contredit, des objets somptuaires de très grand luxe. Dommage que ces objets exceptionnels fabriqués par Delezenne n'aient pas été conservés ! Leur analyse détaillée s'avère indispensable.
La soupière en argent de l'abbé Noël par Delezenne, un objet rare en Nouvelle-France.
« Le terme [soupière] n'apparaît pas avant le XVIIIe siècle. Il ne figure ni dans le Dictionnaire de Richelet de 1680, ni dans celui de Furetière de 1690, ni dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie de 1694. La soupière correspond à l'unique grand récipient couvert en étain, en faïence ou en poterie plombifère, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, dans la vaisselle populaire. On ne trouve mention dans les grands services de la seconde moitié du XVIIIe siècle, que de pots à oille et de terrines qui préfigurent la soupière. Le terme "soupière" apparaît dans l'Annonce du Journal de France de 1782 [...], dans la liste des objets constituant le service commandé par Louis XVI de 1783 à 1803 [...]. La soupière figure dans tous les services du XIXe siècle, souvent par nombre pair et sous des formes variées (ovales, à pans) [Arminjon 1984, p. 140, note 1]. »
« Le Moyen Âge donna le nom de potage à tous les aliments qui étaient cuits à l'eau dans un pot. Les potages étaient épaissis avec des soupes, tranches de pain, le plus souvent grillées. Le nom de soupe fut ensuite donné aux potages épaissis (R. Lecoq, Les Objets..., p. 225) [Arminjon 1984, p. 140, note 2]. »
La plus ancienne soupière du Québec ancien est celle de Jacques Varin dit Lapistole (actif 1756-1791), portant le chiffre des sulpiciens de Montréal, complétée d'un couvercle par Robert Cruickshank (actif 1774-1807).
Une autre a été fabriquée par Laurent Amiot (actif 1787-1839) et a été inventoriée par Traquair dans la collection d'Adine Baby-Thomson. |
On trouve régulièrement de l'orfèvrerie dans les inventaires après décès de la Nouvelle-France. La soupière en argent n'est relevée qu'une fois dans nos IAD. En 1748, dans le buffet de la salle d'un négociant de Montréal, on trouve un « plat à soupe » au poinçon de Paris pesant 9 marcs d'une valeur de 618# ; ainsi qu'une « soupière à pied » faisant partie d'un lot de 54 objets pesant 31 marcs et valant 1 705# (IAD, Danré de Blanzy, 3545, 25 avril 1748). L'appellation plat à soupe peut aussi bien désigner une assiette à soupe ou une soupière (Arminjon 1984, p. 120 note 2 et p. 140). Le marc équivalant à 244,7529 g, le matériau de ce plat à soupe pesait donc 2 202,7761 g. Le gramme d’argent valant 0,83 $, le 8 juillet 2016, ce lourd objet de 2,2 kg vaudrait donc aujourd'hui 1 828,30 $ ! Si on y ajoute la même somme pour la fabrication par l'orfèvre, ce plat coûterait donc aujourd'hui 3 656,60 $. On peut donc conclure que ce plat à soupe était une soupière et non une assiette à soupe. Quant à la « soupière à pied », la seule figurant dans nos IAD, pourrait-il s'agir d'un pot à oille ou d'une terrine ? Quant au « plat à bouilly », sa signification n'est pas bien établie ! Par ailleurs, on trouve plusieurs autres plats à soupe dans les IAD qui seraient donc des soupières...!
Plat à soupe au poinçon du pays. 1750/12/03 (Danré 4386) - Garde des magasins du roi - Buffet de la salle d'entrée - 1 plat à soupe dans un lot de 18 objets valant 2 388#. - 1751/01/14 (Danré 4400) - Marchand bourgeois - Armoire dans la salle. - 1 plat à soupe dans un lot de 8 objets pesant 22 marcs valant 1 163#. - Plat à soupe au poinçon de Paris. 1744/01/24 (Danré 1994) - Négociant - Salle, armoire - 1 grand et 1 moyen plat à soupe dans un lot de 106 objets pesant 95 marcs valant 4 572#. - 1754/01/02 (Danré 5581) - Militaire - Buffet de la salle - 1 plat à soupe en long dans un lot de 8 objets pesant 35 marcs valant 2 076#. - 1755/09/22 (Danré 6522) - Le Gardeur de Saint-Pierre, chevalier de l'ordre Royal et militaire de Saint-Louis - Militaire, capitaine d'infanterie, chevalier de Saint-Louis. - Salle, Armoire à côté de la cheminée. - 1 plat à soupe dans un lot de 64 objets pesant 68 marcs 6 onces valant 3 609#. - |
Plat à soupe en argent. 1755/03/07 (Panet 14) - Marin, feue Veuve, épouse de Paul Lamarque Ecuyer Sieur de Marin - Militaire, capitaine des troupes de la marine - Chambre au 2e étage - 1 plat à soupe grand dans un lot de 29 objets pesant 65 marcs 4 onces 2 gros valant 3 145# 10 « suivant la pezée qui en a été faite par le Sieur Jean Joram Me orphevre en cette ville pour ce appelé ». - 1756/10/09 (Danré 7007) - Feltz, Dame Ferdinand. - Chirurgien major des troupes de la garnison de Montréal. - Salle, dans un petit buffet. - 1 plat à soupe dans un lot de 34 objets partie poinçon de Paris et du pays pesant 37 marcs 4 onces 4 gros estimé à 52# 10s le marc revenant à la somme de 1 969# 15s. - 1757/01/26 (Danré 7070) - Chasier, Charles Douaire. - Marchand bourgeois. - Salle, buffet. - 1 plat à soupe dans un lot de 70 objets pesant 65 marcs estimé à 52# 10s le marc revenant à la somme de 3 412# 10s. - 1759/04/03 (Danré 7963) - Sieur Vallée. - Marchand - Salle, buffet. - 1 plat à soupe dans un lot de 59 objets poinçon de Paris et du pays pesant 75 marcs 2 onces prisés 52# 10s le marc valant 3 898# 2s 6d. - 1759/05/25 (Panet 1098) - Marchand - 1 plat à soupe dans un lot de 12 objets pesant 12 marcs valant 576#. - |
La soupière de Delezenne pour l'abbé Noël est bien une commande somptuaire. Mais elle n'est pas isolée dans les avoirs domestiques de cette période où on relève, entre 1740 et 1760 à Montréal, 1 soupière et plusieurs plats à soupe. Seuls 2 sont en argent du pays, donc d'orfèvres de la Nouvelle-France tels que Delezenne, alors que 5 proviennent de Paris. Celle des 6 autres n'est pas identifiée, mais elle doit se répartir dans des proportions similaires, soit 2/7 (29%) pour l'argent du pays et 5/7 (71%) pour celui de Paris. La soupière de Delezenne s'ajoute donc aux 13 autres connues par les archives et aux 2 autres conservées, quoique postérieures à la Nouvelle-France.
Même dans la ville natale de Delezenne, soit à Lille dans le nord-est de la France, la soupière est un plat rare au XVIIIe siècle. Le remarquable ouvrage de Cartier 2006 (p. 430) n'en relève qu'à compter du milieu du XVIIIe, en 1755 et 1756, ajoutant : « Le petit nombre de plats à soupe, de soupières et de terrines en argent s'explique par leur poids d'argent, par leur prix et par la concurrence de la porcelaine ». Celle de François Ricourt (1733-1783) avec ses airs de potiron, datée de 1756-1757 à Lille, présente des formes simples, arrondies et unies, comparables à plusieurs oeuvres de Delezenne. |
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La cafetière en argent de l'abbé Noël par Delezenne, un objet rarissime en Nouvelle-France.
Dans la commande de l'abbé Noël, la cafetière est le deuxième objet le plus rare et cher en métal précieux.
Ces formes simples, arrondies et unies, ne sont pas loin de certains objets façonnés par Delezenne.
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Les cuillers à café en argent sont très répandues, mais la cafetière de ce métal précieux est très rare, se retrouvant seulement les très bien nantis. Philippe Rigaud de Vaudreuil en possédait 2 en 1726. Celle de Claude-Thomas Dupuy, pesant 1 marc 4 once et estimée à 51# le marc, fut vendue à 79# le marc, pour 105#, à M. Dupont en 1730 (Trudel 1974a, p. 14, 16). Massicotte 1924 a bien publié un court article consacré au Café, thé et chocolat en la Nouvelle-France, mais on n'y mentionne aucune pièce d'orfèvrerie. Dans les IAD on n'en relève que deux en argent, dont la provenance du poinçon n'est pas identifiée, et une autre en cuivre argenté.
1755/08/25 (Danré 6512) - Profession non déclarée - Chambre, buffet. - 1 petite cafetière en argent 6#. -
1757/01/26 (Danré 7070) - Chasier, Charles Douaire. - Marchand bourgeois. - Salle, buffet. - 1 cafetière dans un lot de 70 objets pesant 65 marcs estimé à 52# 10s le marc revenant à la somme de 3 412# 10s. -
1757/09/27 (Danré 7424) - Lepaillieur, Charles. - Marchand bourgeois. - Salle, dans un buffet. - vieille caffetierre de Cuivre argentee prisée 12#. -
Qu'en est-il de la cafetière à Lille, la ville natale de Delezenne ?
Cette cafetière du contemporain de Delezenne à Lille, Pierre-Joseph Pontus (1746-1791), date 1748-1749 (H. 18,5 cm, 490 g). Sa simplicité aurait plu à Delezenne, pressé de livrer par sentence de la cour, dans une quinzaine de jours, un tel objet à son client, l'abbé Noël. Cartier 2006 reproduit plusieurs autres cafetières, plus sophistiquées, fabriquées à Lille au milieu du XVIIIe siècle. |
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Dans l'orfèvrerie du Québec ancien, on conserve cette somptueuse cafetière d'un décor néo-classique beaucoup plus tardif que le style qui aurait pu être adopté par Delezenne sous le régime de la Nouvelle-France. Laurent Amiot, Cafetière de la famille Le Moine, vers 1796, argent et acajou, 32,9 x 22,2 x 11,8 cm, Don de Suzy M. Simard, Westmount (Québec), 1994, à la mémoire du Dr et de Mme Guy Hamel, OMBAC nº 37674. |
NOUVELLE-FRANCE | Plat à ragoût | ![]() |
CUILLERS ET ORFÈVRES : IAD - Baudry - Pagé - Lambert - Paradis et Delique - Delezenne. |
Les cuillers à servir et les orfèvres.
Les cuillers à servir et leurs propriétaires dans les inventaires après décès (IAD).
Les IAD relèvent 15 cuillers à servir ou à ragoût, en argent du pays, donc fabriquées par l'un ou l'autre de la cinquantaine d'orfèvres actifs en Nouvelle-France. On peut se demander ce qu'un garde des magasins du roi faisait avec les 4 qu'il possèdait parmi son impressionnant patrimoine de 69 pièces d'orfèvrerie d'une très grande valeur monétaire. Quelques marchands en ont 2, alors qu'un aubergiste, un voyageur et un militaire n'en utilisent qu'une. Seuls un marchand bourgeois et un aubergiste possédaient également plusieurs autres objets en argent de Paris. Le marchand bourgeois Charles Lepailleur possédait également 8 objets en argent haché et un en cuivre argenté.
L'argent de Paris étant habituellement plus cher, il n'est donc pas étonnant que la quantité de cuillers à servir dans cette catégorie ne représente que les 2/3 de celles en argent du pays. Ce sont des militaires, souvent venus de France, ou des marchands qui les possèdent. La plupart se sont procuré nombre d'autres pièces d'orfèvrerie en métropole pour une très grande valeur monétaire, alors que deux, peut-être moins nantis ou nés ici, ont choisi d'encourager les orfèvres locaux. Un militaire possédait également 4 objets en argent haché.
Les IAD présentent un total de 70 cuillers à servir dont 45 (65%) ne sont pas identifiées par les notaires à l'argent du pays (15 ou 21%) ou de Paris (10 ou 14%). Neuf propriétaires n'en possèdent qu'une, onze en utilisent 2, alors que deux en possèdent même 3, voire 4 pour deux autres. Il n'est pas surprenant de constater qu'ils font tous partie des classes les plus aisées de la société, majoritairement des marchands, négociants ou militaires, un chirurgien, un médecin, le gouverneur et son secrétaire. Plusieurs d'entre eux possédaient également quantité d'objets en argent haché ainsi qu'un en cuivre argenté, mais la cuiller à servir en métal argenté n'apparaîtra que sous le Régime anglais.
