TEKAKWITHA.
Nouveaux regards sur ses portraits.
« Elle approche, elle meut quelque chose en avant. »

   

1685-1686 Chauchetière, sa Narration et les caractéristiques de ses dessins.

Claude Chauchetière (1645-1709) est à la source des informations concernant Tekakwitha. En 1677, son nom est inscrit aux registes de Lorette puis ceux de Laprairie (DBC). Il atteste, dans ce manuscrit (f02r), être arrivé en 1677 à la mission Saint-François-Xavier, au Sault-Saint-Louis, autrefois appelée Caughnawaga, aujourd'hui Kahnawake. Chauchetière est ambigu sur la date d'arrivée de Tekakwitha dans cette mission, mais on peut la situer en 1677 (f16r). Il la connaît jusqu'à son décès, lui attribuant de grands pouvoirs mystiques. Elle devient sa muse et son inspiratrice.

Et, l'an 1680, Dieu confirma en moy, par les prières de Catherine qui est assès connue, tout ce qui s'estoit passé les années précédentes. Catherine décédée en odeur de sainteté au Sault l'an 1680, 17 avril. (f03v)

Il rédige tout d'abord un récit de la vie de la Bonne Catherine Tegakouita (f02v, voir Chauchetière 1685-1695 et Chauchetière 1887). Puis, le manuscrit que nous étudions ici (Chauchetière 1686), de 20,5 x 15,9 cm (f01r), qui est conservé à Bordeaux, aux Archives départementales de la Gironde, série H Jésuites (coté AD33 sur le cd-rom reçu). Il contient 30 folios, plus une page de couverture ajoutée au XIXe siècle (f00r). Il se présente sous plusieurs intitulés.

• NARR. Jusq'en 1685 de ce qui s'est passé à la mission du sault depuis sa fondation jusqu'en 1686 premier cayer (f01r) [la narration de 1678 se référe également à l'année 1686]
• Narration annuelle de la mission du sault depuis sa fondation jusques à l'an 1686 Avant propos (f02r)
• narration annuelle de la fondation de la mission du sault jusqu'en 1685 (f03r)
• Relation Du Canada (f30v)

La TABLE MOSAÏQUE permet d'accéder rapidement aux divers éléments du manuscrit. Tout d'abord sa chronologie, via la table des dates : avant-propos, puis de 1667 à 1685. Ensuite à la table des folios : présentés dans leur ordre de lecture, par paires verso-recto, sauf pour les f00r, f01r et f30v présentés seuls ; on y indique avec la lettre d l'emplacement des dessins et avec la lettre t les titres de ceux projetés. Finalement, au tableau des dessins et aux titres de ceux projetés ; 10 folios présentent au recto les dessins réalisés avec les titres de ceux projetés au verso ; deux folios supplémentaires présentent, aux rectos et aux versos, les titres de 4 autres dessins projetés.

| Ap | 1667 | 1668 | 1669 | 1670 | 1671 | 1672 | 1673 | 1674 | 1675 | 1676 | 1677 | 1678 | 1679 | 1680 | 1681 | 1682 | 1683 | 1684 | 1685 |

   
TABLE
MOSAÏQUE
   
| f = folio du manucrit | r = recto | v = verso |
| d = 10 dessins |
t = 14 titres de dessins projetés |
  
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30v      
  
f07r Les six premiers sauvages de la Prairie viennent d'Onneiout sur les nèges et les glaces
 


f07v leur baptesme

  
f08r Les sauvages vont s'établir à la Prairie de la Magdeleine avec les François
 


f08v ils batissent une cabane





f09r On travaille aux champs


f09v plusieurs personnes viennent demeurer à la prairie

f10r On en bannist les boissons


f10v on établit la saincte famille





f12r On bannit les superstitions des enterremens

f12v on fait tous les mariages en face deglise
f14r On donne la confirmation la 1re fois

f14v Le changement de village




f16r On bâtit la première chapelle

f16v quelques sauvages vont prescher la foy
f18r Quelques personnes embrassent la virginité, la continence

f18v il s'y fait une saincte société




f20r On fait les processions du Saint Sacrement

f20v on commence a porter le viatique dans les cabanes
f25r La foudre tomba au pied de la chapelle

f25v le retour de p fremin





f26r on invoque le nom de Catherine et on accommode son tombeau

f26v la benediction de la cloche

f27r la chute de la chapelle

f27v le rétablissement de la chapelle
 

Les 10 dessins et les titres des 14 projetés ont été soigneusement planifiés et structurés dans le cadre du récit. Celui du recto amène logiquement celui projeté au verso, qui lui répond dans une rhétorique de continuité ou en contrepoint souvent idyllique d'acculturation progressive : la venue des autochtones (f07r) est suivie de leur baptême (f07v) ; leur établissement (f08r) amène la construction d'une cabane (f08v) ; l'abondance de nourriture fournie par le travail aux champs (f09r) favorise les arrivées multiples (f09v) ; la lutte contre l'alcoolisme (f10r) est épaulée par la fondation la Sainte-Famille (f10v) ; le bannissement des superstitions d'enterrements (f12r) est renforcé par le mariage religieux (f12v) ; le sacrement de confirmation consolide la conversion (f14r) également protégée par l'éloignement du village des centres de débauche (f14v) ; la construction d'une nouvelle chapelle (f16r) amène les autochtones eux-mêmes à répandre la bonne nouvelle (f16v) ; la pratique de la virginité et de la continence (f18r) sanctifie l'ensemble de la société (f18v) ; les processions du Saint Sacrement (f20r) stimulent la distribution de la communion dans les cabanes (f20v) ; la foudre tombée au pied de la chapelle (f25r) est compensée par le retour réconfortant du père Frémin (f25v) ; l'accroissement des dévotions à Tekakwitha (f26r) est stimulé par le tintement de la nouvelle cloche (f26v) ; la chute de la chapelle (f27r) est corrigée par son rétablissement (f27v).

La forte interaction entre le dessin projeté sur le verso du folio de gauche et celui figurant déjà sur sur le recto du folio de droite est également analysée au fur et à mesure de l'étude de chacun d'entre eux. Une nouveauté de notre approche : chaque projet de dessin est scruté à la lumière des textes de Chauchetière, permettant ainsi de révéler un peu plus ses intentions.

Le manuscrit est présenté tel qu'on peut le consulter au fil des folios, deux par deux, les versos à gauche et les rectos à droite. Il s'interrompt brutalement, demeuré incomplet et non terminé.

Les textes de Chauchetière, — présentés ci-dessous en italique — dans des encadrés de cette couleur, reprennent la transcription d'Hélène Avisseau, conservateur aux Archives départementales de la Gironde à Bordeaux (Chauchetière 1984a), qui a scruté attentivement le manuscrit original en le comparant aux versions publiées par Rochemonteix (Chauchetière 1895-1896) et Thwaites (Chauchetière 1900), ce dernier reprenant la transcription manuscrite de Martin (Chauchetière 1881). Cette transcription n'a pas été vérifiée systématiquement, mais nous y avons édité les notes, effectué quelques modifications ou ajouts [notés entre crochets] et ajouté quelques hyperliens.

L'objectif est de présenter l'ensemble du manucrit et d'étudier surtout les images en lien avec leurs textes selon leur mise en page d'origine. Certains passages du — texte original en italique sont marqués en gras afin de mieux comprendre leurs liens avec les dessins, ce manuscrit, ce site ou Tekakwitha.

Cette flèche droite donne accès au texte de Chauchetière qui suit.
Cette flèche gauche donne accès au texte de Chauchetière qui précède.

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folio 00 recto — Couverture ajoutée au XIXe siècle

En haut à gauche, grande écriture à l'encre foncée : Serie H Jésuites.

En haut à gauche, grand sceau ovale estampillé : dans la double bordure ARCHIVES DÉPARTEMENTALES | GIRONDE ; au centre en italique Propriété Publique. La répétition de ce sceau sur d'autres pages ne sera pas relevée.

En haut à droite, à la mine et encerclé : 48.

Au centre de la page, titre d'une écriture fine à l'encre : + | De grand prix, | pour nous | oeuvre du P. Claude Chauchetière, | de la prov. de Guienne, - entré ds la cie de | Jesus, le 7 sept. 1663. | 1667 à 1686.

À gauche, sur une étiquette : Xe article | du catalogue des Mss | demandé par le [Mnastère ? Mnistère ?] | 1885.

À droite, petit sceau rond estampillé encerclé d'une ligne simple : ARCHIVES DEPARTEMENTALES | GIRONDE | étoile. La répétition de ce sceau sur d'autres pages ne sera pas relevée.

Avisseau (Chauchetière 1984a) avance que le manuscrit a « appartenu aux Jésuites jusque vers 1850 ou 1860 environ » en se basant sur les caractéristiques de cette « mince feuille de papier du XIXe siècle [Chauchetière 1984a et note 42] ». Mais elle ne mentionne pas cette étiquette qui réfère à une opération d'inventaire des manuscrits en 1885. Il n'est pas clair si cette demande originait alors d'un monastère ou d'un ministère. Serait-ce au moment de son transfert de propriété ?

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folio 01 recto — Avec règles ajoutées

D'après la règle verticale photographiée avec le manuscrit et une copie placée à l'horizontale, une fois toutes les deux ajustées précisément aux bordures externes du manuscrit, on obtient des dimensions de 20,5 x 15,9 cm en se guidant sur les lignes blanches ajoutées comme repères.

folio 01 recto — Titre

NARR. Jusq'en 1685 de ce qui s'est passé à la mission du sault depuis sa fondation jusqu'en 1686 premier cayer [Le missionnaire projetait donc plus d'un cahier à son récit...!] 1667-1686 | 1694 [Dates ajoutées en gros, à la mine, par-dessus le titre. Chauchetière a quitté cette mission en 1694 selon le DBC.]

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folio 01 verso — Imprimé (portion tirée de la photo du f02r)

Les photographies des pages individuelles prises sur fond bleu (ci-dessus) montrent une toute petite partie du f01v à gauche du f02r.

Les f01 et f30 sont formés d'un papier recyclé, soit « un morceau d'affiche plié en deux, le côté blanc à l'extérieur, le côté imprimé à l'intérieur (il s'agit certainement d'une affiche de thèse [...] [Chauchetière 1984a] ».

D'autres photographies, prises sur fond beige (ci-dessus provenant de BANQ P1000,S3,D2654), montrent les folios photographiés en paires lorsque le manuscrit est ouvert. Or, sur la photo ci-dessus, le f02r (à droite) n'y est pas photographié avec le f01v qui devrait paraître à sa gauche, mais avec le f30r...!?

Ce photomontage restitue la portion du f01v, sur fond bleu (à gauche), en continuité avec le f30r, sur fond beige (à droite), comme il aurait dû être photographié. On y constate la continuité des lignes et des textes, ainsi que des motifs du blason.