Anonyme (18e-19e), Cuillère à ragoût, (Pays inconnu) Date inconnue,
Argent, 29 x 2,8 x 5,6 cm, Poinçon non vérifié, MPSS 1976.1689. Photo recto.
CUILLERS ET ORFÈVRES : IAD - Baudry - Pagé - Lambert - Paradis et Delique - Delezenne. |
La plus ancienne cuiller à servir par Guillaume Baudry dit Des Buttes.
Guillaume Baudry dit Des Buttes (1656-1732), Large spoon et Cuillère, (Nouvelle-France) 1689-1732,
Argent, 39,9 cm, B dans un cartouche dentelé, D V G à l'endos de la spatule, Ramsay Traquair, MMMBA 1952.Ds.30. Photo verso.
Merci à Brian Laufer d'avoir déniché cette photo dans les Archives de Ramsay Traquair, MUMcG, CAC, 103021.
Léguée par Ramsay Traquair au MMMBA, 1952.Ds.30, avec le tastevin au même poinçon.
Pour la photo du poinçon voir Derome 1974b, p. 19.
Parmi la vingtaine de cuillers à servir conservées de la période de la Nouvelle-France, celle-ci pourrait bien être la plus ancienne. Sa goutte, de facture archaïque avec sa pointe triangulaire acérée, brille par son originalité et sa rareté. Elle pourrait être l'une des deux seules oeuvres conservées de l'armurier Guillaume Baudry dit Des Buttes à qui on attribue ce poinçon tout à fait particulier. Né à Québec en 1656, son père lui lègue un terrain à Trois-Rivières en 1679, ville où plusieurs documents attestent de son activité. Il s'y marie, en 1682, à Marie-Jeanne de la dynastie familiale des Soulard, arquebusiers, armuriers et orfèvres. On le dit arquebusier et armurier à compter de 1689, orfèvre en 1712 (Derome 1974b, p. 17-20). Son fils Jean-Baptiste fut l'un des armuriers pionniers de Détroit.
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La seule oeuvre connue de Joseph Pagé dit Quercy.
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Joseph Pagé dit Quercy (1701-v1730), Cuiller à ragoût, (Nouvelle-France) 1722-1730,
Argent, 27,5 x 5,2 cm, IP dans un quintefeuille, Un croix ME, QS, QMC 1991.1050. Photo RD QSME:7:27-34.
Cette cuiller à servir pourrait bien être la seule oeuvre conservée de l'orfèvre Joseph Pagé dit Quercy qui a travaillé dans l'ombre de son entreprenant et productif frère Jacques, le premier orfèvre né et formé en Nouvelle-France. Tout comme celle attribuée à Guillaume Baudry dit Des Buttes, cette oeuvre ancienne présente des caractéristiques archaïques par sa somptueuse queue de rat unissant le costaud cuilleron au manche plutôt court et trapu, ainsi que par son unique poinçon dont les initiales IP figurent dans un quintefeuille. Elle porte le chiffre ME l'identifiant au Séminaire des missions étrangères de Québec. Sa spatule sans épaule aurait pu influencer celle de Delezenne réalisée sous le Régime anglais pour QMA.
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Le grand maître Paul Lambert dit Saint-Paul et ses origines à Arras.
Paul Lambert dit Saint-Paul et Samuel Payne, Écuelle, vers 1732,
Argent, H. 5,9 cm, Diam. 16,5 cm, L. 27,9 cm,
poinçon une fleur de lis à double base, PL, une étoile, poinçon une couronne, un emblème, SP,
chiffre AG, monogramme PC ou CP, MMBAM, legs Ramsay Traquair, 52.Ds.20.
Tous les auteurs reconnaissent à Paul Lambert dit Saint-Paul d'avoir dominé le marché de l'orfèvrerie en Nouvelle-France. Gérard Morisset lui a consacré une monographie qui demeure pertinente par l'abondance des sources d'archives utilisées (Morisset 1945d et cet article plus superficiel Morisset 1950.01.01) et dont Guy Jasmin a effectué un compte rendu (Jasmin 1945.07.02). En 1974, l'importante exposition sur L'orfèvrerie en Nouvelle-France a confirmé l'importance et la grandeur de cet orfèvre (Trudel 1974a), tout en faisant le point sur les sources d'archives le concernant (Derome 1974b).
Une biographie peu documentée de l'orfèvre publiée la même année (Langdon 1974), présente un succinct résumé des enjeux le concernant, tout en attirant l'attention sur l'interprétation faite par Ramsay Traquair (Traquair 1940) des poinçons PL et SP présents sur une écuelle de sa collection léguée au MMBAM qui fait l'objet d'une étude détaillée dans le périodique de ce musée (Derome 1975.03). On y conclut que le poinçon SP ne devrait pas être associé au pseudonyme « Saint-Paul », mais plutôt à l'orfèvre Samuel Payne qui a pu travailler en collaboration avec Paul Lambert.
La rue du Sault-au-Matelot, à la basse ville de Québec, est surlignée en rouge.
A = Fort Saint-Louis | C = Palais épiscopal en haut de la Côte de la Montagne.
Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry,
Plan de la ville de Québec capitale de la Nouvelle France (détail), vers 1752,
ANOM, Dépôt des Fortifications des Colonies, FR ANOM 03DFC436A (source).
Notre étude sur « Les plus anciens outils et ateliers d'orfèvres au Québec [Derome 1993] » permet de reconstituer les lieux de vie et de travail de l'orfèvre Paul Lambert dit Saint-Paul sur la rue du Sault-au-Matelot où il habitait à Québec. En voici une transciption.
Les ateliers qui nous ont laissé la plus abondante production d'orfèvrerie religieuse et civile sont ceux de Lambert, Ranvoyzé et Amiot. Le fonctionnement de celui de Lambert nous est connu par le très riche inventaire après décès dressé en 1749, au terme de 20 ans d'activités. Cet inventaire est digne de mention par la profusion de ses détails au niveau de l'outillage et des matériaux, mais aussi à cause de la transcription d'une partie de son livre de comptes nous informant sur sa clientèle et sur plus d'une centaine de pièces de sa production (voir la transcription partielle dans Morisset 1945d p. 92-102). On y apprend qu'il travaillait avec son fils François âgé de 13 ans, ainsi qu'avec l'orfèvre Joseph Maillou, âgé de 41 ans, à qui il avait certainement appris le métier.
Lambert, le plus important orfèvre du régime français par l'ampleur et la qualité de sa production, n'était pas propriétaire de la maison qu'il habitait. L'unique pièce du rez-de-chaussée était partagée par l'atelier d'orfèvrerie et la cuisine ; une écritoire et trois vieilles chaises de paille s'y trouvaient pour les écritures. Le couple et les cinq enfants dormaient, mangeaient et vivaient dans deux chambres à l'étage. Une armoire au rez-de-chaussée servait au rangement tant des effets de la cuisine que de ceux de l'atelier. Soit quelques outils, les poinçons de l'orfèvre, des modèles, plusieurs ouvrages d'orfèvrerie commencés, ainsi que les livres de comptes. Un tiroir fermant à clef contenait plusieurs couverts d'argent neufs, de vieilles pièces d'orfèvrerie peut-être destinées à la fonte, trois médailles d'argent, des pièces de monnaie, diverses matières d'or et d'argent sous plusieurs formes. On trouvait également dans cette armoire l'argenterie pour l'usage de la maison.
Une autre grande armoire se trouvait dans la grande chambre de compagnie, à l'étage, où l'orfèvre est décédé. Ses quatre panneaux contenaient les effets personnels de l'orfèvre, alors que les deux tiroirs concernaient ses affaires, les travaux d'orfèvrerie à faire ou terminés. Dans le tiroir de gauche se trouvaient : la monnaie de papier ou d'ordonnance, les titres et papiers, les argents ou objets reçus pour ouvrages à faire, enveloppés séparément dans de multiples papiers, linges ou sacs. Dans le tiroir de droite se trouvaient les pièces d'orfèvrerie terminées ainsi que les opérations de la veille.
Joseph Maillou, le compagnon de Lambert, demeurait dans sa propre maison avec sa famille. L'organisation de cet habitat est probablement représentatif des ateliers de plusieurs orfèvres artisans par le fait qu'il ne semble pratiquement pas exister de barrières ou de distinctions entre la vie privée, le travail et la vie publique, ce qui n'était pas le cas des orfèvres bourgeois tels que Pagé, Gadois, Delezenne, Cruickshank, Huguet et quelques autres.
La plupart des transactions d'outils s'effectuaient au décès de l'orfèvre. Ceux de Lambert, Huguet et Grothé furent légués par testament à leurs fils, ceux de Paradis furent donnés à son neveu Delique. En 1749 Lambert lègue tous ses outils à François, son fils de 13 ans travaillant avec lui, alors que son compagnon Joseph Maillou est chargé de la tutelle et de la garde des biens mobiliers. En 1756 la veuve de l'orfèvre Paradis donne au neveau de ce dernier, l'orfèvre Delique, tous les meubles, ustensiles et outils d'orfèvrerie dont il s'est toujours servi pour son métier depuis son arrivée de France. Huguet en 1812 et Grothé en 1826 ont légué leurs boutiques à leurs fils homonymes.
L'inventaire de Paul Lambert est le seul qui dresse une description détaillée des matières d'argent et d'or utilisés à l'atelier. Souvent contenus dans des cornets ou petits morceaux de papier, on trouve de l'argent en petits lingots, en mitrailles, en limailles, en petits morceaux, un reste de fonte en petits morceaux, des restes de moules en argent, de l'argent à soudure, de l'or en poudre et en morceaux. Lambert possédait des petits moules ou modèles à Christ et à soleil, différents modèles d'étain, cuivre ou plomb.
Les plus anciens outils et ateliers d'orfèvres au Québec.
L'inventaire après décès de Paul Lambert a en outre permis de comparer le prix de ses couverts à ceux pratiqués par Delezenne, alors que L'émigration des orfèvres français au Québec et ses conséquences sur l'orfèvrerie québécoise (Derome 1994 et Derome 2011-2017) permet de comparer son parcours d'immigrant à celui des autres orfèvres arrivés en Nouvelle-France, tout en présentant quelques-unes de ses oeuvres. Toutefois, on n'a pas toujours pas réussi à retracer ses origines.
« Cet orfèvre [...] se disait né, à Arras, en la paroisse Ste-Catherine, de Paul Lambert et de Thérèse Huart ou Stuart. [...] Les recherches concernant la précence de Lambert sont restées négatives ; il n'y a pas de paroisse Ste-Catherine, ni dans la ville ni dans la Cité d'Arras : seul un petit village proche de la ville, porte ce nom : sa naissance n'est signalée, ni dans ses registres d'état civil, ni dans ceux de la Ville où l'on trouve bien des Lambert, mais aucun n'a été orfèvre et aucun n'a mis au monde un enfant du nom de Paul. La disparition des archives ne nous permet pas de savoir s'il a été apprenti ou compagnon à Arras. Armurier ou orfèvre, homme de guerre fixé au Québec, il a gardé son surmom de soldat "dit Saint Paul" [Cartier 1983, p. 262-263]. »
Carte postale montrant l'ancienne église détruite de Sainte-Catherine-lès-Arras et la mairie (source). |
Nouvelle église, à la jonction des départementales D264 et D341, et la mairie en arrière plan (Google). |
Le territoire de Sainte-Catherine a été occupé depuis l'antiquité selon les vestiges gallo-romains (CDMHAA 1873, p. 110) et mérovingiens (source réf. à Bellanger 1982) documentés.
« La commune de Sainte-Catherine, comme toutes celles dépendantes de l'abbaye de Saint-Vaast [au Moyen Âge], fut de bonne heure émancipée par ce généreux monastère. Sans doute ses privilèges ne concernaient que le pouvoir de Démencourt, mais celui-ci absorbait alors la commune presqu'entière et étendait sur tous ses habitants sa bienfaisante influence. Elle était administrée par un mayeur et huit eschevins, et sa coutume particulière fut, comme celle de la plupart des communes du pays, rédigée en 1507, par ordre de Charles-Quint [Cardevacque 1865, tome 2, p. 253-254]. »
Le seigneur Antoine de Foeutre y régna au XVIe siècle (Moreri 1759, p. 645). L'église illustrée ci-dessus, détruite lors de la 2e guerre mondiale, fut remplacée par une contruction moderne (Boddaert 2007.03.06, web ou pdf). Sièges, guerres et révolutions détruisirent une grande partie du patrimoine architecturel ancien d'Arras et de ses faubourgs. Il n'est donc pas aisé d'en visualiser l'aspect à l'époque où Paul Lambert y vécut.