Voir le f30r pour la suite de cette analyse...

folio 02 recto — Titre — Avant propos

| Ap | 1667 | 1668 | 1669 | 1670 | 1671 | 1672 | 1673 | 1674 | 1675 | 1676 | 1677 | 1678 | 1679 | 1680 | 1681 | 1682 | 1683 | 1684 | 1685 |

Narration annuelle de la mission du sault depuis sa fondation jusques à l'an 1686

Avant propos

Celui qui a fait ces annales a passé plus de trois ans à ramasser ce qu'il a pu apprendre de la bouche de sauvages qui ont bâty les premières cabanes à la Prairie, ce qu'il a trouvé imprimé dans sa dernière relation de 1670-1671 et dans la manuscrite depuis 1671 jusques à 1679. Il a entendu dire ces choses de la bouche des François qui sont à la Prairie habitans, lesquels luy disoint les choses de très grande édifictation de quelques sauvages et sauvagesses décédés très chrestiennement. L'écrivain s'est appuyé sur tous ces tesmoignages jusques à l'année 1677, mais depuis ce temps-là il a eu luy-mesme en personne la connoissance et l'expérience des merveilles que Dieu a opérées en divers temps dans cette mission du Sault ; une des plus grandes raisons qui l'ont poussé à écrire est la conduitte que Dieu a tenu depuis l'établissement de la mission, laquelle a crû comme la palme sous le poids des persécutions. S'il y a plusieurs choses oubliées qui méritent cepandant d'estre écriptes, s'il y a des contretemps ou quelque chose de brouillé, enfin s'il a fait trop attendre [Rochemonteix (Chauchetière 1895-1896) a lu ce récit, le père Martin (Chauchetière 1881) le monde, Avisseau (Chauchetière 1984a) laisse un blanc car même aux rayons ultra-violets elle n'a presque rien distingué, le manuscrit étant taché et usé], c'est la faute de ceux qu'il vouloit laisser passer devant ceux qui, sçachant mieux les choses que luy, devoient donner un peu au public la consolation qu'ils avoient reçeu de Dieu. Mais enfin

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folio 02 verso — Avant propos

me lassant d'attendre, après avoir fait le récit de la vie de la Bonne Catherine Tegakouita, par le propre mouvement de cette bonne fille, je me suis attaché a faire le récit des actions des hommes illustres que Dieu nous a enlevé et dont il a bien voulu peupler le ciel ; l'écrivain en a connu quatre, dignes enfans, comme leur prédécesseurs, des Pères qui leur ont donné la foy, arrousant leur mission de leur sueur et de leur sang. Le dernier ouvrage est celuy-cy où il marque année par année tout ce qui s'est passé de remarquable dans cette mission avec un receuil particulier des combats et des victoires que les sauvages ont donné contre l'ivrognerie. Les estempes qui sont marquées là sont pour faire connoistre aux sauvages la suitte de leur histoire et les grâces qu'ils ont receu de Dieu depuis qu'ils sont chrestiens.

folio 03 recto — Titre — Avant propos

narration annuelle de la fondation de la mission du sault jusq'en 1685

Après cinq années de délay passées en diverses peines d'esprit que j'ay eu comme celles qui pourroient arriver à ceux dont parle saint Paul qui veritatem in injustitia detinent [qui retiennent la vérité de Dieu captive, la connaissant et ne la publiant pas], je suis enfin obligé de me rendre et de mettre moins mal que je pourray sur le papier ce qui s'est passé depuis ving ans et ce que la foy a produit dans ce païs. L'oubly dans lequel la pluspart de ces choses pourroint tomber pourroit peut estre m'estre imputé un jour et reproché de Dieu, et je pourrois me priver par ma faute des prières des premiers apostres du Canada dans lesquels je me confie beaucoup pour n'avoir pas voulu contribuer à rendre leur mémoire plus éclatante et suivre les touches que j'ay eu souvent de mettre la main à la plume et de ramasser les thrésors qu'ils ont eux-mesmes trouvés et dont ils nous ont fait les dépositaires. Ces pensées qui me semblent si justes me donnèrent plus de peine il y a cinq ans, après que j'eus receu certaines lettres de France daps lesquelles ont me mandoit qu'une de mes lettres avoit esté leue publiquement quoy que j'eusse prié celuy à qui je l'écrivois, qui est un de mes frères, de la lire en secret et de l'envoyer à son addresse. On me fit trouver bon ce qui c'estoit passé, adjoutant que je ne faisois pas bien de cacher les choses d'oedification semblables à celles que j'avois écrit, lesquelles estant comparées avec ce qu'on lisoit alors des missions de la Chine eurent plus d'agréement et touchèrent davantage ceux qui les lisoint. J'avois menacé ceux à qui j'écrivois alors de ne leur écrire jamais s'ils ne me gardoint le secret. Enfin le secret a esté rompu. On m'a reproché aussy en Canada d'estre trop paresseux à faire des relations. L'obéissance m'a obligé ensuite à le faire. Tout cela a emporté mon esprit qui estoit résolu premièrement de ne rien dire que je n'eusse vu ou entendu, secondement, ayant écrit quelque chose je me résolus de cesser et de vivre dans le lieu où Dieu m'a mis en ce monde, et de profiter en mon particulier des exemples de vertu que je vois tous les jours dans nos nouveaux chrestiens. Enfin la crainte que j'ay d'estre opiniastre, en effect comme quelqu'un me l'a reproché, me contraint de donner quelque forme à quelqu'espèce d'Annales que j'ay fait et à d'autres remarques qui n'estoient faite que pour ma consolation particulière, attandant ce qui en arrivera.

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folio 03 verso — Avant propos1667

Je me retranche aux seules missions iroquoises auxquelles Dieu m'a appliqué et surtout à la mission du Sault qui est ma fin. Ainsi on verra icy la naissance et le progrès de cette nouvelle église. L'attache que j'ay à cette mission est aussy entienne que la mission mesme, car comme il y a dix-neuf ans passé cet hyver que les missions iroquoises ont commencé, il y a aussy dix-neuf ans que Dieu, qui m'avoit desja fait connoistre sa volunté, me disposa aux missions étrangères et me toucha plus particulièrement pour m'attirer à luy par une abondance de sa miséricorde qu'il versa sur moy la nuit de Noël, qui est aussy l'attrait particulier par lequel il a attiré les sauvages. Ce fut l'an 1667. Cinq ans après, Dieu me disposa plus particulièrement dès la France, environ la feste de saint François Xavier, et m'attacha aux missions iroquoises, m'ayant donné beaucoup de goust pour la langue hurone qui est celle dont les Iroquois se servent pour prier. Le R.P. Mercier que je vis en France à la fin de décembre me donna les préceptes de cette langue que j'appris aussytost et me rendis capable de réciter le chapelet en huron que je disois plustost en cette langue qu'en latin à cose de la consolation spirituelle que cette façon de prier Dieu me causoit. Aussytost que j'arrivé en Canada on me mit en effect à la mission des Hurons et après un an on m'envoya au Sault où j'ay demeuré jusques à la présente année. Et, l'an 1680, Dieu confirma en moy, par les prières de Catherine qui est assès connue, tout ce qui s'estoit passé les années précédentes.

[Note marginale :] Catherine décédée en odeur de sainteté au Sault l'an 1680, 17 avril.

| Ap | 1667 | 1668 | 1669 | 1670 | 1671 | 1672 | 1673 | 1674 | 1675 | 1676 | 1677 | 1678 | 1679 | 1680 | 1681 | 1682 | 1683 | 1684 | 1685 |

L'an 1667

Le temps des guerres qui ont esté entre les François et les Iroquois étant passé, on vit la prophétie d'Isayie accomplie à la lettre : les ours et les lions habiteront avec les agneaux. On vit les Iroquois venir rechercher l'amitié des François ; on vit les François aller en mission au païs des Iroquois. Le temps couloit quand chacun pensoit à s'habituer sur les terres de la Nouvelle-France. Le Montréal, qui estoit le grand théâtre de la guerre, devient un champ fertile. On passa mesme le fleuve de Saint-Laurent et on establit vis-à-vis du Montréal la seigneurie de la Prairie bien choysy de Dieu pour y faire une des plus belles missions qu'on ait vu en Canada. Les François disposèrent le lieu, s'y estant transportés pour y faire un village, lequel commença l'an 1667.

Tandis que le R.P. Rafeix estoit occupé à faire défricher les terres à la Prairie et invitoit de nouveaux habitants à l'y suivre, Dieu invitoit des sauvages à y venir ; cette invitation se fit lorsqu'il voulut que Tonsahoten avec quelques autres s'offrit à descendre d'Onneiout pour venir conduire au Montréal un des missionnaires qui devoit revenir sur les glaces. Sept personnes onneiouts jettèrent les fondemens de toute la mission de Saint-François-Xavier. Le nommé Tonsahoten fut contraint de descendre pour venir chercher des remèdes qu'il ne trouvoit point en son païs. Il estoit chrestien, avoit nom Pierre. Allant en guerre, il dit à sa femme qu'elle eust soing du père Bruias qui ne faisoit qu'arriver et qu'elle apprit la prière.

[Note marginale :] Boquet descendoit envoyé par le P. Frémin pour donner avis à Québek de ce [la fin de la note est illisible]

folio 04 recto — 16671668

L'illustre Gandeaktena, femme de celuy que j'ay nommé Tonsahoten, estoit de la nation des Chats [les Eriehronons, ou simplement Ériés, habitaient au sud du ce lac (Chauchetière 1984a)] destruite par les Iroquois. Elle estoit esclave, mais elle avoit un naturel très bon et très propre pour le christianisme. Elle servit de guide aux six personnes qui venoint à Montréal. Elle faisoit les prières quoy qu'elle ne fust pas encore baptisée. Elle avoit fait dès lors des choses si grandes pour Dieu qu'on a fait le récit de ses grandes actions, en particulier dans les Relations, on l'écrira aillieurs. Cette petite troupe arriva à Montréal sur les glaces où le père Rafeix les rencontra quelque temps après leur arrivée et les invita à aller sur ses terres. Ces pauvres barbares, qui ne sçavoint ce que c'estoit que des prêtres d'église et de cérémonie, estant entrés dans l'église du Montréal, furent tellement ravis et surtout Gandeaktena, qu'ils ne pensèrent plus aux Iroquois d'où ils venoint. Gandeaktena prit aussytost résolution de gaigner son mary pour le faire demeurer et elle s'attacha pour tout le reste de ses jours avec les François. Ces saintes pensées crûrent tout le reste de l'hyver et en attendant une parfaitte instruction des mystères de nostre saincte foy et la grâce du baptesme, elle passa avec les cinq autres l'hyver à la Prairie, vivans sous le mesme toist que les François, qui n'estoit qu'un simple hangar de planches droittes et appuyées l'une contre l'autre en dos d'asne. Comme on sçavoit que tout estoit en paix, plusieurs venoint chasser du costé de Montréal et s'arrester en divers endroits de l'isle sans avoir aucun dessein. Ils le faisoint ainsy tous les ans, 4 ans durant. Ils estoint ainsy dispersés dans les bois tandis que la terre se préparoit à les recevoir à la Prairie où l'esprit de Dieu les conduisit tous, où estants rassemblés on vit renouveller ce qui estoit arrivé en Jérusalem quand l'Eglise se forma de toutes les nations rassemblées. On vit en ce petit nombre de sauvages des hommes de différentes langues : l'un estoit de la nation des Chats, l'autre des Hurons, quelques-uns francs Iroquois, d'autres Gandastogues [Andastogues ou Andastes, Hurons qui habitaient les états actuels de Pensylvanie et du Maryland (Chauchetière 1984a)], et maintenant la mission est de plus de dix ou douse différentes nations quy parlent toutes iroquois.

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On admirera durant les années suivantes les différentes manières de vocation dont Dieu s'est servy pour ramasser les nations qui composent cette mission et parce que la vocation extérieure est ce qui tombe le plus sous les sens et ce qui fait connoistre Dieu au peuple plustost que la lumière de la foy et les affections que Dieu répend dans le coeur des hommes, il sera bon de parler aillieurs de quelques vocations particulières. Ce fut donc l'année mil six cent soixante-huit que tous ces sauvages descendirent à Québek après qu'on eut donné la nouvelle à Monseigneur l'évesque. Pandant qu'on portoit cette nouvelle, au petit primptemps, dès la fonte des nèges, d'autres Onneiouts [la nation de la Pierre, établie au sud du lac Oneida aux États-Unis, l'une des Cinq Nations iroquoises (Chauchetière 1984a)] parents des six premiers se rendirent des environs où ils chassoint l'hyver à la Prairie. Ainsy de six sauvages qui avoint passé l'hyver à la Prairie, le nombre monta jusques à dix ou douse, lesquels descendirent tous ensemble à Québek


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sur la fin de l'été. Le R.P. Rafeix les présenta, le R.P. Chomonot les instruisit ou plustost acheva de les instruire, car ils avoint déjà commencé l'exercice de la prière à la Prairie. Ainsy la troupe fut bientost capable de recevoir le baptesme. Ce fut Monseigneur [de Laval] qui leur conféra ce sacrement et qui posa ainsy la première pierre à cet édifice spirituel dont la structure est admirable. Le chef de cette bande saincte s'appella François Xavier [Tonsahoten baptisé Pierre], du nom de toute la mission, et sa femme fut nommée Catherine, nom qui a esté remarquable dans celle-cy et qui est vénérable dans une autre Catherine qui est morte depuis peu dans la mission en odeur de saincteté. La cérémonie estant finie, on voulut arrêter François Xavier à la mission des Hurons, mais Dieu, qui a ses desseins, osta la pensée à cet homme là d'y demeurer. Sa femme eut voluntiers accepté l'offre si Dieu ne l'eust pas choisie pour venir fonder la Sainte-Famille à la Prairie. Nos nouveaux baptisés s'en retournèrent l'automne et s'en furent débarquer à la Prairie où à succession de temps, avec plusieurs autres, ils ont fait un beau village. Ils passèrent le reste de l'an dans la mesme cabane que les François avoint faite pour eux. Ils partirent ensuite pour aller à la chasse au commencement de l'hyver. Ils n'alloint pas loing sans trouver des bêtes. Cepandant, pour le peu de temps qu'ils demeuroint dans le bois, car ils se rendoint au village à toutes les grandes fêtes et surtout à Noël, ils emportoint avec eux un petit calendrier où les fêtes et les dimanches estoint marquées de la main du père qui les instruisoit [Pierre Rafeix]. Ainsy ils estoient tous remplis de la grâce du baptesme qu'ils conservoint dans le bois mesme, estant exacts à faire la prière les matins et les soirs. Cet hyvernement fut la reigle de tous les autres qui ont suivy et qui ont sanctifié depuis plusieurs sauvages dans le bois où quelques-uns sont morts en prédestinés, où d'autres ont vescu en anges des six mois durant, où d'autres se sont exposés pour la foy et ont fait les apostres, preschant tout l'hyver à ceux qui n'estoint pas encore chrestiens.