Atrebatum episcopalis et metropolitica Artesiae civitas, vers 1574,
Gravure sur cuivre et lavis couleur, Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 438/16 (source).
Ci-dessus : vue d'ensemble du panorama de la ville et de la cité d'Arras depuis le nord vers 1574 (Google).
Ci-dessous : détail du faubourg de Sainte-Catherine où Paul Lambert déclare être né plus d'un siècle plus tard.
« Sainte-Catherine, dans sa partie la plus rapprochée de la ville, chemin de la croix Démencourt, et terrains voisins, remonte aux époques les plus reculées de l'histoire d'Arras. Comme paroisse, on trouve ce nom dès le XIIe siècle au moins, avec le titre de Sainte-Catherine de Miolens, ou Moylens. [...] Ces faubourgs s'étendaient autrefois jusqu'aux portes de la ville. Tout fut détruit en 1414 [lors du siège d'Arras.] [...] On voit par un tableau peint sur bois, conservé à l'Hôtel-de Ville (aujourd'hui au Musée), et représentant le siège d'Arras, par Henri IV, en 1597, que l'église paroissiale de Sainte-Catherine était un édifice avec chœur et nef au milieu desquels étaient deux chapelles qui s'étendaient sur le cimetière en largeur, entre le chœur et la nef. Elles étaient surmontées d'une tour carrée, terminée par une flèche de bois, couverte d'ardoises. Cette tour était au milieu du chœur. On voit encore aujourd'hui un pan de cette tour qui sert à présent de clocher à cette église et que l'on a accommodé en forme de campenare [sic], car cette église fut brûlée durant le siége d'Arras en 1640. (V. supplément aux Recueil du Père Ignace, Mém. t. VI, p. 462.) [CDMHAA 1873, p. 115 et 136] »
Un plan du XVIIe siècle (à gauche) précise l'emplacement du Faubourg de S Catherine au nord d'Arras, un peu plus loin de la ville que le Faubourg de Miolens sur le Chemin de Lille. Cette localisation est corroborée sur un autre plan datant de 1740 (ci-dessous).
Ci-dessus —
À gauche — A Amsterdam Chez Covens & Mortier Avec Privil., Plan de la ville et Citadelle d'Arras Place Forte Evêché Capitalle du Comté d Artois située sur la petite Riviere d'Escarpe (détail), XVIIe siècle, Carte, 53 x 41 cm, BNF GED-1708. |
Dans son contrat de mariage, le 29 août 1729 à Québec, l'orfèvre désormais établi en Nouvelle-France se déclare être « fils du sieur Paul Lambert et thérèse [Stuart ou Huard] de la ville darras en artois de la paroisse Ste catherine [BANQ, Dubreuil, n° 3231] ». Le recensement de Québec lui donne 41 ans en 1744, ce qui le fait naître en 1703, alors que son acte de sépulture, du 25 novembre 1749, le dit « âgé d'environ cinquante-huit ans » le faisant ainsi naître vers 1691 (Derome 1974a, p. 94 et 97).
Le réglement donné aux orfèvres de la ville d'Arras, daté du 12 juin 1722, permettait le début de l'apprentissage dès l'âge de 10 ans pendant six ans, mais seulement 1 sur 4 accédait à la maîtrise (Cartier 1983, p. 39 et 145). Lambert aurait donc pu y effectuer son apprentissage vers 1701-1711 ou bien vers 1713-1723.
Paul Lambert : calcul de son âge d'après ses dates présumées de naissance.
« Après l'apprentissage, on devenait compagnon à l'âge de 18 ou 20 ans. [...] En général les compagnons attendaient plusieurs années avant de se faire recevoir [à la maîtrise] ; certains alors ont plus de 30 ans [Cartier 1983, p. 145] ».
Lambert aurait donc pu effectuer son compagnonnage à compter de 1711 ou 1723, à Arras ou ailleurs en France. En Nouvelle-France, il n'y avait pas de réception à la maîtrise. La carrière des orfèvres y est souvent documentée à compter de leur mariage au moment où leur condition financière leur permettent de s'établir. En se basant sur sa domination du marché de l'orfèvrerie en Nouvelle-France, la puissance et la singularité stylistique de son oeuvre, on peut en déduire une forte personnalité ; il serait alors étonnant que Lambert soit resté compagnon pendant 17 ans et ait attendu jusqu'à 38 ans pour se marier ! Et c'était probablement là une des raisons l'ayant amené à quitter sa ville natale ! L'âge de 26 ans semble donc plus plausible pour son mariage en 1729 et son établissement comme orfèvre en Nouvelle-France. Ainsi, il serait donc né en 1703.
François de Ladevèze (vers 1682-1729), Plan relief d'Arras vu depuis l'est (Google), 1716,
Arras, Musée des beaux-arts (voir aussi Hatt 2006.04.04 et Bardet 2000, p. 175).
Les archives d'Arras, dont de grandes parties ont été détruites (Cartier 1983, p. 13), ne permettent pas d'y corroborer et documenter la biographie du jeune Paul Lambert au début du XVIIIe siècle. Peu de pièces d'orfèvrerie ont été conservées pour la période où Lambert y a fait son apprentissage et son compagnonnage. Toutefois, plusieurs oeuvres du XVIIIe siècle y présentent des similitudes morphologiques, stylistiques ou décoratives avec les siennes, à forte saveur provinciale, signalant que ce terroir d'origine pourrait être le sien, tant pour certaines pièces religieuses que pour les cuillers à servir (Cartier 1983, p. 56, 82, 84, 96, 116, 124, 148, 158, 192, 220, 226, 242). Certains de ces objets proviennent d'autres villes de la juridiction d'Arras où Lambert aurait également pu effectuer son apprentissage : Arras (cité et ville), Bapaume, Béthune, Hesdin, Lens, Saint-Pol.
Département du Pas-de-Calais ci-devant Artois, Boulonnois, et partie de la Picardie
(détail avec surlignages en rouge), carte, 1792 (source).
Villes de l'Artois dépendant de la Juridiction d'Arras pour l'orfèvrerie (Cartier 1983, passim),
où Paul Lambert aurait pu effectuer son apprentissage au début du XVIIIe siècle,
de l'ouest vers l'est : Hesdin, Saint-Pol, Béthune, Arras (cité et ville), Lens, Bapaume.
Distance à pied depuis Sainte-Catherine, lieu de naissance de Paul Lambert,
par ordre croissant de distance pour chacune de ces villes :
Arras 2,3 km ; Lens 16,5 km ; Bapaume 24,8 km ; Béthune 27,8 km ; Saint-Pol 33,7 km ; Hesdin 57,2 km.
Paul Lambert, Bénitier (détail des feuilles au pied), Argent, Monastère des Augustines de l'Hôtel-Dieu de Québec. |
Alphonse Bocquet (1739-1813, orfèvre à Hesdin, jurande d'Arras), Ostensoir (détail des feuilles au pied), 1779-1780, Argent et vermeil, H. 69 cm, D. du pied 22 cm, Classé à l'inventaire des Monuments historiques, Cartier 1983, p. 96. |
Relevons, dans la liste des oeuvres identifiées ci-dessus, le détail très significatif des feuilles largement utilisées par Lambert sur nombre de ses oeuvres. Elles ressemblent à celles d'un ostensoir fabriqué à Hesdin après le décès de Lambert. Mais la spécialiste de cette juridiction note judicieusement, qu'à « la fin du XVIIIe siècle, l'orfèvrerie religieuse est restée fidèle au style du XVIIe siècle [Cartier 1983, p. 96]. » Lambert aurait donc pu être exposé à cette interprétation stylistique régionale particulière d'un motif décoratif habituellement traité différemment. S'il a travaillé à Hesdin, il n'était alors pas très loin de la mer, des marins et des voyages...!
Le beffroi et l'hôtel de ville d'Arras, reconstruits après leur destruction,
sur l'ancienne Petite Place, devenue la Place des héros (photo Eric Le Brun : source).
Paul Lambert dit Saint-Paul, Cuillère à servir, (Nouvelle-France) 1729-1749, Argent, 32,4 cm, Fleur de lys PL étoile , Armoiries famille de Boucherville, chiffres E.P. et H.D., QMA, Photo RD QHD:6:12-15 et 18-21 recto verso armoiries.
On conserve plusieurs cuillers à servir de Paul Lambert. Celle-ci est la plus somptueuse et sa goutte à plusieurs lignes pourrait tirer ses origines de la vieille France. Les armoiries des Boucher de Boucherville peuvent appartenir à l'un ou l'autre des membres de cette vaste famille, qui portait probablement les initiales du chiffre « E. P. », avant de trouver son chemin vers le monastère des augustines où on lui ajouta le chiffre « H.D. ». |
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« D'azur, au chevron d'argent accompagné en chef d'un lis de jardin accosté de deux glands d'or et en pointe, d'un rocher surmonté d'une croix latine, le tout d'argent [Massicotte 1915, p. 73]. » Armoiries famille Boucher de Boucherville. À gauche sur la cuiller où le pointillé de l'or n'est pas marqué sur les glands (collaboration de Daniel Cogné). À droite d'après Massicotte 1915, p. 73. |
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« [Pierre] Boucher [1622-1717] épousa ensuite en 1652 une compatriote, Jeanne Crevier, fille du pionnier d’origine rouennaise Christophe Crevier, venue de France avec ses parents ; 15 enfants naquirent de cette union. Les fils adopteront divers noms, la plupart choisis par Pierre Boucher lui-même et inspirés du terroir percheron. Ils formeront les familles Montarville, Montbrun, Grosbois, Grandpré, Montizambert, La Bruère, La Perrière, Boucherville. Les filles s’allieront aux Gaultier de Varennes, Legardeur, Daneau de Muy, Sabrevois de Bleury [DBC]. »
Michel Cotton (1700-1773), Cuillère à ragoût, (Nouvelle-France) 1730-1735, Argent, 41,8 x 7,5 x 3,9 cm,
Poinçon non vérifié, Armes Boucher de Boucherville, Chiffre Boucher de La Perrière, Achat 2002, OMBAC 41073. Photo recto.C'est de cette même famille que provient celle de Michel Cotton né à Québec en 1700, d'abord cordonnier (1721-1722), puis apprenti orfèvre chez François Chambellan (1724). Il travaille ensuite à Montréal (1730-1738) où il engage les apprentis Jean-Baptiste Serré et Charles Larchevesque, tout en hébergeant les horlogers Jean Ferman (également orfèvre) et Cornélius Passe. Il revient à Québec (1743-1746) puis termine ses jours à la paroisse Sainte-Famille de l'Île d'Orléans (Derome 1974b ; voir aussi Trudel 1974a, Cauchon 1974b, Karel 1992 et Morisset 1950.12.26, ainsi que l'émigration des orfèvres français au Québec et ses conséquences sur l'orfèvrerie québécoise).
Paul Lambert dit Saint-Paul (v1703-1749), Cuillère à ragoût, (Nouvelle-France) 1729-1749,
Argent, 33 x 5,9 x 3,1 cm, Poinçon non vérifié « PL une étoile au-dessous », Don Serge Joyal, MMBAM 1996.Ds.31. Photo recto.
Paul Lambert dit Saint-Paul (v1703-1749), Cuillère à ragoût, (Nouvelle-France) 1729-1749,
Argent, 32 x 5,6 x 3,7 cm, Poinçon non vérifié, QMNBAQ 1960.378. Photo recto.
Paul Lambert dit Saint-Paul (v1703-1749), Cuillère à servir, (Nouvelle-France) 1729-1749, Argent, 41,5 x 7,2 cm, Poinçon non vérifié, QMNBAQ 1960.374. Photo recto. |
Il est dommage que les musées fournissent des photographies si peu utiles à l'étude des cuillers avec des angles de prises de vue fantaisistes (voir Photographies des cuillers à servir). On conserve, par ailleurs, une autre cuiller à servir de Paul Lambert dont la photo n'est pas disponible.
Paul Lambert dit Saint-Paul (v1703-1749), Cuillère à ragoût, (Nouvelle-France) 1729-1749,
Argent, 32,1 x 5,8 x 3,2 cm, Poinçon non vérifié, Birks don 1979, OMBAC 27125. Photo non disponible.
Anonyme (18e-19e) [Attribution à Paul Lambert dit Saint-Paul à expertiser], Cuiller à servir, (Pays inconnu) Date inconnue, Argent, 41,5 x 5 x 2 cm, fleur de lys PL étoile, Chiffre G V, Monogramme couronné sur croissant, Mme Nettie Miller Covey Sharpe, GMCH 978.170.157. Photo recto verso poinçon chiffre monogramme.
Terminons sur une cuiller à servir conservée au GMCH, acquise en 1978 d'une réputée collection privée qui se l'est procurée à une époque où plusieurs faux circulaient sur le marché des antiquités et dont la provenance antérieure n'est pas connue. D'emblée, la goutte ouvragée reliant le cuilleron au manche porte à suspicion, car très différente du style et de la manière de travailler du plus grand orfèvre de la Nouvelle-France, Paul Lambert dit Saint-Paul, alors que ce cuilleron semble plus mince, plus plat ou moins arrondi et plus grand que les siens. Cette goutte et le monogramme gravé semblent davantage d'influence britannique, fin XVIIIe siècle, voire début XIXe (voir Jean-Henri Lerche par exemple). Une expertise plus élaborée de cet objet (provenance, poinçon, métal, traces de réparations ou modifications) serait donc de mise...! Gouttes sur des cuillers à servir de Jean-Henri Lerche fabriquées à Montréal vers 1788-1801. Monogramme sur GMCH 978.170.157. |
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GMCH 978.170.157. |
Derome 1975.03, p. 8, n° 1c, MMBAM 52.Ds.20. |
Derome 1975.03, p. 9, n° 8, QMA. |
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FAUX |
??? |
VRAIS |
CUILLERS ET ORFÈVRES : IAD - Baudry - Pagé - Lambert - Paradis et Delique - Delezenne. |
Deux orfèvres originaires de Paris travaillant à Montréal : Roland Paradis et Charles-François Delique.
Roland Paradis est né à Paris vers 1696, fils de l'orfèvre Claude Paradis demeurant sur le Pont au Change, paroisse Saint-Jacques de la Boucherie. Il a donc, très certainement, effectué son apprentissage dans le giron familial. Roland, se déclarant orfèvre, se marie à Québec en 1728 où il réside en 1731. Il pratique ensuite à Montréal jusqu'à son décès en 1754. Outre le fourchon illustré ci-dessus, on conserve une cuiller à servir à son poinçon.
Roland Paradis (v1696-1754), Cuillère de service, (Nouvelle-France) 1728-1754,
Argent, 30,3 x 5,1 x 2,9 cm, Poinçon non vérifié, Birks don 1979, OMBAC 25248. Photo non disponible.
En 1756, la veuve de Roland Paradis donne à Charles-François Delique (fils de l'orfèvre Charles-François Delique et de Geneviève Marguerite Paradis, né vers 1723 paroisse Saint-Barthélémy à Paris) le fonds d'atelier d'orfèvrerie dont il s'est toujours servi depuis son arrivée à Montréal et où, le 11 avril 1788, lui et son épouse rédigent leur testament (BANQ, greffe J. G. Delisle). On conserve deux cuillers à servir portant son poinçon donc utilisé sous les régimes français et anglais.
Charles-François Delique (v1723-1788-), Cuillère à ragoût, (Nouvelle-France ou Régime anglais) 1756-1788,
Argent, ??? X 7,2 x 5 cm, Poinçon non vérifié, TRMPB 1979 813 O. Photo nég 13-14, env 23, nég 4, env négatif.
Charles-François Delique (v1723-1788-), Cuillère de service, (Nouvelle-France ou Régime anglais) 1756-1788,
Argent, 32,6 x 5,7 x 4,1 cm, Poinçon non vérifié, Birks don 1979, OMBAC 26465. Photo non disponible.
Sources : Derome 1974b. Voir aussi : Gérard Morisset (1898-1970), Recueil de ses écrits, L'émigration des orfèvres français au Québec et ses conséquences sur l'orfèvrerie québécoise ; ainsi que Cauchon 1974i, Karel 1992, Morisset 1950.11.26, Morisset 1954.09, Trudel 1974a.
CUILLERS ET ORFÈVRES : IAD - Baudry - Pagé - Lambert - Paradis et Delique - Delezenne. |
Les cuillers à servir d'Ignace-François Delezenne sous le Régime français.
Ignace-François Delezenne a utilisé deux poinçons différents sous le Régime français (voir : Poinçon I,F,D d'Ignace-François Delezenne). Deux cuillers à servir portent le poinçon I,F,D, celle de Brian Laufer aux armes de la famille Baby et celle de Morisset. Celle de Brian Laufer est plus longue de 10,9 cm, donc probablement plus lourde, a une spatule nettement plus allongée, un cuilleron plus ovale et des doubles gouttes plus grandes et marquées.
Ignace-François Delezenne (1718-1790), Cuiller à servir, (Nouvelle-France) 1740-1763,
Argent, 286 g, 41,9 cm, I,F,D (1), Armes Baby, Famille Baby, CBL. Photo RD recto verso poinçon goutte armes, Brian Laufer poinçon.
Ignace-François Delezenne (1718-1790), Cuiller à servir, (Nouvelle-France) 1743-1748,
Argent, 31 cm, I,F,D (1), G IV, Jean Rousseau, CGM en 1949. Photo IOA recto verso.
Ignace-François Delezenne (1718-1790), Cuiller à servir, (Nouvelle-France) 1749-1763,
Argent, 235 g, 40,4 cm, IF,D (1), S M B, Jean Lacasse, MMMAQ. Photo Isolda Gavidia recto verso, Brian Laufer poinçon.
Celle du MMMAQ fait 97% de la longueur de celle de Brian Laufer ; toutefois, son cuilleron usé et bosselé peut fausser la mesure de sa longueur réelle. Son matériau est cependant beaucoup moins généreux, son poids représentant seulement 66% de celle de Brian Laufer, ce qui pourrait expliquer les dommages à son cuilleron moins solide car ayant moins de matériau. Elle porte le poinçon IF,D et daterait donc de la période 1749-1763. Son style se rapproche de celle de Gérard Morisset avec sa courte spatule et l’attache du manche au cuilleron. Le décor de la goutte y est cependant traité de façon très rudimentaire, voire naïve. Notons qu'elle a été acquise en 1979 de l'antiquaire Jean Lacasse, une période où plusieurs faux étaient répandus sur le marché : on doit donc faire preuve de prudence dans l'étude de ses composantes et de son poinçon, car sa provenance antérieure est inconnue.
Ignace-François Delezenne (1718-1790), Cuiller à servir, (Nouvelle-France) 1749-1763,
Argent, 177,93 g, 33,3 cm, IF,D (1), Birks C.224, OMBAC 26470. Photo non disponible.
Derome 1974a, p. 238 n° 50-51, référait à deux cuillers à servir de Delezenne dans la collection Birks sur lesquelles il ne fournissait que des références à ces numéros d'acquisition : Q.31 (Q.21) et Q.224 (C.224).
« Le MBAC possède une seule cuillère à ragoût de cet orfèvre. Elle porte le numéro d’accession 26470, qui correspond à l’ancien numéro C224. Les autres numéros mentionnés dans votre message réfèrent tous à des œuvres d’autres orfèvres. L’œuvre mesure 4,2 x 5,5 x 33,3 cm et son poids est de 177,93 g. Elle a été acquise par le Musée le 1 décembre 1979, faisant partie de la Collection Henry-Birks d’orfèvrerie canadienne. Monsieur Birks avait acheté la pièce de l’antiquaire Samuel Breitman le 8 janvier 1964. La cuillère à ragoût (26470) porte, frappé distinctement, le poinçon A : Une couronne fermée, IF, D. – une seule fois au revers du manche. » Collaboration de René Villeneuve.
Celle de Birks est beaucoup moins longue (79%) et moins lourde (62%) que celle de Brian Laufer...
NOUVELLE-FRANCE | Plat à ragoût | ![]() |
Un plat à ragoût, compagnon naturel de la cuiller à ragoût ou à servir,
portant blason d'une des filles Legardeur jumelé à une licorne.
Tel que son nom l'indique, la cuiller à servir. ou à ragoût, était utilisée pour le service à table des convives. Dans les IAD, on trouve mention de divers plats dont aucun, en argent, ne porte l'appellation « à ragoût », étant donné son coût prohibitif à cause de son poids élevé.
Pays Paris Argent plat 5 plat à bouilly 1 2 plat à roty 3 plat à roux 3 plat à soupe 2 5 5 plat d'entrée 1 12 9 plat en long 2 2Ce type de cuiller a donc pu être utilisé pour servir les aliments présentés dans les plats en argent (5), à bouilly (3), à roty (3), d'entrée (22) ou en long (4), mais probablement pas pour la soupe (12), ni pour le roux (3) demandant une petite cuiller.
Le plat à ragoût, « grand plat creux circulaire en argent ou en étain, muni de deux anses latérales horizontales légèrement relevées [...] apparaît à la fin du XVIIe siècle et semble disparaître dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle [Arminjon 1984, p. 124] ».
Un plat à ragoût en argent, plus simple que celui des MPSS ci-contre, de l'orfèvre parisien Charles Girard et daté de 1730-1731, est conservé à MMHHD (Trudel 1974a, p. 96).
Jusqu'ici, les armoiries sur ce plat sont demeurées non identifiées. Pourtant, leur interprétation peut en dire beaucoup sur l'utilisation civile de cet objet de très grand luxe dans un contexte familial avant qu'il ne parvienne, on ne sait trop comment, dans les collections des sulpiciens de Montréal.
Le blason des Legardeur.
À dextre, monsieur reste anonyme avec son blason jumelé à celui d'une des filles des Legardeur à l'époque de la fabrication de ce plat en 1740-1741. |
À senestre, l'épouse qui reste à être identifiée, provient de l'une des nombreuses branches des familles Le Gardeur ou Legardeur (collaboration de Alban Pérès et Frans Rekem). |
Les Le Gardeur ou Legardeur, selon la graphie moderne, se subdivisent en plusieurs branches familiales : de Beauvais ou Beauvois, Belle-Plaine ou des Plaines, de Caumont, de Courtemanche, de Croizille ou Croisille, de L'Isle, de Moncarville, de Montesson, de Mutrecy, de Pontseau ou Ponseau, de Repentigny, de Saint-Michel, de Saint-Pierre, de Tilly, de Villiers, dit Sancoucy, ou autres (Drolet 2009 ; Drolet 2019 ; Roy 1920, p. 3-12, 235-236 ; Roy 1988, p. 465-469).
Chronologie historique des multiples croix tenues par le lion Gardeur.
• « Recroiseté » est utilisé en conformité avec l'orthographe du CNRTL (web ou pdf), tout en conservant les autres graphies utilisées dans les diverses citations. • Abréviation LGdR : des remerciements particuliers s'adressent à la collaboration exceptionnelle de Léo-Guy de Repentigny qui nous a fait parvenir copie de tous les documents de l'ancien site web qui n'est plus publié et qui était consacré à l'Association des familles Le Gardeur de Repentigny et de Tilly, ainsi que divers autres documents au fil de nos correspondances.
Reconstruire l'histoire chronologique du blason de la vaste famille des Legardeur ressemble un peu au jeu de société où le secret sussurré à l'oreille de participants successifs devient méconnaissable lorsque le dernier le redit à voix haute.
Les constantes de base le présentent de gueules avec un lion d'argent Gardeur de la croix d'or qu'il tient, constituant ainsi des armes parlantes. Certains blasonnements le présentent lampassé et armé d'or, mais cette caractéristique n'est pas toujours respectée ni présente. Dans la majorité des cas, il porte la croix de ses deux pattes avant, mais seulement de la senestre dans la gravure de ce plat.