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Tandis que nos sauvages estoint ainsy à la chasse, le père Rafeix faisoit préparer de la terre et ses bons chrestiens estans de retour il leur marqua leur champ après la semence faite. François Xavier bâtit une cabane qui devoit à l'avenir estre le modelle de toutes les autres, cabane si heureuse qu'elle est comme la mère de soixante autres au milieu desquelles elle se trouve et que celuy qui l'a bâtie est devenu comme le père des croyants qui sont à présent en très grand nombre. Il n'y avoit encore que deux familles tout au plus dans cette cabane, il n'y avoit pas un qui ne fust baptisé depuis peu. Cepandant la bonne odeur de ces nouveaux chrestiens remplit tellement les bois d'icy autour que plusieurs les vinrent visiter. Leur réputation fut mesme jusque au païs des Iroquois, laquelle y fut la source de mille bénédictions que Dieu versoit sur les infidelles, à mesmes temps qu'ils entendoint parler de la nouvelle mission. Il y avoit beaucoup de sauvages qui vivoint sur les bordages du fleuve

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de Saint-Laurent en montant du costé des Outaouaks [tribu de race algonquine occupant, au début du XVIIème siècle, le sud de la rivière Ottawa, que les Iroquois dispersèrent vers 1650 et qui s'établirent à Michillimakinac entre les lacs Huron et Michigan (Chauchetière 1984a)]. La curiosité les attira à la Prairie. Quelques-uns y venoint comme suppost du démon pour débaucher les autres et cepandant ils se trouvèrent tous pris par les filets de l'Evangile, peu à peu, cabane à cabane et homme à homme. C'est ainsy que les commencements de la mission ont esté semblables au grain de moutarde. Ces visiteurs voyant les bleds très beaux eurent la pensée d'y demeurer et de bâtir leur cabane. La première cabane ne demeura pas longtemps seule. En moins d'un an il y en eut quatre ; entre autres on y vit celle d'un Onnatagué [nation de la Montagne, une des Cinq Nations iroquoises (Chauchetière 1984a)], lequel a esté baptisé en France et à qui le Roy donna son nom et une belle médaille d'argent qu'il a tousjours pendue à son col.

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[en marge :] P. Rafeix, P. Piersont

On connut cette année plus clairement le dessein que Dieu avoit sur les Iroquois. Les cinq cabanes toutes remplies de gens baptisés commencèrent à prendre les exercices réglés d'une mission, lesquels n'avoint esté à plus près jusque à ce temps là que comme on les fait dans le bois tandis qu'on est à la chasse, c'est-à-dire qu'une personne faisoit les prières et les autres suivoint, les apprenants à force de les répéter tous les jours. On disoit la messe dans la petite cabane de planches qui estoit commune pour les François et pour les sauvages. Quoyque le nombre fust petit, on ne laissoit pas de faire les prières soir et matin. L'affection que les sauvages tesmoignoint avoir pour la foy obligea d'y tenir deux missionnaires selon le tesmoignage qu'en rend la relation imprimée de 1670 et 1671. On commença à y faire des bâtimens tels qu'on les voit encore pour y faire une église à la façon du païs. Le père Pierre Rafeix y mit la première main; il estoit infatigable dans le soing qu'il prenoit des sauvages et des François. Les sauvages faisoint, dit la relation, 20 familles. Le R. père Dablon, descendant les Outaouaks à Québek pour y aller prendre la supériorité, passa à la Prairie et ayant vu ensuite la mission entienne des Hurons dit que la nouvelle avoit les mesmes exercices de piété que l'entienne. Nous verrons les progrès que la nouvelle va faire dans la foy, dans la dévotion et dans la pratique de toutes les plus éminentes vertus qui reluisent dans ces commencemens de mission, mais que Dieu a tenu cachés dans l'enceinte de la Prairie. Il n'y avoit encore ny capitaine, ny dogique [un laïc chargé de surveiller la tenue de l'église, de réciter et de faire réciter les prières, de diriger les chants, de s'assurer de l'assistance régulière aux offices de la paroisse, qui prêchait parfois le dimanche et enseignait le catéchisme (Chauchetière 1984a se référant à Rochemonteix 1895-1896, t. III, p. 383, note 3)] à proprement parler et les missionnaires prenoint tous les soings sans les partager. Mais le nombre estant plus grand, il fallut créer des capitaines qui eussent intendence sur le village et des dogiques qui fussent propres pour faire les prières et qui eussent le soing des affaires de Dieu. Le tout fut accomply l'année suivante.

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[en marge :] P. Rafeix, P. Frémin, P. Pierson

Les Iroquois ont leur police tout comme le reste des peuples de la terre. La différence qu'il y a, c'est que la leur peut estre appellée de pure nature, où plusieurs choses manquent. Mais la foy de nos nouveaux chrestiens fit bien voir qu'il n'y auroit rien de plus beau que le monde si l'Evangile y estoit gardé. Elle n'osta du nouveau village en fait de police que ce que le vice

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avoit gasté dans les entiens villages des Iroquois. Etants donc convenus ensemble l'été de l'année présente de prendre pour jamais l'habitation de la Prairie, ils se résolurent de créer deux chefs, l'un pour la police et la guerre, l'autre pour avoir l'oeiul à l'exercice du christianisme et de la relligion. Ils recommandèrent l'affaire à Dieu qu'ils jugèrent estre de la dernière importance. Ils entendirent la messe à ceste intention, puis s'estants assemblés, ils choisirent tous d'un commun accord les deux qui en effect ont le plus de mérite et de capacité pour l'exercice de ces deux charges. Cette élection se fit à la pluralité des voix, comme les autres affaires se font chez les Iroquois où les chefs parlent à la vérité, mais ils prennent langue des entiens de leur village. On a obéi depuis à nos deux capitaines, lesquels, comme on a vu par expérience une fois, perdent leur crédit quand ils ne sont pas bons chrestiens. On leur obéit exactement sur tout pour observer ce qui estoit réglé pour les bonnes moeurs. Admirons icy la puissance divine, laquelle bannit autrefois de la ville de Rome toutes les abominations que les Romains avoint apportées dans leur Panthéon, tirées des dépouilles de tant de peuples qu'ils avoint soumis à leur empire. Aujourd'hui elle purge nostre petit troupeau de toutes les brutalités que nos Iroquois avoint prises chez seize nations qu'ils ont destruit par leur vaillance et par leur industrie. Ainsy tant de mauvaises coutumes ont esté quittées tout d'un coup pour prendre toutes les coutumes de l'Eglise, ce qui est d'autant plus admirable que les sauvages n'ont coutume que de se conduire par imagination, qu'ils sont entourés de superstitions qu'ils voyent souvent au païs ; et cependant personne n'en parle icy, on en fait aucun estat et on s'accuse d'y avoir seulement pensé. Nostre église naissante prenoit ainsy sa forme et son état. Ces barbares ramassés de plusieurs nations ne faisoint q'un ; la charité les unissoit jusques à n'avoir rien de propre, ce qui revenoit plus au génie iroquois chez lesquels la société, les visites, l'hospitalité, les festins, les dons mutuels sont fort en usage. On a demeuré longtemps sans y voir mesme l'ombre du vice, ce qui charmoit ceux qui les venoint visiter. Le R.P. Fremin, missionnaire en chef de ce temps-là, ne manquoit pas de les disposer à la réception des sacrements encore inconnus à ces nations barbares, la confession et la communion. Il y avoit des prédestinés en qui la grâce croissoit tous les jours, à qui il ne fallut pas beaucoup de temps pour se disposer. Ainsy donc on commença à voir communier des sauvages à la Prairie aussy dévotement et plus que les François. Aussytost que le feu du Saint Sacrement eut animé nos nouveaux chrestiens, il ne se put contenir en eux-mesme. Les P.P. missionnaires entendoint tous les jours de la bouche de leurs enfants les sentimens de leur coeur pleins du Saint Esprit. Le père Pierson mesme jetta les semances de la Sainte-Famille en donnant quelques chapelets aux plus entiens chrestiens et chrestiennes. Les sauvages allant par les bois faisoint presque autant de chrestiens qu'ils trouvoint d'autres sauvages dans les quartiers de leur chasse par l'exactitude qu'ils avoint à la prière et par leur bon discours.

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[une ligne rayée non rapporté par Avisseau (Chauchetière 1984a) d'un texte qui figure déjà au f05v à la gauche de celui-ci :] avoit gasté dans les entiens villages des Iroquois estant convenus ensemble

Ce fut alors qu'on mit à l'entrée du village deux arbres mémorables à l'un desquels on attacha l'yvrognerie, à l'autre l'impudicité, toutes deux subjuguées par la foy. On fit un proverbe aux Iroquois de ce mot : je m'en vay à la Prairie, c'est-à-dire : je quitte la boisson et la pluralité des femmes, parce que quand quelqu'un parloit de demeurer à la Prairie on luy proposoit d'abord ces deux articles qu'il falloit passer sans restriction et sans limite, autrement on n'estoit pas receu. Le village de la Prairie avec toutes ces qualités devient un argument de crédibilité à tous les Iroquois qui y passoint tous les primptemps, dont la pluspart ne croyioint pas ce que on leur en avoit dit au païs. Ils venoint le voir eux-mesmes et, ayant vu, admiroint les merveilles qu'ils avoint desja entendu; plusieurs qui n'estoint pas Iroquois naturalisés pensèrent à se dérober pour venir à la Prairie. Il en défila beaucoup durant toutes les années suivantes.

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Ceux qui estoient desja baptisés au païs aimèrent mieux perdre alors tous ce qu'ils avoint au païs que de perdre la foy qu'ils n'y pouvoint conserver. Ils venoint à la Prairie en cachette, tant de leur propre mouvement que de celuy des prédicateurs de l'Evangile. Nous scavons par autant de bouches qu'il y a icy de chrestiens qu'on ne peut estre sans quelqu'espèce de miracle ou bon chrestien ou persévérer en chrestien chez les Iroquois. La Prairie a donc esté de tout temps l'Azile de ceux qui vouloint de bon coeur prier Dieu et estre chrestiens. Ces saints fugitifs firent qu'on commença à voir, dans les bois d'ycy autour, des chemins de chasse fort battus, car la chasse estoit le prétexte qu'on prenoit alors pour venir demeurer à la Prairie. Les chrestiens qui partoint de la Prairie allant à la chasse des bêtes alloint aussy à la chasse des hommes. Les chasseurs emmenoint tousjours quelques-uns de leur parens ou de leur connoissance, le primptemps, par forme de visite, où Dieu leur touchant le coeur ils se faisoint instruire et devenoint chrestiens. Tous ceux qui estoint venus des Iroquois s'estoint ainsy comme dérobés à la fureur des yvrognes et des ennemis de la prière, ce qui jetta en deffience les entiens qui ne déclamoint autre chose dans leurs conseils que la destruction de leur terre par les François et par les missionnaires. Plus ils crioint, plus on eut envie de venir voir ce qui se passoit et il restoit tousjours quelqu'un de ces curieux, lesquels, peu à peu, prenans party, quoyqu'on s'en deffiast et qu'on ne les baptisast qu'après de longues épreuves, s'attachoint enfin pour tousjours à la Prairie. Les Onneiouts ont eu les prémices de la mission et leurs vertus estants comme des vertus mères engendrèrent plusieurs enfants qui donnèrent ainsy naissance à plusieurs Anniés [une des Cinq Nations iroquoises appelée plus tard Mohawks par les Anglais (Chauchetière 1984a)] qui sont à présent en plus grand nombre parmy celuy des croyans. Et parmy les gens de la nation d'Gonié [Agnier (Chauchetière 1984a)] ceux du village de Gandaougé [Gandaouagué, village Agnier proche d'Ossernenon, aujourd'hui Auriesville (Chauchetière 1984a)] ont pris le premier rang