Les archives et livres anciens (heureusement de plus en plus disponibles sur internet) permettent d'identifier plusieurs brisures familales très anciennes beaucoup moins présentes chez le lion que dans trois versions différentes de la croix : patriarcale aux XVIe-XVIIe siècles ; croisetée à compter du XVIIe (caractéristique partagée avec les de Croisilles et de Villiers) ; puis pattée depuis 1697 avec Guillaume Le Gardeur à Caën ; sans compter la brisure radicale avec les cloches du chanoine, à Couserans, au tournant du XVIIIe ! Dans la même veine, Jean-Baptiste-Delphin le Gardeur se fait accorder, le 30 juin 1787, un tout nouveau blason, entièrement différent, mieux adapté au goût du jour.
Ce qui, sans aucun doute, confond les générations subséquentes qui, en tout bien tout honneur ainsi que les historiographes, y ajoutent leurs grains de sel au fil du temps qui passe de part et d'autre de l'Atlantique, soit de nouvelles brisures à la croix, successivement : au pied fiché ou tréflée (Legardeur de Beauvais) au XVIIIe siècle ; latine recroisetée, patriarcale recroisetée et latine de sable au XIXe ; puis latine d'or au XXe ; sans compter la présentation dans les dessins qui ne tient pas compte du blasonnement en pal de la croix ou le fait qu'elle soit haussée ou haute (Filleau, Rolland et Asselin) !
Le blason parti Aubert-Legardeur et le doublement jumelé Testard / Damours-Legardeur, présentent d'importantes brisures dont les sources d'origine ne sont pas documentées : c'est une création de la fin du XIXe siècle supposée représenter des mariages de 1711 et 1773/1689 ! En outre, au début du XXIe siècle et au fil de la transformation mimétique des figures héritées du passé, cette aigre saumure prend la forme de plusieurs propositions douteuses non documentées tout à fait inacceptables (malheureusement disséminées sur internet).
Jusqu'à ce jour, on présentait LE blason des Legardeur. La complexité de la réalité historique oblige désormais à considérer nombre de variantes ou brisures, ainsi que de tout nouveaux ! Et d'autres sur lesquels il faut mettre un grand point d'interrogation ou un grand X ! Le menu contextuel aux mini-blasons permet d'accéder rapidement à chacune des étapes de ces processus dans les évolutions de ces vastes familles des Legardeur sur cinq siècles et leurs interprétations pas toujours documentées ni fiables.
Les archives du Cabinet des titres à la Bibliothèque nationale de France conservent plusieurs séries de documents concernant les armoiries des Legardeur. Deux tableaux généralogiques présentent des blasonnements à côté du nom du premier annobli de la lignée, ce qui laisse présumer que ces armoiries furent utilisées depuis 1510, soit au tout début du XVIe siècle. Le lion y tient une croix patriarcale ainsi définie dans un traité héraldique du XVIIe siècle.
L'illustration moderne utilisée ci-contre la montre haussée. |
Patriarcale haussée |
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Exemple d'un lion du XVIe siècle. « De gueulles, à vn lyon d'or, armé de ſable [Bara 1579, p. 78]. » |
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Exemples d'écus à la croix patriarcale au XVIIe siècle.
« 22. M. porte de gueule, a vne croix patriarchale d'or, ou de Lorraine [Faure 1647, p. 69]. »
« I De ECHAVTE Vicomte de Roulers en Flandres, portoit de ſable à une Croix Patriarchale d'argent [Géliot 1664, p. 240]. » |
Mais, en 1666, l'intendant Chamillart rapporte cet autre blasonnement dans son relevé officiel.
Ce meuble est ainsi défini dans un traité d'héraldique du XVIIe siècle.
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Un document sibyllin de 1697 dans le Nouveau d'Hozier, à l'occasion de l'attribution d'un nouveau blason à la croix pattée accordé à Guillaume, atteste que celui à la croix croisetée est largement porté au XVIIe siècle par plusieurs branches de la grande famille des Legardeur.
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Exemple d'écu à la croix recroisetée au XVIe siècle. « De pourpre, à vne croix croiſee d'argent [Bara 1579, p. 45]. » |
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Les gravures sur les pièces d'orfèvrerie ne sont pas toujours très précises au niveau des conventions héraldiques (voir les exemples répertoriés sur Héraldique Québec), d'autant plus qu'elles ont pu y être ajoutées plus ou moins longtemps après la date de fabrication de l'objet ou par des propriétaires ultérieurs (voir celles des Baby). L'or, de la langue, des griffes et de la croix, n'est pas indiqué par le pointillé requis, impossible à reproduire à si petite échelle. Ce lion, à peine lampassé, n'est d'ailleurs par armé comme il devrait l'être.
Dans ce cas-ci, le lion est représenté avec une seule patte avant, sa gauche, tenant la croix. Cette particularité se retrouve dans un autre blasonnement publié en 1961, mais dont la source d'origine n'est pas indiquée !
Jore 1961.06 cite souvent le texte de Gautier 1930-1931 qui donne pourtant un blasonnement différent où ne figure pas cette patte senestre ! |
Hozier 1696-1710, vol. 20, Normandie Caen, p. 729 : « Guillaume le Gardeur Ec.er Cons.er du Roi, Lieu.t gn҇al, Criminel au bailliage de Siège préal de Caën & Ieanne Vrsulle de Bernieres, sa ſemme. » L'Armorial général d'Hozier fournit le dessin le plus ancien concernant un membre de cette famille. Ces armoiries sont accordées le « 3.e du mois d'aoust de l'an 1697 » tel que consigné dans le document sibyllin de 1697. Guillaume fait donc bande à part, avec cette brisure à la croix pattée, se démarquant ainsi des autres membres de la famille à la croix croisetée !
Antoine-Marie d'Hozier de Sérigny accorde à « Jean-Batiste-Delphin le Gardeur », le 30 juin 1787, « un écu d'argent à un aigle éployé de sable, couronné d'or et surmonté d'un croissant d'azur : le dit Ecu timbré d'un casque de profil orné de [ses] lambrequins d'or, d'azur, d'argent, et de sable. » Voilà donc un autre Legardeur qui se distancie de la famille en se faisant attribuer un blason complètement différent. Un digne émule de son ancêtre Guillaume et du chanoine à Couserans ! Le 15 janvier 1787, on reproduit un extrait de l'Armorial Général (manuscrit) de la Généralité de Caën, ordonné au mois de septembre 1696, page 150, article 132, qui corrobore le blasonnement de Guillaume.
Il existe donc déjà, à la fin du XVIIe siècle, trois croix dans les blasons des Legardeur : patriarcale, croisetée et pattée ! |
La croix pattée accordée par d'Hozier à Guillaume Le Gardeur en 1697 se retrouve en Nouvelle-France sur une plaque de métal, trouvée en 1855, narrant la dédicace de la première église de Saint-Antoine-de-Tilly le 26 juillet 1721. Mais, le blasonnement rapporté par Noël donne une « croix croissetée d'or », alors qu'il s'agit ici d'une croix pattée qui est haussée comme dans le dessin d'Hozier ! |
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L'Armorial général d'Hozier permet d'identifier avec certitude un tout autre blason très différent à un chanoine de la famille Legardeur. Certains auteurs (Jougla de Morenas) l'ont malencontreusement attribué à celle de Nouvelle-France !
En 1697 Guillaume se démarque de sa famille en se faisant octroyer la brisure d'une croix pattée. Ce geste est imitié à la même époque par ce chanoine introduisant un blason complètement différent où il ne reste, en chef, que le lion rampant familial, mais d'un autre métal sur un autre émail. « Couzerans », aujourd'hui Couserans, faisait partie de la Guyenne, en France méridionale, dans l'ancienne province de Gascogne. Wikipedia donne une version couleur de ce blason avec un lion passant, au lieu de rampant chez Hozier et Rolland, aux « Le Gardeur de Repentigny (Nouvelle-France) », ce qui est tout à fait inapproprié. La plus ancienne mention relevée de la devise « Crux crucis custodis custos [...] La croix garde le gardien de la croix [La Roque 1890, p. 60] » date de 1890 et concerne « Le Gardeur de Tilly (Guyenne) », branche familiale dont ce chanoine était probablement issu. |
Archange Godbout livre les résultats de ses recherches dans les archives et manuscrits de la Bibliothèque nationale de France dans cet extrait qui fait état de deux blasonnements différents.
Les transcriptions des documents originaux concernant le premier blasonnement donné par Godbout, celui à la « croix patriarchale d'or », figurent dans les sections du XVIe siècle, de 1703 et 1704. La croix recroisetée, du deuxième blasonnement donné ci-dessus par Godbout, est documentée en 1666 et corroborée en 1697, auquel s'ajoute ici un « pied fiché ». Le « Ms. Franc. 32307 », auquel Godbout se réfère, date du XVIIIe siècle. Il n'a pas pu être consulté n'étant pas encore accessible en ligne. BNF, Français 32307, ancienne cote Cabinet des titres 481, « Armorial général de la province de Normandie, mis par ordre alphabétique », XVIIIe siècle, papier, 1621 pages, 360 × 240 mm, reliure veau rac. Présentation du contenu : Abancourt-Yvetot. — « Du cabinet du sr Du Buisson. » Armoriaux. Recueils particuliers. • Normandie. Du Buisson, Pierre-Paul. • Mss. provenant de lui. Normandie. • Armoriaux. Volumes reliés du Cabinet des titres. Cette particularité du « pied fiché » se retrouve dans un autre blasonnement publié par Jore en 1961, mais dont la source d'origine n'est pas indiquée.
Jore cite souvent le texte de Gautier 1930-1931 qui donne pourtant un tout autre blasonnement. Drouet donne également un blasonnement au pied fiché, en se référant supposément à Chamillard, mais dans une transcription erronée du texte d'origine ! Par contre, le blason sur l'aiguière de 1754-1755 semble bien présenter un pied fiché. |
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Un croix tréflée apparaît comme une brisure dans un blason utilisé en Nouvelle-France avant 1763. Cette interprétation est entièrement basée sur un ex-libris vu par Aegidius Fauteux et qu'il faudrait bien retrouver afin de corroborer le tout ! Malheureusement, il n'est pas conservé avec d'autres documents similaires dans son fonds aux Archives de la ville de Montréal (collaboration d'Agnieszka Prycik qui l'a cherché dans CA M001 BM001-07 ou txt) !
Voici le texte original de Révérend auquel se réfère Pichette.
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Tréflée haussée |
Ainsi se termine la documentation des XVIIe et XVIIIe siècles sur les armoiries des Legardeur. Il faut attendre plus d'un siècle avant que l'on s'aventure de nouveau sur ces territoires. Le XIXe est le siècle des chercheurs et des renouveaux. On se penche sur le passé pour le recomposer. C'est un peu ce qui arrive avec nombre de publications où se mêlent de nouveaux vocabulaires, des citations erronées, mais également de nouvelles générations de la grande famille Legardeur qui apportent de nouvelles brisures à leurs armoiries familiales.
En 1861, le baron Léon Audebert de La Morinerie publie La Noblesse de Saintonge et d'Aunis convoquée pour les États-généraux de 1789 dans lequel il dresse de courtes biographies tout en ajoutant des informations sur les mariages et progénitures subséquentes au cours du XIXe siècle. Il y blasonne la croix pattée, haussée et posée en pal accordée à Guillaume en 1697.
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Pattée haussée |
La croix pattée est reprise en 1905 où le blasonnement correspond à celui d'Hozier, en 1696-1710, mais pas dans le dessin où la croix ne l'est pas et n'est pas haussée, ne se prolongeant pas jusqu'au sol !
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En 1929, Chaix donne plusieurs références aux archives d'Hozier commencées en 1696 tout en reproduisant son blasonnement bien illustré par son dessin original. Chaix consacre une longue et intéressante notice à cette famille.
Ce blason à la croix pattée est également documenté en 1946.
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Pattée haussée |
En 1863, Magny publie un blasonnement qui pourrait ressembler à l'écu gravé sur ce plat à ragoût : « De gueules, au lion d'argent, tenant une croix haute recroisettée d'or (Magny 1863-1864, vol. 1, p. 70). ». Doit-on y voir une croix latine recroisetée telle que décrite en 1866 ? Mais qui serait haussée !
Il semble bien que ce soit cette même latine haussée recroisetée que l'on retrouve en 1874, puis en 1930-1931.
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En 1863, on publie une toute nouvelle variante, celle d'une patriarcale recroisetée ! Blasonnement repris, légèrement modifié, dans le même périodique en 1869.