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comme dû au sang des martirs qui a esté premièrement répandu en la mort du P. Jogue [Voir : Portraits d'Isaac Jogues] qui y eut la teste cassée, le sang du R.P. Brébeuf [voir ces portraits de Brébeuf] qui a esté répandu par les Aniés. C'est aussy Gandaougé qui a receu le premier les prédicateurs de l'Evangile en la personne des RR.PP. Frémin, Bruyas et Pierron qui après la paix faite furent envoyés plénipotentiaires dans ces païs-là. C'est en ce village qu'on a bâty la première chapelle. C'est ce village qui a donné un thrésor à nostre mission en la personne d'une sauvagesse décédée depuis six ans en odeur de saincteté [Tekakwitha]. L'Onnontagué par ses intrigues ordinaires entreprit de destruire notre petite église par ses fourberies sous prétexte d'embassade et ils deviendrent les ministres d'enfer en semant des faux bruits : ils dirent bien du mal de la foy, ils exaggéroint le sort malheureux, disoint-ils, de nos chrestiens qui furent dès lors à l'épreuve et qui n'étant pas venus par intérest ne se rendirent point à toutes ces raisons apparentes. Pour venir aux exemples particuliers, j'en rapporte un cité dans la relation de 1671 et 1672 : une femme Onnontagué avoit un mary qui n'estoit pas si fervent qu'elle et deux enfans, une fille et un garçon. Le malheureux se laissa aller aux beaux discours de ces embassadeurs du diable qui le prirent par son foible, c'est-à-dire par la guerre où il a esté depuis et par la boisson qui lui a fait perdre le nez ; ce sont les deux démons qui possèdent les sauvages. Nostre femme forte, par l'ordre du père missionnaire, s'en fust avec luy pour tascher de conserver son mary, mais le malheureux, aussytost qu'il fut au païs, il la traitta si mal que les parents infidelles de cette femme chrestienne en eurent compassion et crurent qu'ils estoient deshonnorés dans la personne de leur parente. Ils menacèrent cet yvrogne de mort, ce qui l'obligea à ne traitter pas sa femme si mal qu'il avoit fait. La pauvre femme, qui appréhendoit de perdre la foy plustost que la vie, son mari la voulant contraindre à renoncer à son baptesme, elle se résolut de l'abandonner, ce qu'elle fit lorsqu'il fut en guerre. Son petit garçon fut le premier à dire à sa mère : allons nous en, retournons à la Prairie. C'est là aussy où ils ont vécu en paix. Cette paix de la conscience a tousjours soutenu cette généreuse femme et ses enfans qui ont servy d'exemple de sagesse à toutes les cabanes du village et ce qui est remarquable c'est que la foy a tousjours emporté sur les regrets qu'ils pouvoint avoir d'avoir beaucoup quitté au pais, n'ayant pas trouvé les mesmes adventages temporels parmy les François, quoyque quelques uns eussent esté racheptés et tirés du feu par les gens de la cabane de cette femme qui est une des principales d'Onnontagué.

On peut voir par les registres et les papiers de baptesme que le diable se trompoit luy-mesme parce que par ces commencemens de persécution il ne faisoit qu'allumer le flambeau de la foy dans nos chrestiens en les obligeant de s'éclaircir de plusieurs choses et l'amour de la charité en les unissant de plus en plus à Dieu dont ils sentoint avoir besoing. C'est pour cela que dès lors on vit des sauvages faire honte, dans l'église, à la messe, aux prières, aux plus entiens chrestiens. Ils venoint dès lors de bien loing, l'hyver, pour assister aux

folio 07 recto — Les six premiers sauvages de la Prairie viennent d'Onneiout sur les nèges et les glaces

Ce dessin illustre le texte de l'année 1667 concernant les autochtones venus d'Onneiout pour s'établir à Laprairie. Il en vint également d'autres en 1668.

On y présente trois personnages à l'avant plan, probablement trois hommes ; le boeuf tirant un chariot au second plan ; et, au troisième plan, un bosquet d'arbres à gauche et, à droite, une agglomération de bâtiments, maisons et église.

Cette petite troupe arriva à Montréal sur les glaces où le père Rafeix les rencontra quelque temps après leur arrivée et les invita à aller sur ses terres. (f04r)

Le premier dessin de ce remarquable ensemble permet de définir les caractéristiques du style pictural de Chauchetière. Il travaille à l'encre, plume et lavis. Le trait fixe les contours et sa multiplication crée des surfaces. Le lavis confère les formes, textures et volumes.

Le rendu se rapproche de celui de la gravure. Dès le début du manuscrit, Chauchetière utilise d'ailleurs le terme « estempes » pour parler de ses oeuvres picturales (f02v), ce qui est une utilisation abusive de ce terme.

« Estampe, se dit plus particulierement d'une image en papier tirée de quelque planche gravée et passée sous presse [Furetière 1690 t1 p1018] ».

Ce n'est évidemment pas le cas de ces dessins originaux en un seul et unique exemplaire !

Dans tous ses dessins, Chauchetière utilise la perspective aérienne, sans point de fuite, sur trois ou quatre plans successifs. Que ce soit dans les sept scènes extérieures ou les trois intérieures.

Chauchetière dessine quatre chapelles. La première est urbaine avec un clocher conséquent. Les trois autres se situent dans la mission autochtone, où il s'agit toujours d'une cabane rudimentaire en bois, surmontée d'une croix, d'une cloche et d'une cheminée.

Filigrane du papier en transparence.

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folio 07 verso — leur baptesme

Porte d'entrée dans le catholicisme, le baptême est le premier des sacrements. Son accomplissement établit le socle de l'action du missionnaire : la conversion de l'autochtone afin de l'extirper de sa nature sauvage tel qu'illustrée dans le dessin de droite. L'image qu'en aurait tiré Chauchetière aurait pu se référer à plusieurs passages de son récit.

En 1667 Gandeaktena [...] servit de guide aux six personnes qui venoint à Montréal. Elle faisoit les prières quoy qu'elle ne fust pas encore baptisée. [...] en attendant une parfaitte instruction des mystères de nostre saincte foy et la grâce du baptesme.

En 1668 la troupe fut bientost capable de recevoir le baptesme. Ce fut Monseigneur [de Laval] qui leur conféra ce sacrement [...] Nos nouveaux baptisés s'en retournèrent l'automne et s'en furent débarquer à la Prairie où à succession de temps, avec plusieurs autres, ils ont fait un beau village. [...] Ainsy ils estoient tous remplis de la grâce du baptesme qu'ils conservoint dans le bois mesme, estant exacts à faire la prière les matins et les soirs.

En 1669 François Xavier bâtit une cabane qui devoit à l'avenir estre le modelle de toutes les autres, cabane si heureuse qu'elle est comme la mère de soixante autres au milieu desquelles elle se trouve et que celuy qui l'a bâtie est devenu comme le père des croyants qui sont à présent en très grand nombre. Il n'y avoit encore que deux familles tout au plus dans cette cabane, il n'y avoit pas un qui ne fust baptisé depuis peu. [...] La première cabane ne demeura pas longtemps seule. En moins d'un an il y en eut quatre ; entre autres on y vit celle d'un Onnatagué, lequel a esté baptisé en France et à qui le Roy donna son nom et une belle médaille d'argent qu'il a tousjours pendue à son col.

En 1670 Les cinq cabanes toutes remplies de gens baptisés commencèrent à prendre les exercices réglés d'une mission [...]

En 1672 Ceux qui estoient desja baptisés au païs aimèrent mieux perdre alors tous ce qu'ils avoint au païs que de perdre la foy qu'ils n'y pouvoint conserver. Ils venoint à la Prairie en cachette, tant de leur propre mouvement que de celuy des prédicateurs de l'Evangile. [...] Plus ils crioint, plus on eut envie de venir voir ce qui se passoit et il restoit tousjours quelqu'un de ces curieux, lesquels, peu à peu, prenans party, quoyqu'on s'en deffiast et qu'on ne les baptisast qu'après de longues épreuves, s'attachoint enfin pour tousjours à la Prairie. [...] La pauvre femme, qui appréhendoit de perdre la foy plustost que la vie, son mari la voulant contraindre à renoncer à son baptesme, elle se résolut de l'abandonner, ce qu'elle fit lorsqu'il fut en guerre. [...] On peut voir par les registres et les papiers de baptesme [...]

En 1673 Il luy dit donc, en partie pour sonder cet esprit, d'aller au païs et d'emmener son camarade aussy, d'y choisir celle qui leur plairoit davantage et de revenir et qu'il seroit baptisé. Cette proposition ne déplut pas à nostre homme [...]

En 1674 Quelques-uns, qui estoint mariés de la manière que les sauvages se marient, n'ont point d'autres cérémonies que celle du baptesme dans lequels ils dirent qu'ils ne quitteroint jamais leurs femmes.

En 1676 C'est une merveille de voir l'estat de la mission étant si nouvelle que les sauvages n'avoint point encore entendu parler de la confirmation. Que seront-ils donc quand le Saint Esprit sera descendu sur eux, comme il le fera cette année. Monseigneur l'évesque de Québek, qui avoit conféré dans son église cathédrale le baptesme aux six premières personnes de la mission, vient achever son ouvrage au mois de may. La narration est bien au long dans la relation de 1672.

En 1678 Mais je puis dire que le plus célèbre voyage fut celuy de La Poudre Chaude, capitaine des Onneiouts qui demeurent au Sault, et de ses deux camarades. Ce capitaine baptisé depuis peu voulant aller à Onneiout passa par les Aniés où estant arrivé tous les entiens le furent saluer. [...] Ces nouveaux apostres ont si bien réussy qu'on peut voir par les papiers des baptesmes le nombre des personnes qu'ils ont gaigné à Dieu. [...] Mais depuis que les sauvages sont allés eux-mesmes au païs pour convertir les autres, on compte par an les baptesmes à soixantaines qui sont les baptesmes d'adultes [...] On a mesme vu des filles garder virginité. Pour le moins, elles n'estoient ny mariées, ny tachées du vice de la chair, et une est morte sans avoir voulu se marier, et on tenoit qu'elle n'avoit jamais fait mal et est morte en cet état sans baptesme. [...] Et c'est parmy ces contradictions que celles qui avoint péché avant leur baptesme ont purifié leur âme [...] La petite vérole parcourut nostre village au commencement de l'automne. On s'étonna pourtant après du peu d'enterrements qu'on avoit fait et cette bénédiction de Dieu fit que les Iroquois ne dirent plus que la foy et le baptesme faisoit mourir, au lieu qu'aux Iroquois ils meurent à centaines quand la petite vérole les prend.

En 1681 la pécheresse qui avoit enlevé le mary à cette femme fut touchée et a esté baptisée depuis et vit avec la crainte de Dieu dans l'état du mariage.

folio 08 recto — Les sauvages vont s'établir à la Prairie de la Magdeleine avec les François

Les autochtones venus d'Onneiout se sont établis à Laprairie en 1667 et 1668. Ici, ils sont nettement en transit avec leurs trois canots en pleine nature.

Lorsque la nature est présente, elle n'est jamais très éloignée dans l'espace. Elle ne s'ouvre pas vers une perpective lointaine avec un point de fuite, mais est ramenée à l'avant, un peu comme un décor de théâtre. Cette façon de faire accentue la proximité de la flore et de la faune, la rapprochant des personnages situés à l'avant plan, dans la partie inférieure de la page.

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folio 08 verso — ils batissent une cabane

Au XVIIe siècle, l'établissement d'une nouvelle mission en terrain vierge entraîne, forcément, la construction de « cabanes » primitives pour se loger.

Un tout petit détail, du dessin sur le folio de droite, laisse voir, à l'horizon, deux maisons longues, les seules illustrées par Chauchetière. Cette sédentarité permet une meilleure subsistance basée sur l'agriculture, telle qu'illustrée à droite. Cette sédentarité, voulue par les missionnaires, entraîne également un meilleur contrôle des autochtones consentants qui sont ainsi protégés des agressions et influences extérieures. Cette « réduction missionnaire » facilite donc leur acculturation par la christianisation.

Plusieurs passages du texte de Chauchetière se réfèrent au thème de ce dessin projeté, ils batissent une cabane. D'autres passages, relevés ci-dessous, décrivent diverses activités missionnaires reliées à ces cabanes, également illustrées dans son dessin On en bannist les boissons.

En Ap, Celui qui a fait ces annales a passé plus de trois ans à ramasser ce qu'il a pu apprendre de la bouche de sauvages qui ont bâty les premières cabanes à la Prairie [...]

En 1667 Gandeaktena [...] passa avec les cinq autres l'hyver à la Prairie, vivans sous le mesme toist que les François, qui n'estoit qu'un simple hangar de planches droittes et appuyées l'une contre l'autre en dos d'asne.

En 1668 Nos nouveaux baptisés s'en retournèrent l'automne et s'en furent débarquer à la Prairie où à succession de temps, avec plusieurs autres, ils ont fait un beau village. Ils passèrent le reste de l'an dans la mesme cabane que les François avoint faite pour eux.

En 1669 François Xavier bâtit une cabane qui devoit à l'avenir estre le modelle de toutes les autres, cabane si heureuse qu'elle est comme la mère de soixante autres au milieu desquelles elle se trouve et que celuy qui l'a bâtie est devenu comme le père des croyants qui sont à présent en très grand nombre. [...] Ces visiteurs voyant les bleds très beaux eurent la pensée d'y demeurer et de bâtir leur cabane. La première cabane ne demeura pas longtemps seule. En moins d'un an il y en eut quatre [...]

En 1670 Les cinq cabanes toutes remplies de gens baptisés commencèrent à prendre les exercices réglés d'une mission [...] On disoit la messe dans la petite cabane de planches qui estoit commune pour les François et pour les sauvages.

En 1672 Cette paix de la conscience a tousjours soutenu cette généreuse femme et ses enfans qui ont servy d'exemple de sagesse à toutes les cabanes du village et ce qui est remarquable c'est que la foy a tousjours emporté sur les regrets qu'ils pouvoint avoir d'avoir beaucoup quitté au pais, n'ayant pas trouvé les mesmes adventages temporels parmy les François, quoyque quelques uns eussent esté racheptés et tirés du feu par les gens de la cabane de cette femme qui est une des principales d'Onnontagué.

En 1673 Un fameux guerrier célèbre chez les Aniés [Togouiroui, dit le Grand Agnier (Chauchetière 1984a)], parce qu'il a deffect la nation des Loups [ou Mahingans, en guerre avec les Agniers (Chauchetière 1984a)], tomba heureusement dans la cabane de celle dont nous parlons, laquelle ne tomba alors dans l'inconvénient dans lequel tombent souvent les sauvages, c'est-à-dire le respect humain. [...] d'entrer dans la cabane ou aussytost après avoir laissé son paquet, il récite les prières avec ses guides, ce qui obligea le P. Frémin à demander qui étoit cet homme-là et d'où il venoit et qui luy avoit appris les prières.

En 1676 Les missionnaires n'avoint pour tout logement qu'un méchant logis et pour chapelle une cabane d'écorce dans laquelle le supérieur de la mission logeoit dans un coing pratiqué pour cela. [...]

folio 20 versoon commence a porter le viatique dans les cabanes

En 1679 Quand on sçait que les nouveaux venus sont logés dans certaines cabanes [...] Le Loup estoit des considérables de sa nation et l'Iroquois risqua sa vie pour luy, le délia, l'emmena dans une cabane. Luy seul se mit à la porte de la cabane [...] donné un petit coing dans une cabane où il avoit attaché un étol [...]

En 1680 A l'heure de son décès on luy porta le viatique dans sa cabane, ce qui ne se pratiquoit pas encore.

En 1683 On se mit aussytost en état de rebatir la chapelle, Dieu ayant voulu qu'il y eust alors un architecte sur les lieux, lequel avoit bâty cinq autres chapelles, très bien faites. Mais en attendant, le capitaine des Aniés, qu'on nomme le Grand Anié, qui avoit fait depuis 15 jours une belle cabane, se délogea pour loger Nostre Seigneur, qui récompensa bien son hoste, car premièrement il luy fit l'honneur de voir sa cabane convertie en église, mais parce que Dieu honnora cette chapelle de plusieurs merveilles qui s'y passèrent. [...]

En 1684 Le capitaine des Aniés a fait luy seul un présent à la chapelle de ving-quatre castors, c'est-à-dire de la monnoye d'Orange 240 livres, c'est un chandelier à huit branches semblable à celuy qui est dans le presche d'Orange. Il est de bronse et a esté fait en Hollande. Ce capitaine allant en guerre voulut laisser un monument de sa piété après avoir abandonné sa cabane un an durant au service de Dieu.

folio 09 recto — On travaille aux champs

Chauchetière a particulièrement soigné l'habile composition amenant l'oeil depuis le gros arbre, à gauche, vers la femme travaillant au champ, puis vers l'autre, à droite au plan intermédiaire, grimpant dans un arbre et tenant un nid d'oiseaux, pour finalement revenir, en fond de scène, vers les maisons longues à gauche du bosquet d'arbres.

« Between April and September, field work kept Mohawk busy and away from the longhouse for long hours every day. [...] Poor health and occasional injuries may have kept Tekakwitha at home more than other girls, but when agricultural tasks were pressing, she would normally be out in the fields with the others [Greer 2005, p. 43-77]. »

Se pourrait-il donc que le personnage féminin, à l'avant-plan, puisse être Tekakwitha ? Sinon, il s'agit très certainement d'une femme. Celle-ci serait donc la meilleure représentation donnée par Chauchetière d'une femme autochtone de laquelle on pourrait déduire celle qu'il aurait pu donner à Tekakwitha.

Avec le travail aux champs on pénétre dans la familiarité de la vie quotidienne, car il se déroule à proximité des maisons longues des familles autochtones dont ce petit détail, au loin, permet d'en apercevoir deux, dont celle de droite avec de la fumée s'en échappant.

Autre détail finement observé, le personnage grimpé aux branches de l'arbre, en haut à gauche, partageant la compagnie des oiseaux.

Lorsque la nature est présente, elle n'est jamais très éloignée dans l'espace. Elle ne s'ouvre pas vers une perpective lointaine avec un point de fuite, mais est ramenée à l'avant, un peu comme un décor de théâtre. Cette façon de faire accentue la proximité de la flore et de la faune, la rapprochant des personnages situés à l'avant plan, dans la partie inférieure de la page.

Lorsqu'un personnage principal est présenté, il n'est jamais placé en plein centre de la composition, mais décalé à gauche ou à droite. Il occupe toujours le bas de la page, une peu comme dans une frise, ouvrant ainsi la partie supérieure du dessin à la présentation de l'arrière scène : femme travaillant aux champs ; allégories de l'ivrognerie et de l'impudicité ; Mgr de Laval donnant la confirmation ; architecte construisant la première chapelle ; prêtre tenant l'ostensoir ; personnage affolé par la foudre.

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folio 09 verso — plusieurs personnes viennent demeurer à la prairie

Par son intitulé, plusieurs personnes viennent demeurer à la prairie, ce projet de dessin ne concerne que les premières années où la mission était établie à La Prairie (voir 1667 Kentake et les églises de La Prairie). Son emplacement est donc bien choisi, car il côtoie la représentation de la 2e église de La Prairie illustrée à droite (voir 1ère église (1667-1670), 2e église (1670-1686) et manoir).

En 1667 [...] on establit vis-à-vis du Montréal la seigneurie de la Prairie bien choysy de Dieu pour y faire une des plus belles missions qu'on ait vu en Canada. Les François disposèrent le lieu, s'y estant transportés pour y faire un village, lequel commença l'an 1667. [...] Tandis que le R.P. Rafeix estoit occupé à faire défricher les terres à la Prairie et invitoit de nouveaux habitants à l'y suivre, Dieu invitoit des sauvages à y venir ; cette invitation se fit lorsqu'il voulut que Tonsahoten avec quelques autres s'offrit à descendre d'Onneiout pour venir conduire au Montréal un des missionnaires qui devoit revenir sur les glaces. Sept personnes onneiouts jettèrent les fondemens de toute la mission de Saint-François-Xavier.

En 1668 d'autres Onneiouts parents des six premiers se rendirent des environs où ils chassoint l'hyver à la Prairie. Ainsy de six sauvages qui avoint passé l'hyver à la Prairie, le nombre monta jusques à dix ou douse [...] Nos nouveaux baptisés s'en retournèrent l'automne et s'en furent débarquer à la Prairie où à succession de temps, avec plusieurs autres, ils ont fait un beau village. Ils passèrent le reste de l'an dans la mesme cabane que les François avoint faite pour eux.

En 1669 François Xavier bâtit une cabane qui devoit à l'avenir estre le modelle de toutes les autres, cabane si heureuse qu'elle est comme la mère de soixante autres au milieu desquelles elle se trouve et que celuy qui l'a bâtie est devenu comme le père des croyants qui sont à présent en très grand nombre. [...] La première cabane ne demeura pas longtemps seule. En moins d'un an il y en eut quatre [...]

En 1670 Les sauvages faisoint, dit la relation, 20 familles.

En 1671 Les Iroquois ont leur police tout comme le reste des peuples de la terre. La différence qu'il y a, c'est que la leur peut estre appellée de pure nature, où plusieurs choses manquent. Mais la foy de nos nouveaux chrestiens fit bien voir qu'il n'y auroit rien de plus beau que le monde si l'Evangile y estoit gardé. Elle n'osta du nouveau village en fait de police que ce que le vice avoit gasté dans les entiens villages des Iroquois. Etants donc convenus ensemble l'été de l'année présente de prendre pour jamais l'habitation de la Prairie, ils se résolurent de créer deux chefs, l'un pour la police et la guerre, l'autre pour avoir l'oeiul à l'exercice du christianisme et de la relligion. [...] Ce fut alors qu'on mit à l'entrée du village deux arbres mémorables à l'un desquels on attacha l'yvrognerie, à l'autre l'impudicité, toutes deux subjuguées par la foy. On fit un proverbe aux Iroquois de ce mot : je m'en vay à la Prairie, c'est-à-dire : je quitte la boisson et la pluralité des femmes, parce que quand quelqu'un parloit de demeurer à la Prairie on luy proposoit d'abord ces deux articles qu'il falloit passer sans restriction et sans limite, autrement on n'estoit pas receu. Le village de la Prairie avec toutes ces qualités devient un argument de crédibilité à tous les Iroquois qui y passoint tous les primptemps, dont la pluspart ne croyioint pas ce que on leur en avoit dit au païs. Ils venoint le voir eux-mesmes et, ayant vu, admiroint les merveilles qu'ils avoint desja entendu; plusieurs qui n'estoint pas Iroquois naturalisés pensèrent à se dérober pour venir à la Prairie. Il en défila beaucoup durant toutes les années suivantes.

En 1672 Plus ils crioint, plus on eut envie de venir voir ce qui se passoit et il restoit tousjours quelqu'un de ces curieux, lesquels, peu à peu, prenans party, quoyqu'on s'en deffiast et qu'on ne les baptisast qu'après de longues épreuves, s'attachoint enfin pour tousjours à la Prairie.

En 1673 on est descendu des Iroquois pour venir demeurer à la Prairie en grandes trouppes, et en moins de sept ans les guerriers d'Anié sont devenus plus nombreux à Montréal qu'ils ne sont au païs. [...] 200 personnes furent ainsy en peu de temps adjoutées au nombre des chrestiens de la Prairie en moins d'un an ou deux.

folio 10 recto — On en bannist les boissons

La boisson est un thème récurrent dans ce manuscrit. Ce dessin illustre un passage de l'année 1671 au f06r.

Ce fut alors qu'on mit à l'entrée du village deux arbres mémorables [voir aussi f16r et f25r] à l'un desquels on attacha l'yvrognerie, à l'autre l'impudicité, toutes deux subjuguées par la foy. On fit un proverbe aux Iroquois de ce mot : je m'en vay à la Prairie, c'est-à-dire : je quitte la boisson et la pluralité des femmes.

L'ivrognerie est le thème principal du dessin, tant par son titre que la grande surface dévolue à son allégorie. L'impudicité en est, en quelque sorte, sa conséquence, placée au bas de l'image, en plus petit, mais néanmoins ancrée dans une représentation troublante.

Allégorie de l'ivrognerie : un homme debout tenant une bouteille renversée de la main droite.

Une image très forte, l'allégorie de l'impudicité : une diablesse cornue au oreilles de chèvre, allongée par terre, tenant une fourche de la main gauche, seins nus, la base de l'arbre mémorable en forme de croix traversant son entre-jambe. Un sacré plat de résistance pour freudiens...! Une épiphanie des tourments des prêtres face au désir sexuel refoulé et combattu par la démonisation de la femme ?

Lorsqu'un personnage principal est présenté, il n'est jamais placé en plein centre de la composition, mais décalé à gauche ou à droite. Il occupe toujours le bas de la page, une peu comme dans une frise, ouvrant ainsi la partie supérieure du dessin à la présentation de l'arrière scène : femme travaillant aux champs ; allégories de l'ivrognerie et de l'impudicité ; Mgr de Laval donnant la confirmation ; architecte construisant la première chapelle ; prêtre tenant l'ostensoir ; personnage affolé par la foudre.