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Rietstap 1861, p. VIII, col. 2. |
Rietstap 1884, t. 1, p. 19, col. 1-2. |
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Croix (II, 49.) | Croix. La croix orlinaire est formée de la fasce et du pal réunis. Ses branches s'étendent jusqu'aux bords de l'écu. Elle est désignée par le simple mot de croix (III, 16, 17, 18, 19, 20, 21 ; VII, 2). Pour la distinguer d'autres fonnes de croix, on dit croix pleine. Nulle autre pièce héraldique n'a subi tant de changements de forme que la croix ; le nombre en est des plus considérables ; mais il s'en faut de beaucoup que toutes ces variations se rencontreraient dans les armoiries, car beaucoup semblent inventées par les anciens hérauts dans le seul but de faire voir les mille manières dont on pourrait diversifier une figure donnée. |
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— de calvaire (V, 1er rang, 2.) | — de Calvaire. Croix latine haussée sur trois degrés (Vl, 5e rang, 16.) [Voir la signification différente du terme « croix haussée » au XVIIe siècle.] |
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— fichée. Croix dont le pied est effilé. | — fichée. Croix dont le pied est effilé (III, 23.) | |||
— haussée. Synonyme de Croix de Calvaire. | — haussée. Synonyme de Croix de Calvaire. [Voir la signification différente du terme « croix haussée » au XVIIe siècle.] |
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— latine (V, 1er rang, 1.) | — latine. Croix dont la traverse se trouve aux trois quarts de la hauteur (VI, 5e rang, 15.) | |||
— de Lorraine (V, 1er rang. 6.) | — de Lorraine ou Croix patriarcale. Croix alésée [p. 14 : se dit des pièces héraldiques raccourcies de manière à ce qu'elles ne touchent pas les bords de l'écu (I, 43 ; II, 6, 56 ; III, 24, 38, 54.)] à double traverse, la première moins longue que la seconde (VI, 5e rang, 17.) |
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— patriarcale. Synonyme de Croix de Lorraine. | — patriarcale. Synonyme de Croix de Lorraine. | |||
— pattée (II, 54.) | — pattée. Croix ordinaire, élargie aux quatre extrémités : (III, 36, 38.) | |||
— recroisettée (V, 1er rang, 3.) | — recroisettée. Celle dont les quatre branches forment elles-mêmes des croix (VI, 5e rang, 21.) | |||
— recroisettée au pied fiché (V, 1er rang, 4.) | — recroisettée au pied fiché. La croix recroisettée dont le pied est effilé (VI, 5e rang, 22.) |
Massicotte s'est inspiré du vocabulaire confus entre les croix latine et patriarcale recroisetées, de nouvelle brisures familiales toutes deux apparues en 1863, qu'il a amalgamées dans son blasonnement et dessin publiés en 1915.
La croix patriarcale, non recroisetée, a pu être utilisée dès le XVIe siècle, tel que corroboré en 1703 et 1704 par des sources fiables et autorisées. Le dessin d'Alfred Asselin dans Massicotte, même à fort grossissement, peut en effet être ambigu et ressembler à un recroiseté ou à un tréflé selon le bout de la branche que l'on observe ! La version couleur donnée par Geneanet, inspiré de l'interprétation de Massicotte, montre un recroiseté, le lampassé d'or, mais le lion n'y est pas armé d'or tel que représenté dans le dessin d'Hozier. |
Massicotte 1915, p. 110, dessin par Alfred Asselin. |
Massicotte 1915, p. 110, dessin par Alfred Asselin. |
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Dans le même ouvrage, Massicotte donne une autre version très différente. Dans le blason parti des Aubert-Legardeur, la croix n'est plus patriarcale, ni recroisetée, ni tréflée, ni tenue en pal, mais à simple traverse et penchée vers la droite ! Ce qui fait songer à l'interprétation proposée par le dessin de Rolland, ce qui n'est pas possible car la source de Massicotte lui est bien antérieure. Les couleurs sont également modifiées, passant à sable tant pour le lion d'argent que la croix d'or ! De sérieux doutes doivent être émis sur ce blason provenant d'une chaîne historiographique démontrant une absence de sources documentaires crédibles. Ces blasons agissent comme des reconstructions du XIXe siècle tardif voulant, à tout prix, démontrer à rebours la noblesse des ancêtres du paradis perdu de la Nouvelle-France. À cette époque on crée des portraits fictifs des héros de notre passé (voir : Marquette et Le Jeune). Il y a fort à parier que ces dessins de blasons soient issus de la même idéologie ! À partir d'un blasonnement connu (par des sources récentes et non anciennes) et dessiné à la fin du XIXe siècle (le style y est fort différent de ceux des XVIIe-XVIIIe siècles dont il est supposé dater), on en crée un autre pour illustrer un mariage beaucoup plus ancien. Et ainsi de suite, dans des blasons de plus en plus gigognes et interchangeables, pour illustrer d'autres mariages ! Au lieu de documenter des blasons par des sources anciennes, on dessine de prétendues armoires anciennes à partir de sources récentes (telles celles à la croix patriarcale recroisetée) ! |
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Les armoiries publiées par Massicotte proviennent de la monographie de Pierre-Georges Roy sur La famille Aubert de Gaspé (Roy 1907, p. 4). Aucune explication sur leur blasonnement ou leur provenance n'y est donnée ! Par contre, on y apprend que Pierre Aubert de Gaspé, né en France en 1672, épouse en « secondes noces, à Beauport, le 12 octobre 1711, [...] sa cousine, Madeleine-Angélique, fille de Pierre-Noël LeGardeur de Tilly et de Marie-Madeleine Boucher [Roy 1907, p. 73-74]. » Les lettres de noblesse attribuées à Charles Aubert de la Chesnaye, en mars 1693, ne donnent aucun blasonnement [Roy 1907, p. 176-179] ! |
Roy 1907, p. 4. |
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La publication des mêmes armoiries par le sulpicien François Daniel, près d'un demi-siècle avant Massicotte, ne nous en apprend pas davantage, car il ne les identifie pas et ne donne aucune source ! On reconnaît le même dessin de lion, mais ici d'argent, qui par la suite devient inexplicablement de sable chez Roy puis Massicotte !? Daniel publie également un autre dessin où on peut reconnaître le même lion qui, cette fois, identifie le mariage célébré en 1689 de Françoise-Charlotte Legardeur de Tilly (1670-1706, Drolet 2019, p. 442), jumelé à son époux René Damours de Clignancour (1660- après 1710, DBC) dont le blason reprend des éléments (sanglier, fers de lance ou clous) de celui attribué à Damours de Chauffours (Massicotte 1918, p. 106). Leur blason jumelé Damours-Legardeur est en sus re-jumelé à celui de la famille Testard de Montigny (Massicotte 1915, p. 126) ! Serait-ce par leur petite-fille Marie Josèphe Damours de Clignancour (1741-1813) qui épouse, en 1773, Jérémie Jean Baptiste Philippe Testard de Montigny (1741-1784, Drolet 2019, p. 173 et 743) ? On se retrouve donc Gros-Jean comme devant : sans aucune source crédible pour cette brisure non documentée du lion au blason des Legardeur et qui serait le fait de mariages aussi anciens que 1711 et 1773/1689 ! |
Daniel 1867c, vol. 1, p. 227. |
Daniel 1867c, vol. 1, p. 299. |
En 1934-1952, Jougla de Morenas ramène dans l'actualité la croix patriarcale bien documentée par d'Hozier. Par contre, il fait fausse route en attribuant à la famille de Nouvelle-France le blason du chanoine, à Couserans.
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Patriarcale haussée |
Au XXe siècle, c'est la croix latine simple qui est utilisée.
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Terminons ce tour d'horizon des armoiries des Legardeur par des dessins douteux publiés au début du XXIe siècle ainsi que quelques documents sur la devise « Crux crucis custodis custos ». Dessins du début du XXIe siècle non documentés historiquement. Celui du centre provient du site Les Amis du Patrimoine de Repentigny et les quatre autres, signés ThoMiCroN en 2014, de Wikipedia. Les variantes dans les blasonnements se multiplient dans leurs représentations au début du XXIe siècle. La croix, latine ou patriarcale, tenue droite, penchée vers la gauche ou la droite, présente différentes longueurs, ainsi qu'un nombre variable de une ou deux traverses, recroisetées ou non !? Les pattes du lion varient également dans leurs positions, ainsi qu'en rapport avec la croix tenue de sa patte gauche, droite ou des deux ! Ces dessins de blasons inventent de fausses représentations qui ne reposent sur aucune documentation historique et sont donc à rejeter. La plus ancienne mention relevée de la devise « Crux crucis custodis custos » date de 1890 et concerne « Le Gardeur de Tilly (Guyenne) » : la traduction donnée, « La croix garde le gardien de la croix [La Roque 1890, p. 60] », s'applique très bien au blason du chanoine Legardeur, à Couserans. On la retrouve en 1893 dans un ouvrage de Drouet.
Ce blasonnement pourrait peut-être expliquer le pommelé trouvé sur un des dessins ci-dessus ! Drouet donne cependant une transcription erronée et transformée du blasonnement original Chamillart en 1666 auquel il se réfère et dont voici la transcription.
Wikipedia, dans sa notice sur Brillevast, reprend sans les vérifier les informations fautives de Drouet.
On trouve également cette devise sous les armes des Legardeur de Croisilles sur un vitrail de l'Église de Brillevast reconstruite en 1903 (Église de Brillevast, web ou pdf, référence fournie par LGdR). À moins de preuves contraires tirées des archives, il ne semblerait pas que l'on puisse appliquer cette devise aux générations antérieures ou aux autres branches de la vaste famille Legardeur. |
| Le secret de la licorne | Rietstap | Mariages | Hozier | Vachon |
Le secret de la licorne.