Chauchetière dessine quatre chapelles. La première est urbaine avec un clocher conséquent. Les trois autres se situent dans la mission, où il s'agit toujours d'une cabane rudimentaire en bois, surmontée d'une croix, d'une cloche et d'une cheminée. Celle ici représentée est la première de La Prairie (voir 1667 Kentake).

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folio 10 verso — on établit la saincte famille

La dévotion à la Sainte Famille, très répandue au XVIIe siècle en Europe, est attestée dès 1637 en Nouvelle-France dans la Relation de Paul Le Jeune et répandue par les jésuites. Elle est établie en confrérie en 1664, d'abord à Montréal, ensuite à Québec par Mgr de Laval qui en rédige les règlements, fait paraître un manuel (CSF 1675), puis institue une fête annuelle en 1684 (QMQ 1984c, p. 55-61 ; voir aussi Cliche 1976, Pouliot 1981, Provost 1964.01 et PIRQ ou pdf).

Grégoire Huret (1616-1670), Sancti Angeli Custodes cor unum et animam unam Sodalium offerentes, avant 1670, frontispice de CSF 1675.

Ce dessin de Chauchetière aurait pu représenter celle qu'il considère comme une des fondatrices de cette confrérie, Catherine Gandeaktena, mais également les jésuites qu'il relie à cette dévotion : Philippe Pierson (actif dans cette mission en 1670-1671) et Jacques Frémin (actif dans cette mission de 1671 à 1679). Peut-être aussi la cloche payée par cette confrérie en 1682 ?

En 1668 on voulut arrêter François Xavier à la mission des Hurons, mais Dieu, qui a ses desseins, osta la pensée à cet homme là d'y demeurer. Sa femme eut voluntiers accepté l'offre si Dieu ne l'eust pas choisie pour venir fonder la Sainte-Famille à la Prairie.

En 1671 Le père Pierson mesme jetta les semances de la Sainte-Famille en donnant quelques chapelets aux plus entiens chrestiens et chrestiennes.

En 1675 On avoit jetté il y a quatre ans les semances d'une dévotion qui est grande en ce païs, qu'on appelle la Saincte-Famille. Le Père Pierçon avoit donné des chapelets de la Sainte-Famille à quelques personnes d'élite, la première fut Catherine Gandeaktena, mais il n'en avoit pas fait l'explication, ce qui donna occasion aux sauvages de la demander d'autans plus instamment qu'ils scavoint qu'on l'avoit enseigné aux sauvages de Lorette [Mission de Notre-Dame-de-Lorette près de Québec (Chauchetière 1984a)]. Le Père Frémin, jugeant que si on faisoit un choix de gens des plus fervents la multitude ne nuiroit pas à la mission, établit la Sainte-Famille, laquelle commença à avoir quelque éclat cette année parce que les années précédentes c'estoit une petite assemblée, mais le nombre de ces personnes choisies augmenta avec le nombre des chrestiens et de la mission.

En 1682 Comme la pluspart des choses qui ont esté dites ont esté faites par ceux qu'on appelle de la Sainte-Famille, elles ont rendu cette société plus recommendable parmy les sauvages. Ce corps de gens intègres dans le christianisme soutient toute la mission par les soings qu'ils ont de se perfectionner et par ce qu'ils font pour convertir les autres. Mais parce que la pluspart méritent qu'on fasse un récit de leur vie, on n'en dit icy davantage. [...] On fit la bénédiction de la première cloche de la mission au mois de juin. La Sainte-Famille seule l'achepta pour la commodité publique parce que celle qu'on avoit estoit trop petite et les champs trop éloignés du village.

folio 11 recto — 16721673

cérémonies de la messe de minuit ou du vendredy sainct. Quelques fois on les a vu faire mesme l'adoration de la croix dans les bois comme on le sçait par le rapport des François qui l'ont vu et y ont assisté. L'église estoit divisée en deux appartemens, l'un pour les François et l'autre pour les sauvages, quoyque tout ne fust qu'un des François et des sauvages, comme on le voyioit dans les resjouissances publiques, les visites et les petits services qu'ils se rendoint les uns aux autres.

Ce mélange donna pourtant occasion au démon de tenter les sauvages. Il se servit des François qui traittoint avec les sauvages et voulut établir cabaret à la Prairie, le monde y estant desjà assès nombreux. Mais la divine providence se servit de l'authorité suprême, laquelle se démentit ensuite, pour destruire ce démon. Monsieur le Comte de Frontenak sçeut bon gré au Père Frémin de ce qu'il avoit fourny des farines pour le fort de Catarakoui. Etant ensuite venu à la Prairie l'esté, il fit une ordonnance et deffense expresse de traitter des boissons enyvrantes à la Prairie. Ainsi le démon fut étouffé dans son berceau.

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1673

La mission crût notablement et a crû à proportion les années suivantes. Cette multitude fut occasion à de plus grands maux comme nous verrons cy-après. Les sauvages s'estants instruits l'esté au village alloint prescher nostre foy dans les bois, l'hyver, faisant leur chasse. Les Iroquois infidelles, venants par hazard en chassant aux cabanages de nos nouveaux chrestiens, admiroint le changement qui s'estoit fait en ces nouveaux apostres. Les femmes, qui de tout temps sont appellées le sexe dévot, avoint plustost appris les prières que les hommes et c'estoint elles qui les faisoint à haute voix dans le bois. Une de celles-là qui les fait encore à présent à l'église du Sault les faisoit dans le bois durant l'yver où son mary l'avoit menée à la chasse du costé de Chambly [fort Chambly ou fort Saint-Louis, à l'est de la Prairie au pied des rapides de la rivière Richelieu, construit en 1665 par Jacques de Chambly, capitaine au régiment de Carignan (Chauchetière 1984a)]. Un fameux guerrier célèbre chez les Aniés [Togouiroui, dit le Grand Agnier (Chauchetière 1984a)], parce qu'il a deffect la nation des Loups [ou Mahingans, en guerre avec les Agniers (Chauchetière 1984a)], tomba heureusement dans la cabane de celle dont nous parlons, laquelle ne tomba alors dans l'inconvénient dans lequel tombent souvent les sauvages, c'est-à-dire le respect humain. N'ayant égard à la bonne ou mauvaise disposition de leur hoste, elle faisoit tousjours les prières. Cet homme de guerre les écouta et y prit plaisir, en admirant le sens et les paroles; il y prit goust et les apprit par coeur en les entandant répéter. Il disoit quelquefois : celuy qui vous enseigne a bien de l'esprit, cela est bien trouvé. Mais on luy dit que ces prières là étoint faites avant que les P.P. missionnaires fussent au monde. Ce discours luy en donna encore plus d'estime, il les apprit fort bien et ne quitta point ceux qui les luy avoint apprises. Le primptemps suivant, il vient au village de la Prairie avec eux, il y fit comme eux, c'est-à-dire que selon la louable coutume qui est icy et qui commença dès lors, il fut à l'église où, avant

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folio 11 verso — 1673

d'entrer dans la cabane ou aussytost après avoir laissé son paquet, il récite les prières avec ses guides, ce qui obligea le P. Frémin à demander qui étoit cet homme-là et d'où il venoit et qui luy avoit appris les prières. On luy dépeint la qualité du personnage, ses sentiments et comme il avoit passé l'hyver. Le père, jugeant de l'esprit, ne trouva en luy qu'un deffault, c'est-à-dire qu'il n'estoit pas marié et il n'y avoit pas encore de filles à luy présenter. Il luy dit donc, en partie pour sonder cet esprit, d'aller au païs et d'emmener son camarade aussy, d'y choisir celle qui leur plairoit davantage et de revenir et qu'il seroit baptisé. Cette proposition ne déplut pas à nostre homme, lequel adjouta qu'il retourneroit et qu'il feroit voir s'il avoit du crédit. Il s'en retourne, il parle en secret à plusieurs, il choisist une femme. Ayant gaigné beaucoup de personnes, il arreste le jour du départ général. Le jour venu, il fait éclatter l'affaire et il dit adieu à haute voix en plein village et ordonne à ses gens de faire leur paquet. Un Père - le Père Boniface [François Boniface, missionnaire jésuite, fut envoyé pour assister le père Pierron à la mission des Martyrs chez les Agniers en 1670-1671 (Chauchetière 1984a)] - mesme se joint avec eux pour les emmener. La qualité, le zèle et l'esprit de Dieu qui le possédoit ferma la bouche à tous les entiens qui enragoint dans leur coeur, voyant une telle hardiesse et ne sçachant à qui s'en prendre. Ils eussent fait aussytost casser la teste à un autre qui auroit eu moin d'authorité. Cet adieu achevé, on voit partir une quarantaine de personnes, hommes, femmes et enfans, qui quittent leur patrie pour venir se faire chrestiens à Montréal. Ce premier assault donné à l'infidélité a dépeuplé le païs d'Anié, car il réussit si bien que depuis ce temps-là on est descendu des Iroquois pour venir demeurer à la Prairie en grandes trouppes, et en moins de sept ans les guerriers d'Anié sont devenus plus nombreux à Montréal qu'ils ne sont au païs. Cela fait enrager et les entiens des villages et les Flammans de Manate et d'Orange [tous deux conquis par les Anglais en 1664, Manhate est renommé New York et le fort Orange, construit par les Hollandais en 1623, rebaptisé du nom du frère du roi régnant Charles II, le duc d'Albany, qui lui succédera en 1685 sous le nom de Jacques II (Chauchetière 1984a)]. 200 personnes furent ainsy en peu de temps adjoutées au nombre des chrestiens de la Prairie en moins d'un an ou deux. Cela resjouit fort les François qui commencèrent à s'addonner tout de bon à la traitte et, se servants de la mauvaise volunté de Monsieur le Comte de Frontenak qui avoit changé depuis l'an passé, ils introduisirent la boisson à la dérobée à la Prairie. Un surtout, plus hardy que les autres, mit le bouchon dans le village mesme, mais l'addresse du P. Frémin et la fermeté d'esprit accompaignée de son zèle arrêta le cours de ce malheureux commerce et sauva son troupeau des flots de la Mer Rouge qui l'alloit engloutir. Ce fut en cette occasion que les capitaines firent voir ce qu'ils estoint en combattant le vice de l'yvrognerie qu'ils avoint abandonné au païs pour ceux qui en faisoint leur Dieu.

Ce monstre abbatu fut suivy d'un autre : il y avoit dans ce grand nombre de sauvages trois différentes nations bien nombreuses, Agniés, Hurons et Onnontagués. On crut qu'il falloit donner à chacune son chef. On s'assembla donc pour cela, mais la dissention se mit dans une partie. Les Hurons furent longtemps en délibération. Les Agniés et Onnontagués eurent aussytost fait leur choix. Enfin les Hurons, piqués au jeu, se séparèrent et furent faire

folio 12 recto — On bannit les superstitions des enterremens

Ce dessin évoque la mort de Catherine Gandeaktena [voir f04r] racontée au f13r pour l'année 1673. Ériée de la nation des Chats, devenue esclave au village onneiout, puis mariée au Huron chrétien iroquoisé, François-Xavier Tonsahoten décédé un peu avant elle. Elle participa à la fondation de la mission Saint-François-Xavier à la Prairie-de-la-Magdelaine.

Il est souvent difficile de déterminer le sexe des personnages représentés. Nonobstant, celui-ci permet d'extrapoler ce qu'aurait pu être la représentation de Tekakwitha par Chauchetière.

Les traits de plumes horizontaux servent de fond à la présentation de trois scènes d'intérieur : enterrement, confirmation, virginité.

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folio 12 verso — on fait tous les mariages en face deglise

Avec l'expression on fait tous les mariages en face deglise Chauchetière se réfère au cadre institutionnel et non au bâtiment physique. La scène se serait donc probablement déroulée à l'intérieur de l'église, comme trois autres de ses dessins, avec un prêtre officiant, le couple de mariés et quelques témoins.

En 1674 Cette année fut heureuse pour la mission, parce qu'on y establit solidement les mariages de la manière qu'ils se font dans toute l'Eglise. Quelques-uns, qui estoint mariés de la manière que les sauvages se marient, n'ont point d'autres cérémonies que celle du baptesme dans lequels ils dirent qu'ils ne quitteroint jamais leurs femmes.

[Note marginale :] nota qu'à succession de temps ces sortes de mariages ont esté pris par les sauvages comme concubinages, car un mari et une femme ne pouvans pas s'accorder, une sauvagesse aagée leur dit qu'ils estoient ensemble comme des gens qui pèchent parce que on ne leur avoit pas jecté d'eau bénite en les mariant.

On avoit pas encore étably les cérémonies du mariage, mais les sauvages estants plus instruits et plus accoutumés n'ont plus esté mariés qu'en face d'Eglise. Et Dieu a donné une si grande bénédiction que jusques icy ç'a esté une chose bien rare que le divorce et celuy qui le fait est en abomination. Il y a bien ving ans que la mission est fondée et on ne trouveroit pas ving personnes qui ayent quitté leurs femmes, et ceux qui les ont quittées sont tousjours retournés après quelques années mourir au village. On n'apporte pour raison de cet état où sont les sauvages que la puissance de Dieu qui peut affermir les esprits plus légers que le vent et la plume, c'est-à-dire esprits de sauvages. Quoyque les années passées on ayt fait plusieurs mariages, les papiers des mariages en marquent davantage cette année. Que si Dieu a permis que quelques-uns ayent faussé leur parole, ce n'a esté que pour nous faire voir de jeunes femmes vivre seules comme des anges et faciliter à plusieurs par là le chemin à la virginité perpétuelle, comme il est arrivé à deux qui l'ont portée depuis peu dans le ciel comme il est marqué les années suivantes.

Chauchetière associe également ce thème du mariage à ceux du baptême, de l'impureté ou impudicité, de la virginité et de la continence.
f18r Quelques personnes embrassent la virginité, la continence

En 1681 Un scandale parut icy en matière d'impureté. Trois jeunes friponnes parties des Iroquois firent complot de débaucher trois personnes et pour faire plus de tort au public s'engagèrent d'enlever celuy qui faisoit les prières à l'église et de le faire tomber dans le péché. Elles firent à dessein plusieurs visites. Enfin Dieu conserva le dogique, mais il permit qu'un jeune homme, marié depuis peu, succombast avec perte du costé de la mission, mais Dieu, qui sçait tirer le bien des maux, toucha ce jeune homme qui estoit allé avec sa domne aux Iroquois d'où il n'estoit pas venu, estant élevé dans la mission. Il lui fit la grâce de bien mourir entre les bras d'un missionnaire. Sa femme, qui estoit si jeune qu'on disoit qu'elle n'avoit pas l'aage et qui se trouvoit pourtant mariée en face d'Eglise, suivit quelques jours après son mary en l'autre monde. Et la pécheresse qui avoit enlevé le mary à cette femme fut touchée et a esté baptisée depuis et vit avec la crainte de Dieu dans l'état du mariage.

En 1681 Les personnes mariées viennent s'offrir aux autels et vivent comme frères et soeurs et après avoir perdu leurs enfans qu'ils avoint eu de leur sainct mariage, avant d'embrasser l'état de continence, ils n'ont pas voulu retourner à leur premier état. Le beau miroir de la chasteté est si net au Sault qu'on n'y peut souffrir les moindres taches et les sauvages sont délicats en ce point jusques à l'excès.

folio 13 recto — 1673

une nouvelle mission au delà de la rivière, cette séparation fut rude et n'a pas laissé durant quelque temps de tenir les esprits en désunion. Mais enfin, trouvans partout la mesme foy et la mesme évangile et surtout l'union qui est entre tous les missionnaires du Canada a rompu les efforts du démon encore une seconde fois.

Dieu affligea luy-mesme cette mission en luy enlevant son appuy dans la personne de Catherine Gandeaktena, illustre en vertu, dont la mémoire est encore en bénédiction à la Prairie 12 [ans] après sa mort. C'estoit vrayment une grande affliction, parce que les pauvres perdirent alors leur mère, les chrestiens leur exemple, les François et les sauvages leur bien-aimée. On fera un récit de ses vertus qui font dire à tout le monde que celle-là est au ciel. Elle a laissé la chapelle héritière des ornemens de sa jeunesse qui sont devenus prétieux par la consécration qu'elle en a fait de son vivant et par la multitude d'autres présens qu'on voit attachés aux poutres de la chapelle et au devant d'autel qu'ils ont attiré les années suivantes.

Cette mort donna occasion à une louable coutume qui règne dans la mission à présent. On ne doute pas que les sauvages n'ayent eu du temps de leur infidélité plusieurs superstitions dans leurs enterremens, comme dans toute autre chose. Le Royaume de Dieu s'establissant à la Prairie, Nostre Seigneur donna la pensée au mary de la deffuncte Catherine de faire une proposition. Ce pauvre affligé, voyant sa femme désespérée, fit un festin à ses amis et leur tient ce discours, Autrefois, avant que nous fussions chrestiens, nous servions de superstitions pour guérir nos malades et les maladies nous jettoint dans la dernière affliction. Maintenant que nous prions, nous invoquons le nom de Jésus pour leur guérison. S'ils meurent, nous nous consolons dans l'espérance de les voir au ciel. Disons donc nostre chapelet pour l'agonisante avant que de manger.

Le mesme, après la mort de sa femme, se comporta en parfaict chrestien. La coutume des sauvages est de donner tous les biens du deffunct à leurs parens et à leurs amis pour pleurer leur mort et d'enterrer avec eux une partie de ce qu'ils ont eu durant leur vie et de dresser des tombeaux et peindre des bêtes et des oiseaux qu'ils appellent génies ou maistres de la vie. Mais le mary de nostre deffuncte, en qualité de premier capitaine, assembla le conseil des entiens et leur dit qu'il ne falloit plus garder leurs premières coutumes qui ne profitoint de rien à leur morts, que pour luy sa pensée estoit de parer le corps de la deffuncte de ce qu'elle avoit de plus prétieux, puisqu'elle devoit resusciter un jour, et d'employer le reste de ce qui luy avoit appartenu à faire l'aumosne aux pauvres. Cette pensée fut suivie d'un chacun et elle est devenue comme une loy qu'ils ont observée depuis exactement. L'ayant mesme blasmé d'avoir couvert le corps de sa femme, ils ne l'ont pas imité en cela, mais donnent aux pauvres les habits les plus prétieux et couvrent les corps de leurs habits ordinaires, disant que les deffuncts aimeront mieux qu'on fasse prier Dieu pour eux de leur

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propres richesses. En l'occasion dont nous parlons, on distribua aux pauvres en tout trois cents livres et en faisant cette louable distribution on disoit Priès pour la deffuncte.

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Cette année fut heureuse pour la mission, parce qu'on y establit solidement les mariages de la manière qu'ils se font dans toute l'Eglise. Quelques-uns, qui estoint mariés de la manière que les sauvages se marient, n'ont point d'autres cérémonies que celle du baptesme dans lequels ils dirent qu'ils ne quitteroint jamais leurs femmes.

[Note marginale :] nota qu'à succession de temps ces sortes de mariages ont esté pris par les sauvages comme concubinages, car un mari et une femme ne pouvans pas s'accorder, une sauvagesse aagée leur dit qu'ils estoient ensemble comme des gens qui pèchent parce que on ne leur avoit pas jecté d'eau bénite en les mariant.

On avoit pas encore étably les cérémonies du mariage, mais les sauvages estants plus instruits et plus accoutumés n'ont plus esté mariés qu'en face d'Eglise. Et Dieu a donné une si grande bénédiction que jusques icy ç'a esté une chose bien rare que le divorce et celuy qui le fait est en abomination. Il y a bien ving ans que la mission est fondée et on ne trouveroit pas ving personnes qui ayent quitté leurs femmes, et ceux qui les ont quittées sont tousjours retournés après quelques années mourir au village. On n'apporte pour raison de cet état où sont les sauvages que la puissance de Dieu qui peut affermir les esprits plus légers que le vent et la plume, c'est-à-dire esprits de sauvages. Quoyque les années passées on ayt fait plusieurs mariages, les papiers des mariages en marquent davantage cette année. Que si Dieu a permis que quelques-uns ayent faussé leur parole, ce n'a esté que pour nous faire voir de jeunes femmes vivre seules comme des anges et faciliter à plusieurs par là le chemin à la virginité perpétuelle, comme il est arrivé à deux qui l'ont portée depuis peu dans le ciel comme il est marqué les années suivantes.

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Cet accroissement de la foy et de la vertu des sauvages faisoit croire qu'ils étoint aussy propres pour le christianisme que les autres peuples de la terre. On avoit jetté il y a quatre ans les semances d'une dévotion qui est grande en ce païs, qu'on appelle la Saincte-Famille. Le Père Pierçon avoit donné des chapelets de la Sainte-Famille à quelques personnes d'élite, la première fut Catherine Gandeaktena, mais il n'en avoit pas fait l'explication, ce qui donna occasion aux sauvages de la demander d'autans plus instamment qu'ils scavoint qu'on l'avoit enseigné aux sauvages de Lorette [Mission de Notre-Dame-de-Lorette près de Québec (Chauchetière 1984a)]. Le Père Frémin, jugeant que si on faisoit un choix de gens des plus fervents la multitude ne nuiroit pas à la mission, établit la Sainte-Famille, laquelle commença à avoir quelque éclat cette année parce que les années précédentes c'estoit une petite assemblée, mais le nombre de ces personnes choisies augmenta avec le nombre des chrestiens et de la mission. Cette année fut la dernière d'un jeune homme nommé Martin Skandegonrhaksen, aagé de ving, décédé en prédestiné dans les bois. On fera un récit de cette mort.

folio 14 recto — On donne la confirmation la 1re fois

Le f14r est différent des autres dessins. Il commémore un événement protocolaire exceptionnel, la confirmation par Mgr de Laval de plus de 25 autochtones tenue en mai 1676 (f15r) (voir le compte rendu par Dablon de cette visite et l'analyse des bâtiments alors occupés par les jésuites à La Prairie incluant l'intérieur et l'extérieur de cette 2e église où a lieu cette confirmation). Chauchetière livre ici sa vision de ce prélat, barbu, en habit d'apparat cérémonial, ainsi que de sa « crosse de bois » tenue par un adjoint dépeint avec vivacité. Cette même fraîcheur du trait dessiné se retrouve dans ce portrait d'enfant agenouillé, empreint d'un sentiment de familiarité et de proximité attentive et généreuse.

Chauchetière choisit de ne montrer qu'une toute petite sélection des confirmés, soit seulement 5 personnes. Sa présentation est donc hautement symbolique, à l'aune de cet important sacrement. La sélection des personnages se doit de refléter les espérances de conversion des jésuites auprès de cette communauté d'autochtones. L'échantillonnage est donc en quelque sorte politique, une volonté de propagande des réalisations jésuites, souvent amplifiées. Ce pourrait donc être un homme autochtone, en pleine force de l'âge et vêtu de ses plus beaux atours, qui reçoit la confirmation. À l'arrière, une femme, aux cheveux partiellement cachés par une coiffe indéterminée, est flanquée de deux jeunes hommes autochtones portant des bandeaux frontaux semblables à celui du porteur de dais au f20r. Le groupe, complété par un enfant, forme ainsi une hypothétique famille autochtone idéalement chrétienne, fruit des efforts mis en oeuvre. Cette scène est toute en fait en phase avec la dévotion à la Sainte-Famille établie à la mission et pour laquelle Chauchetière projetait un dessin au f10v.

Lorsqu'un personnage principal est présenté, il n'est jamais placé en plein centre de la composition, mais décalé à gauche ou à droite. Il occupe toujours le bas de la page, une peu comme dans une frise, ouvrant ainsi la partie supérieure du dessin à la présentation de l'arrière scène : femme travaillant aux champs ; allégories de l'ivrognerie et de l'impudicité ; Mgr de Laval donnant la confirmation ; architecte construisant la première chapelle ; prêtre tenant l'ostensoir ; personnage affolé par la foudre.

Bien que Chauchetière utilise ici des lignes convergentes pour les planches, il n'applique pas les règles du point de fuite à l'ensemble de la scène représentée dont l'espace de profondeur est ici limité par un mur situé tout près.

Les traits de plumes horizontaux servent de fond à la présentation de trois scènes d'intérieur : enterrement, confirmation, virginité.

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folio 14 verso — Le changement de village

La formulation vague, changement de village, peut référer à plusieurs passages du texte de Chauchetière.

Ses dessins suivent toutefois la chronologie. Le transit de divers autochtones depuis leurs anciens villages vers La Prairie est dessiné au f07r Les six premiers sauvages de la Prairie viennent d'Onneiout sur les nèges et les glaces et au f08r Les sauvages vont s'établir à la Prairie de la Magdeleine avec les François, suivi des projets de dessins au f08v ils batissent une cabane et au f09v plusieurs personnes viennent demeurer à la prairie.