À dextre, monsieur reste anonyme avec son blason d'or à la licorne rampante (d'argent ou d'émail) et filière engrêlée de gueules ; ce dernier élément pourrait signifier une brisure familiale. La licorne sur ce plat est d'argent, ce qui n'est pas impossible malgré les règles héraldiques l'interdisant sur champ d'or. Mais elle pourrait également être d'un émail héraldique comme celles ci-dessous. Nombre de familles portent des licornes rampantes sur leurs basons (Renesse 1894-1903, t. 1, p. 91-93), mais il est plus aisé de repérer directement les caractéristiques semblables à celle-ci dans les pdf de Rietstap auquel se réfère Renesse. |
| Le secret de la licorne | Rietstap | Mariages | Hozier | Vachon |
« Farkas de Nagy-Joka — Hongrie D'or à un cheval (ou licorne saillante) d'arg. [Rietstap 1884, t1, p649.] » |
Monschaw (Edle von) — Prov. rhén. (Chevaliers du St-Empire, 23 avril 1756.) Ec.: aux 1 et 4 d'azur au lion cont. d'or, arm. et lamp. de gu.; aux 2 et 3 d'or à une licorne saillante d'arg.; à la barre de gu., br. sur la licorne. Sur le tout d'azur à deux étoiles d'or en chef, et une rose de gu., bout. d'or, en p. (Rietstap 1884, t2, p245 ; Rolland 1903-1926 ; web ou pdf). La version colorisée présente des lions inversés dans le sens horizontal ! |
Obenaus de Felsö-ház — Hongrie (Conc. d'arm., 1610; nob. du St.Empire. 5 juin 1666; barons, 16 août 1827.) Ec.: aux 1 et 4 d'or à l'aigle de sa., sommée d'une couronne à neuf perles; aux 2 et 3 d'azur à la bande d'or, acc. de deux étoiles du même. Sur le tout d'or à une licorne saillante d'arg. (Rietstap 1884, t2, p332 ; Rolland 1903-1926) |
Sartorius barons de Waltershausen — Bav., Han. (Barons, 19 mai 1827.) D'or à une licorne saillante d'arg. (Rietstap 1884, t2, p673 ; Rolland 1903-1926 ; web ou pdf). |
Burger — Allem. Ec.: aux 1 et 4 d'or à la licorne ramp. de sa.; aux 2 et 3 barré de sa. et d'or, de quatre pièces. (Rietstap 1884, t1, p336 ; Rolland 1903-1926) |
Eberstorf — Aut. [...] Depuis le commencement du 14e siècle [...] C.: [...] Depuis 1400 les armes de Meissau qui sont d'or à une licorne ramp. de sa. (Rietstap 1884, t1, p587) |
Hanigler — Allem. Ec.: aux 1 et 4 d'arg. à un chamois arrêté sur un rocher à pic, le tout au nat.; aux 2 et 3 d'or à une licorne ramp. de sa. (Rietstap 1884, t1, p887 ; Rolland 1903-1926) |
Hoy — Augshourg. D'or à une licorne ramp. de sa. (Rietstap 1884, t1, p998 ; Rolland 1903-1926) |
Huchtenbruck (van) — P. de Clèves. D'or à une licorne saillante de sa. (Rietstap 1884, t1, p1001 ; Rolland 1903-1926) |
Loen de Hertzfort — Westphalie. Ec.: aux 1 et 4 de sa. à trois chev. d'or; aux 2 et 3 d'or à une licorne saillante de sa. (Rietstap 1884, t2, p89 ; Rolland 1903-1926) |
Loen d'Iserloen — Westphalie. D'or à une licorne saillante de sa., accornée du champ. (Rietstap 1884, t2, p89 ; Rolland 1903-1926) |
Meissau — Aut. (M. et. en 1439.) D'or à une licorne ramp. de sa. (Rietstap 1884, t2, p193 ; Rolland 1903-1926) |
Pfannenschmid — Bâle. D'or à une licorne ramp.de sa. (Rietstap 1884, t2, p426 ; Rolland 1903-1926) |
Planta de Zosslo — Milan. Ec.: au 1 d'arg. à un buste de roi cont., hab. d'azur, revêtu d'un manteau de gu., bordé d'herni., cour. d'or, tenant de sa main dextre un sceptre du même; au 2 d'or à une licorne ramp. de sa.; au 3 d'or à un bouc naiss. et cont. de sa.; au 4 coupé d'azur sur or, à un rocher de trois coupeaux d'arg., br. sur le coupé, sommé d'un corbeau de sa. Sur le tout un écusson d'arg., cour, d'or et ch. d'une patte d'ours de sa., posée en pal, coupée de gu., montrant la plante du pied de carn., les ongles en haut. (Rietstap 1884, t2, p449 ; Rolland 1903-1926) |
Quadt-Huchtenbruck — Limb. (Barons du St.-Empire, 1620; rec. dudit titre, 9 nov. 1666, 13 sept 1817 et 8 mal 1812; — comtes prussiens, 20 nov. 1786; branche ét. en 1805.) Ec.: aux 1 et 4 de gu. à deux fasces brét. et c.-brét. d'arg. (Quadt); aux 2 et 3 d'or à une licorne ramp. de sa. (Huchtenbruck). (Rietstap 1884, t2, p505 ; Rolland 1903-1926) |
Rosenkrantz — Dan. (Barons, 7 mars 1737.) Ec.: aux 1 et 4 d'azur à trois feuilles de rosier d'arg., posées en pairie, mouv. d'une rose de gu. en abîme (Sehested); aux 2 et 3 d'or à une licorne saillante d'azur (Rocklenge). Sur le tout les armes modernes de Rosenkrantz, couronnées d'or. (Rietstap 1884, t2, p608 ; Rolland 1903-1926) |
Ruseck (Barons) — Aut. D'or à une licorne ramp. de sa. (Rietstap 1884, t2, p636 ; Rolland 1903-1926) |
Schnellen — Allem. Ec.: aux 1 et 4 d'arg. à trois coeurs de gu.; au 2 de sa. à une licorne ramp. d'or; au 3 d'or à une licorne ramp. et cont. de sa. (Rietstap 1884, t2, p719 ; Rolland 1903-1926) |
Sembler (Barons) — Aut. Ec.: aux 1 et 4 d'or à une licorne ramp. de sa.; aux 2 et 3 de gu. au lion d'or. Sur le tout d'or à l'aigle de sa. (Rietstap 1884, t2, p760 ; Rolland 1903-1926) |
David - Bâle. D'or à une licorne ramp. de gu., coll. d'or. (Rietstap 1884, t1, p515 ; Rolland 1903-1926) |
Gerung — St.-Gall. D'or à une licorne ramp. de gu. (Rietstap 1884, t1, p767 ; Rolland 1903-1926) |
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Pennis van Diest — Utrecht. D'or à deux fasces de sa. (Diest); au fr.-q. d'or, ch. d'une licorne saillante de gu. (Rietstap 1884, t2, p409 ; Rolland 1903-1926) |
Rothbaar (Edie von) — Bav. (Chevaliers, 28 oct. 1796.) Ec.: aux 1 et 4 d'azur à deux étoiles (8) accostées d'arg.; aux 2 et 3 d'or à une licorne ramp. de gu. (Rietstap 1884, t2, p615 ; Rolland 1903-1926) |
Schwalker — Nuremberg. Tranché: au 1 d'or à une licorne saillante de gu. ; au 2 de gu. à la bande d'or. (Rietstap 1884, t2, p741 ; Rolland 1903-1926) |
Schweicker — Nuremberg. Tranché: au 1 d'or à une licorne ramp. de gu.; au 2 de gu. à la bande d'or. (Rietstap 1884, t2, p746 ; Rolland 1903-1926) |
Wlt (de) ou de With — Utrecht. D'or à une licorne saillante de gu. (Rietstap 1884, t2, p1105 ; Rolland 1903-1926) |
Rocklenge — Courlande. D'or à une licorne saillante d'arg. [...] 587 Rocklenge. Au lieu de: licorne saillante d'arg., lisez: licorne saillante d'azur (Rietstap 1884, t2, p587 et p1172 ; Rolland 1903-1926) |
LICORNE AU NATUREL. Auriez-vous une photo d'une licorne au naturel afin de pouvoir établir la véritable couleur de sa robe ? |
Dötscher (Edie von) - Bohême (An., 14 mai 1832.) Parti : au 1 d'azur à un mur au nat., maçonné de sa., occupant la moitié inférieure du champ, surm. d'un dextrochère de carn., mouv. du flanc, tenant une épée d'arg., garnie d'or; au 2 d'or à une licorne ramp. au nat. (Rietstap 1884, t1, p537). |
LICORNE D'ÉMAIL NON PRÉCISÉ. |
Dibbets-Coopsen — Holl. D'or à une licorne ramp. (Rietstap 1884, t1, p534) |
Si on ne tient pas compte de la filière présente sur ce plat, une possible brisure héraldique, on retrouve en Europe plusieurs blasons au champ d'or avec une licorne rampante (ou saillante), d'argent, de sable, de gueules, d'azur, au naturel ou autre émail non précisé, soit en écu complet ou partiel. Seulement le tiers de ces blasons sont datés par Rietstap. Ce qui permet d'éliminer 5 patronymes anoblis après la date de la fabrication de ce plat en 1740-1741 : Klein, Monschaw, Rothbaar, Sartorius, Dötscher. On peut également éliminer Eberstorf où une telle licorne n'apparaît que dans le blason de Meissau présenté au cimier. Ces noms n'ont donc pas été retenus dans les tableaux qui suivent.
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Ces blasons offrent une variété de possibilités pour l'identification de cet homme à la licorne pouvant provenir de plusieurs pays d'Europe, principalement de langue germanique, mais également néerlandaise, hongroise, danoise, italienne, lette ou limbourgeoise. Les blasons où la licorne occupe toute la place sur l'écu (complet dans les tableaux ci-dessus) seraient à privilégier, mais il n'est pas impossible qu'un descendant, légitime ou bâtard, ait pu réutiliser une partie seulement du blason familial (partiel dans les tableaux ci-dessus), celle où figure la licorne. Mais là se pose cette autre question : une alliance de l'une des filles Legardeur avec l'une de ces nobles familles allophones de la grande Europe aurait-elle été possible ? En effet, les barrières de langues, cultures, classes sociales et distances ne sont pas anodines ! Et comment ce plat, fabriqué à Paris en 1740-1741, se serait-il retrouvé chez les sulpiciens de Montréal ? On ne retrouve d'ailleurs aucun allophone dans les mariages connus des filles Legardeur, au début du XVIIIe siècle, qui n'ont toujours pas révélé le secret de la licorne mystérieuse...
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Date — Fille Legardeur épouse monsieur... | ...au blason. • Sources consultées. |
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1705.11.25 — Marguerite Le Gardeur de Repentigny (b 27-08-1686 Montréal QC, d 23-04-1757 Montréal QC) épouse Jean-Baptiste de Saint-Ours Deschaillons (n 1669 Sorel QC, d 08-06-1747 Montréal QC) à Montréal, Île-de-Montréal, Québec (LGdR. Drolet 2019, p. 708.).
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1711.10.12 — Marie-Angélique ou Madeleine Angélique Legardeur de Tilly (n 29-06-1684 Boucherville QC, d 16-06-1753 Québec QC) épouse Pierre Aubert de Gaspé (n 29-02-1672 La Rochelle FRA, d 20-03-1731 Saint-Antoine-de-Tilly QC.) à Beauport, Québec (RPCQ. Drolet 2019, p. 22, 443.). |
Voir 1915 Aubert. |
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1713.07.24 — Marguerite Le Gardeur de Saint-Pierre (n v 1696 Montréal QC, d 15-02-1752 Saint-Pierre Île d’Orléans QC) épouse Henri Hiché (n v 1679 Paris FRA, d 14-07-1758 Québec QC) à Québec, Québec-Ville, Québec (LGdR. Drolet 2019, p. 435, 439 note 21.). Henri Hiché était marchand, seigneur, notaire royal, procureur du roi, subdélégué de l’intendant, conseiller au Conseil supérieur de Québec. Il possédait, à son décès, pour 609# 2s. 6d. en argenterie (DBC). |
• BANQ. BRH, XXXIII, n° 4, avril 1927, p. 193-197 ; XLI, n° 10, octobre 1935, p. 577–606. • Drolet 2019. • Jougla de Morénas 1934-1952, t. 4, p. 203. • Massicotte 1915. • Massicotte 1918. • Paris 1865-1866, t. 1. • Renesse 1894-1903, t. 1, p. 91-98. • Rietstap 1884, t1, p. 950. |
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1714.05.14 — Anne-Marguerite Le Gardeur de Tilly (n 22-02-1700 Rochefort FRA) épouse Charles de Mallevaud de Varaine (n Fort-de-France Martinique) à Rochefort, Charentes-Maritime, France (LGdR. Drolet 2019, p. 744).
Reste à savoir si Charles, né en Martinique, portait une licorne, un huchet, des écrevisses ou d'autres meubles ? Était-il de la même lignée familiale que Claude, à Villefollet au Poitou, qui portait l'écu au huchet déniché par Auguste Vachon ? Le même bureau de Niort qui avait prélevé en mars 1699 des taxes de 20# sur les armes de Claude, soutire la même somme en décembre 1701 à un certain « N... Malvaut Ecuier, d'argent, a trois Ecrevisses d'azur malordonnees ». Divers patronymes de La Varenne sont répertoriés à Poitiers, mais on n'y trouve pas de licorne (Hozier 1696-1710, 28 Poitiers tome texte, p. 186, 389, 1140, 1141, 1142, 1280, 1298), ni pour d'autres variantes orthographiques ailleurs. |
• Drolet 2019. • Hozier 1696-1710 : vol. 14 Languedoc 1, p. 204, 953 ; vol. 16 Limoges, p. 128, 134, 136, 139. • Paris 1865-1866, t. 2 : Mallevaut. Lim., 134, 139, 152 ; Varaignes, Toul.-Mont, 204. • Recherche alphabétique dans Hozier : Mallevault, Malleville, Malvau, Malvaut, Malvilain, Malvin, Mauvier, Varaigne, Varain, Varaine, Varenne, Varennes. |
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1726.01.28 (LGdR.) ou 1727.01.28 (Drolet 2019, p. 435.) — Marie-Anne Le Gardeur de Saint-Pierre (n 11-12-1699 Repentigny QC, d 05-05-1742 Montréal QC) épouse Charles Nolan de La Marque (n 25-11-1694 Montréal QC, d 05-10-1754 Montréal QC) à Montréal, Île-de-Montréal, Québec.
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• Drolet 2019. • Recherche alphabétique dans Hozier : Noleon, Nolet, Nolhac, Nolibois, Nolin, Nolleau, Nollent, Nollet, Nolliere, Nollin, Nolly, Nolot, Marque. |
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1728.10.02 — Marie-Josephte ou Marie-Josèphe Le Gardeur de Courtemanche (n v 1711 Québec QC, d 26-05-1753 Montréal QC) épouse François Foucher (n v 1699 Maillebois FRA, d v 1770 FRA) à Pointe-de-Lévis, Lévis, Québec (LGdR. Drolet 2019, p. 436.).
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• Drolet 2019. • Recherche alphabétique dans Hozier : Fouché, Foucher, Fouchere, Foucherie, Foucherolles, Fouchet, Fouchie, Fouchier, Fouchieres. |
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1730.10.23 — Marie-Charlotte Le Gardeur de Tilly (n 09-07-1695 Québec QC, d 31-07-1776 Trois-Rivières QC) épouse Jean-Baptiste Fafard-Laframboise (b 05-03-1694 Trois-Rivières QC, s 25-01-1771 Trois-Rivières QC) à Saint-Antoine-de-Tilly, Lotbinière, Québec (LGdR. Drolet 2019, p. 443.).
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• Drolet 2019. • Recherche alphabétique dans Hozier : aucune référence se rapprochant de ces deux noms, vérifié Lafard. |
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1736.10.29 — Catherine-Delphine Le Gardeur de Tilly (n 12-03-1697 Québec QC, d 13-01-1774 Montréal QC) épouse Antoine Salvail (Salvaille) de Trémont (b 03-07-1686 Sorel QC, d 22-05-1769 Montréal QC) à Québec, Québec-Ville, Québec (LGdR. Drolet 2019, p. 443.).
Antoine est né à Sorel au Québec. Son père, Pierre Salvaye sieur de Trémont (vers 1650 - vers 1688-1689), avait été capitaine au régiment d’Espagne et au service du duc de Savoie, et sa mère, Jacquette Belle, native comme son mari de San Donato, Pignerol, Provincia di Torino, au Piémont (Nos origines, web, pdf ou txt ; et sources diverses). |
• Drolet 2019. • Recherche alphabétique dans Hozier : Salva, Salvain, Salvan, Salvart, Salvat, Salvator, Salvatory, Salve, Salvé ou Salvy, Salveroque, Salvert, Salvetat, Salviac, Salvies, Salviet, Trémon, Tremond, Tremont. |
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Il serait approprié de supposer un mariage de l'une des filles Legardeur avec un ressortissant de nationalité d'ascendance française portant un blason à la licorne rampante (ou saillante). Mais on n'en trouve aucune sur champ d'or pouvant s'apparenter à celle-ci dans les pdf des 4 tomes de l'ouvrage de La Roche-Lambert-Mions 1903. Le graveur des armoiries sur ce plat à ragoût a déjà donné une version particulière du blason des Legardeur. Aurait-il pu modifier la couleur du champ d'origine ? Qui aurait pu passer à celle de l'or ici représenté ? À moins qu'il ne faille investiguer une autre possible brisure héraldique familiale, celle du champ ? Les blasons retrouvés chez les nobles familles françaises (Hozier 1696-1710), dans certains cas identiques d'une lignée à l'autre, se présentent le plus souvent d'azur, mais aussi de gueules ou d'argent, à la licorne rampante (saillante ou montante) le plus souvent d'argent, mais également d'or ou d'azur... |
« Pierre Guichon, Ec.r, S҇gr. de Rozieres, et de Villenne, Con.er du Roi, Tres.er gn҇al des fortifications de France. » (Hozier 1696-1710, 24 Paris 2, p. 1546, web ou jpg.) « PORTE : d'azur, à une licorne d'argent. » (La Roche-Lambert-Mions 1903, T1, pdf63.) |
« Marc de Nantes, Avocat en Parlem.t Con.r du Roy son Procur.r en sa jurisdiction des droits d'entrée et Sortie. » (Hozier 1696-1710, 11 Dauphiné Grenoble, p. 103, web ou jpg.) « PORTE : d'azur, à une licorne saillante, d'argent. » (La Roche-Lambert-Mions 1903, T3, pdf395.) « Mon ancêtre, originaire du Dauphiné, avocat au parlement de Grenoble, procureur du roi en la juridiction des droits d'entrée et de sortie de la ville de Vienne en Isère, épousa Marie Brionnet le 1er juillet 1685 et n'eut pas de 2e épouse. Il fut un grand ami de Boileau Despréaux et de nombreux grands auteurs littéraires et académiciens de son temps (collaboration Benoît DE NANTES). » |
« Adrian Petit Cons.er du Roi au bailliage de Ch҇authiery. » (Hozier 1696-1710, 32 Soissonnois Isle de France, p. 318, web ou jpg.) « PORTE : d'azur, à une licorne saillante d'argent. » (La Roche-Lambert-Mions 1903, T4, pdf489.) |
« Claude de Nantes, Cons.er du Roi, Presid.t Tresorier de France g҇nal des Finances en la Gnalité de Dauphiné » (Hozier 1696-1710, 11 Dauphiné Grenoble, p. 253, web ou jpg.) D'argent, à une licorne rampante d'azur brochée d'un lys d'or. |
« George de la Croix, Ec.r Enseigne de la compagne Franche du Chateau d'Auxonne, et Marie Caterine Picaud sa fe҇me. » (Hozier 1696-1710, 6 Bourgogne Dijon, p. 268, web ou jpg.) « PORTENT : d'azur, à une croix à huit pointes, d'or ; écartelé : d'azur, à un lion contourné, d'or ; et sur le tout : de pourpre ; ACCOLÉ : d'azur, à une licorne rampante, d'or. » (La Roche-Lambert-Mions 1903, T3, pdf258.) |
« Elie de Poix Con.er du Roy Recev.r des Tailles en l'Election de Poitiers. » (Hozier 1696-1710, 27 Poitou Poitiers, p. 251, web ou jpg.) « PORTE : d'azur, à une licorne saillante, d'or. » (La Roche-Lambert-Mions 1903, T2, pdf219.) |
« Francois de Tilly Ec.r S˜gr. d'Vbexy. » (Hozier 1696-1710, 18 Lorraine, p. 164, web ou jpg.) D'azur, à une licorne rampante d'or et une étoile du même à dextre en chef. Ce seigneur d'Ubexy en Lorraine porte un nom associé à la grande famille des Legardeur. |
« Margueritte Bonque fe҇me de Paul de Paris, Ec.r S.r de L'Espineuil. » (Hozier 1696-1710, 16 Limoges, p. 67, web ou jpg.) « PORTE : de gueules, à une licorne saillante d'argent. » (La Roche-Lambert-Mions 1903, T2, pdf383.) |
« Pierre Chevalier, Cons.er du Roi, Com.re au Ch҇let. » (Hozier 1696-1710, 23 Paris, p. 944, web ou jpg.) « PORTE : de gueules, à une licorne saillante d'argent. » (La Roche-Lambert-Mions 1903, T1, pdf40.) |
« Jean-Baptiste de Pocholles, Ec.r Sgr du Hamel et du Quesnel Con.r du Roy Lieuten.t de M.rs les Maréchaux de France au Bailliage de Clermont et Catérine de Rebergues sa fe҇me. » (Hozier 1696-1710, 32 Soissonnois Isle de France, p. 87, web ou jpg.) « PORTENT : de gueules, à une croix cantonnée, aux premier et dernier, d'un aigle essorant, d'or, et aux deux autres, d'une licorne montante, aussi d'or ; ACCOLÉ : d'azur, à une ancre d'argent, la trabe d'or, posée en pal, et une face d'argent, brochante sur le tout, chargée d'un coeur de gueules, accosté de deux molettes de gueules. » (La Roche-Lambert-Mions 1903, T4, pdf509.) |
Pourrait-on trouver, parmi ces nobles familles françaises, un prétendant qui aurait pu conquérir la main de l'une des filles Legardeur ? Que ce soit chez les Bonque, Chevalier, Guichon, de Nantes, Petit, Picaud, de Pocholles, de Poix ou autres... Provenant de Dijon, Grenoble, Limoges, Paris, Poitiers, du Soissonnois ou d'autres provinces de France sous l'Ancien Régime... Une de ces licornes attire davantage l'attention, car elle porte un nom associé à la grande famille des Legardeur : François de Tilly, seigneur d'Ubexy en Lorraine. La chasse héraldique et généalogique à la noble licorne doit donc se poursuivre en de possibles prolongations colorées non encore investiguées... En espérant que votre collaboration pourra enfin percer le secret de la licorne mystérieuse chevauchant l'adversité sur l'un ou l'autre des multiples sentiers ou pistes s'ouvrant à l'horizon... |
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Comme première étape, j’ai consulté Ian Campbell, An Index to Heraldry in Canada and to Flagscan, Waterloo (Ontario) dont le vol. I répertorie les nos 1 à 30 (1966-1996) et le vol. II, les nos 31 à 35 (1997-2001). Heraldry in Canada / L’Héraldique au Canada contient plusieurs articles sur la période de la Nouvelle-France, entre autres, par Robert Pichette, Daniel Cogné et moi-même. Regrettablement, ces deux index n’incluent rien d’utile pour la question qui nous concerne. Depuis 25 ans environ, je compile des photocopies sur les armoiries des personnages de la Nouvelle-France. Mes dossiers comprennent, bien entendu, l’Armorial du Canada français de Massicotte et Roy et un manuscrit dactylographié par Ægidius Fauteux intitulé Armorial du Canada français (Fauteux 1939-1941). Les dossiers incluent aussi de nombreux documents du Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale de France copiés par M. de Vaux de Foletier pour les Archives nationales du Canada et conservés dans le fonds français MG7, IA2, 26485-33264. Plusieurs autres copies proviennent d’armoriaux français.
J’ai ensuite parcouru la liste des époux des filles Legardeur. Ma quête d’armoiries pour plusieurs de ceux-ci s’est avérée infructueuse, sauf pour les deux qui suivent.
En France, les armoiries adoptés librement, surtout par les bourgeois et parfois par de simples paysans, étaient très répandues. En général, les officiers d’armes n’enregistraient pas les armoiries roturières de sorte qu’elles sont mal documentées. L’édit de 1696, qui dura jusqu’à 1709, constituait une exception à cette règle, mais il ne s’appliquait pas dans les colonies. La non-application de cet édit au niveau colonial explique en partie le peu d’armoiries roturières en Nouvelle-France, mais je pense qu’un grand nombre de ces armoiries sont demeurées dans l’ombre du fait qu’elles n’étaient pas enregistrées et donc mal documentées. Beaucoup d’habitants d’un certain rang en Nouvelle-France aspiraient à la noblesse en adoptant le titre d’écuyer ou la particule nobiliaire. Il était donc normal qu’un certain nombre d’entre eux adoptent librement des armoiries. Certains des maris des filles Legardeur, comme Charles Nolan Lamarque, semblent avoir été des roturiers bien nantis. En supposant qu’une des épouses Legardeur ait voulu faire graver ses armoiries sur de l’argenterie de famille, il aurait été normal que son époux roturier s’invente des armoiries pour accoler aux siennes. Cela expliquerait aussi pourquoi l’écu à la licorne est si difficile à identifier. Le DBC nous apprend que le père d’Henry Hiché était bourgeois, ce qui veut dire qu’il l’était lui aussi. Certaines des pièces d’argenterie qu’il a laissées à son décès lui ont peut-être survécu. Anonyme, Collier armorié (détail des écus accolés Legardeur et Aubert de Gaspé, recto et verso), Ceci m’a donné l’idée de consulter le catalogue d’une exposition que Robert Pichette et moi avions montée en 1976 aux Archives publiques du Canada sous le titre « Exposition d’argenterie armoriée de la collection Henry Birks d’argenterie canadienne » (Pichette 1976.10). La première pièce, d’un fabricant inconnu, était un collier avec 13 médaillons dont l’un portait les écus accolés Legardeur et Aubert de Gaspé, mais le catalogue n’inclut pas le nom Hiché ni de pièces aux armoiries d’une des filles Legardeur accolées à celles de son mari. Les tentatives pour identifier des armoiries sur des objets ne sont pas toujours couronnées de succès. Au cours de ma carrière, j’ai parfois connu des réussites formidables, mais aussi des échecs décevants après avoir utilisé tous les moyens à ma disposition. Je garde l’image des armes à la licorne en tête. Parfois une solution surgit au hasard des recherches. |
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Cuiller à servir d'Ignace-François Delezenne aux armes de la famille Baby.