La 2e église (1670-1686) de La Prairie est dessinée au f10r On en bannist les boissons et c'est là où, au f14r, On donne la confirmation la 1re fois, en mai 1676.

Le présent projet de dessin, du f14v Le changement de village, concerne donc le déplacement de la mission, en juillet 1676, vers son 2e établissement à Kahnawake, devenu Kateritsitkaiatat, où, selon le dessin de Chauchetère au f16r, On bâtit la première chapelle.

Cette transmigration est évoquée aux deux derniers paragraphes de l'année 1676 sur le folio à droite...

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C'est une merveille de voir l'estat de la mission étant si nouvelle que les sauvages n'avoint point encore entendu parler de la confirmation. Que seront-ils donc quand le Saint Esprit sera descendu sur eux, comme il le fera cette année. Monseigneur l'évesque de Québek, qui avoit conféré dans son église cathédrale le baptesme aux six premières personnes de la mission, vient achever son ouvrage au mois de may. La narration est bien au long dans la relation de 1672.

L'estime que les sauvages faisoint de la personne qui touche de plus près Nostre Seigneur, parmy celles de tous les prestres, marquoit le fonds de leur âme. Lorsqu'ils sceurent que Monseigneur arrivoit à la Prairie, ils firent sur l'eau un échafaut pour débarquer commodément. Ils avoint bordé le chemin de branchages et l'allée se terminoit à un throsne pratiqué avec du gason et de la verdure où Monseigneur ayant pris place il receut les complimens que les capitaines luy firent. Le lendemain de la Pentecoste, qui se célébroit alors, fut un temps favorable pour donner la confirmation qu'il conféra à plus de quatre-ving sauvages. Et dans l'espace de trois années il en confirma plus de deux cens. Ce sacrement a produit merveilleusement son effect. Le démon redoubla ses efforts pour ruiner la mission, s'attaquant tant aux particuliers qu'au public. Le dogique fut attaqué le premier par une perte qu'il fit d'un de ses enfans nommé Alexis, l'exemple de tous les enfans de cette mission. Il estoit aagé de six ans, aimé et caressé de tout le monde, d'un naturel riche et porté à la dévotion. Cette perte jetta ses parens dans une affliction mortelle. Ils se consolèrent pourtant offrant leur enfant à Dieu.

La pauvreté est non pas un fléau de la mission, mais une annexe qui la châtie de temps en temps. Elle éstoit si grande l'année passée et cette année elle a continué de telle sorte qu'elle a obligé la mission à quitter la terre de la Prairie pour en aller chercher une à cinq quarts de lieue plus haut nommée le Sault-Saint-Louis ou de Saint-Xavier, du tiltre de la mission. Nostre Seigneur veult assurément honnorer sa pauvreté dans celle des sauvages, car c'est une compaigne qui les suit partout. Ils ne demandent pas aussy d'en estre délivrés comme des autres tentations de la vie parce qu'elle augmente leur mérite. Quoyqu'il en soit, c'est la raison qui obligea la mission de faire transmigration, laquelle se fit il y a neuf ans, au mois de juillet. [Chauchetière écrit donc ce texte en 1685.]

Cela ne s'est pas fait sans beaucoup de peine. Les missionnaires n'avoint pour tout logement qu'un méchant logis et pour chapelle une cabane d'écorce dans laquelle le supérieur de la mission logeoit dans un coing pratiqué pour cela. Mais Dieu récompensoit et les P.P. et les enfants des grâces abondantes qu'ils versoit sur les uns et sur les autres. On commença l'esté à bâtir une chapelle de soixante pieds qui fut achevée l'automne d'après. Cette chapelle fut béniste avec cérémonie et devient illustre par les grâces que Dieu a versé sur ceux qui alloint prier dedans.

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On commença à cognoistre que le lieu et les personnes ne contribuoint point à la ferveur des sauvages, lesquels estants seuls, séparés des François, ne furent pas moins chrestiens et mesmes le furent davantage au Sault qu'ils n'avoint esté à la Prairie. La relation qu'on a fait et qui en parle jusques à 1679 fait voir que les choses se réglèrent d'elles-mesme, chacun ayant désir de bien faire. Les règlemens de ce temps-là [sont] pour les prières des jours ouvriers et des jours de fêtes, tant celles des grands que des enfans, les chants, les processions, les saluts, la pratique des sacremens, les mariages, les divers états des mariés, des veufves et des vierges et tout le reste en quoy la mission s'est réglée comme la plus belle paroisse de France. La loy contre la boisson s'y gardoit aussy comme on le pourra voir dans son traitté particulier.

Cette année sera remarquable par un célèbre présent qui fut envoyié de Lorette au Sault. C'estoit un collier exhortatif qui addressoit la voix des Lorétains à ceux du Sault pour leur faire prendre la foy tout de bon, pour leur faire bâtir une chapelle au plus tost, et il les exhortoit aussy à combattre les différens démons qui conjuroint la ruine de l'une et l'autre mission. Ce collier fut aussytost attaché à une des poutres de la chapelle qui répond au dessus de l'autel affin qu'on le regardast tousjours et qu'on écoutast cette voix.

Le démon, qui n'avoit pu rien gaigner sur l'esprit des sauvages en les attaquant ouvertement, usa de pernitieuses intrigues pour la faire succomber. Monsieur le comte de Frontenak, sollicité par des esprits envenimés, prit résolution d'empescher de bâtir une chapelle et n'y réussit pas. Il se résolut d'empescher qu'on aggrandist les champs des sauvages et il empescha en effect qu'on ne leur donnast de la terre au-dessus du Sault. Il usa souvent de menaces d'emprisonnement et autres. En un mot, il eust voulu qu'il n'y eust pas eu de mission. Les Iroquois firent aussy tout ce qu'ils purent pour affamer le village du Sault, y passant en troupe après leur chasse et, après y avoir mangé bien du bled, en emportoint beaucoup pour leur provision, ce qui faisoit voir que la terre en produisoit beaucoup. Mais le nombre des passans, qui alloit par esté à trois ou quatre cents personnes, laissoit le village dépourveu l'hyver et au temps des semances. Le succès qu'on se promettoit de tout cela ne fut pas tel qu'on l'eust souhaitté, car nous voyons en effect que le village a beaucoup augmenté, la pauvreté et la famine n'estant qu'une épreuve qui rend une partie des sauvages plus ménagés et le christianisme du Sault indépendant de tous ces différens événemens. La ferveur qu'ils ont eu dans leur disette a gaigné et attiré icy plusieurs personnes de leur parens.

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1678

Les forces de l'enfer estant ainsy déchaisnées contre la mission, Dieu inspira à plusieurs de nos nouveaux chrestiens d'aller faire une guerre ouverte

folio 16 recto — On bâtit la première chapelle

La scène illustrée se passe en été, saison de la pêche ici pratiquée par une femme sur un rocher, alors qu'une autre manipule un canot. Le récit de la construction de cette chapelle se situe en 1676 (f15r) lors de la migration depuis La Prairie (voir aussi 1676 Kahnawake devenu Kateritsitkaiatat).

On commença l'esté à bâtir une chapelle de soixante pieds qui fut achevée l'automne d'après. 1676 (f15r)

La construction de cette chapelle s'est-elle terminée à l'automne de 1676 ou celui de 1677 ? Ou bien au printemps de 1678 selon cet autre récit ?

[Extrait de Chauchetière 1887, p. 110-111.]

Noftre marie therefe te,aia,enta fe confeffa commelle lauoit promis et changea entièrement de uie et Dieu la donna a Catherine pour compagne elle auoit la mefme penfée que Catherine de uiure fans fe marier dans le feruice de Dieu.

Vne espèce de curiofité fut loccafion de leur première entreueüe : on batiffoit encor la première chapelle au fault et le menuifier trauailloit au Lambris Catherine et marie therefe fe promenoint autour dehors et dedans cette chapelle fans fe parler et fans feftre connües parceque Catherine neftoit arriuee dAnie que de lautomne et cette chapelle facheuoit ainfis le primptemps fuiuant (1678) et marie therefe eftoit uenue donneiout ou elle nauoit pas entendu parler de Catherine mais lefprit de la foy qui les animoit les unit parfaittement elles fe faluerent et fe parlèrent et leurs paroles repondirent aux fentiments de leurs coeurs

Catherine demanda ou les femmes fe mettroint dans cette chapelle therefe montra la place ou elle croyoit quelles deuoint eftre ; Catherine dit que comme il eftoit uray que cette chapelle de bois neftoit pas ce que Dieu demandoit le plus mais quil demandoit deftre en nous quelle ne meriteroit pas deftre dans leglife auec les autres ayant chaffe très fouuent noftre feigneur de fon coeur et quelle meritoit deftre mife hors de leglife auec les chiens ce difcours fut meflé de larmes deuotion et fut long ; leurs coeurs fouurirent peu a peu et de difcours en difcours elles tombèrent fur leur uie paffee et pour fentretenir plus a loifir furent fefoier au pied dune croix qui eftoit plantée hors de leglife fur le bord de leau elles fe dirent mutuellement tout ce qui eftoit de plus fecret dans leurs confciences et promirent de ne fe feparer point

Chauchetière atteste être arrivé à la mission en 1677 (f02r). La citation ci-dessus situe celle de Tekakwitha la même année, ce qui est corroboré par ces autres documents.

« Et à même temps et à la même année que j'arrivai à la mission de Saint-François-Xavier, du Sault ; ce fut en même temps et en même année que Catherine arriva à la mission [Gagnon 1975, p. 84 note 5 se référant à Henri Béchard, "Lettre inédite du P. Chauchetière à son frère le P. Jean, S.J.", Kateri, n° 33, été 1968 (Kateri 1968.06-E076p20-30 et 1968.06-F033p20-30)]. »

« [Tekakwitha] arriva à la Miſſion du Sault ſur la fin de l'automne de l'année 1677 [Cholenec 1715.08.27, p. 155]. »

Greer 2005 (p. 58, 136 et 139, suivi par Harinen 2016, p. 58) propose de voir, dans ces trois femmes assises vues de dos, Tekakwitha, Marie-Thérèse Tegaiaguenta et Marie Skarichions, en se basant sur leur projet de couvent né de leur amitié et sur la citation de Chauchetière reproduite ci-dessus.

Le personnage debout habillé en civil, tenant un pied-de-roi de sa main droite et un compas de la gauche, est certainement l'architecte, Il discute avec l'un des deux jésuites, l'autre mesurant avec une équerre un madrier posé par terre.

Gagnon 1976 (t. 1, p. 39) propose d'identifier ces jésuites à deux missionnaires de cette mission présents lors de la construction de cette chapelle en 1676 : Jacques Frémin (1628-1691) qui y fut actif de 1671 à 1679 ; Pierre Cholenec (1641-1723) qui y fut actif de 1675 à 1683 puis de 1695 à 1699.

« D’une intelligence médiocre et de manières peu cultivées, le père Frémin brillait surtout par son courage et son bon sens. On estime que, pendant son apostolat, il baptisa quelque 10 000 indigènes. »

Pourrait-on l'identifier à celui, plus manuel, préparant les poutres pour le charpentier les installant au faîte de la chapelle ?

Quant à Cholenec, ses écrits constituent une très importante source d'information sur Tekakwitha (voir Cholenec dans la bibliographie). Il était donc plus intellectuel. À ce titre, il pourrait bien être celui qui planifie la construction de la chapelle en discutant avec l'architecte.

Lorsqu'un personnage principal est présenté, il n'est jamais placé en plein centre de la composition, mais décalé à gauche ou à droite. Il occupe toujours le bas de la page, une peu comme dans une frise, ouvrant ainsi la partie supérieure du dessin à la présentation de l'arrière scène : femme travaillant aux champs ; allégories de l'ivrognerie et de l'impudicité ; Mgr de Laval donnant la confirmation ; architecte construisant la première chapelle ; prêtre tenant l'ostensoir ; personnage affolé par la foudre.

Chauchetière dessine quatre chapelles. La première est urbaine avec un clocher conséquent. Les trois autres se situent dans la mission, où il s'agit toujours d'une cabane rudimentaire en bois, surmontée d'une croix, d'une cloche et d'une cheminée.

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folio 16 verso — quelques sauvages vont prescher la foy

Quelques passages concernent ce concept de retransmission de la foi chrétienne par les autochtones eux-mêmes, ce qui dénote une rhétorique autocongratulatoire pour le succès, peut-être amplifié par une forme de pensée magique, de cette mission jésuite.

En 1668 Cet hyvernement fut la reigle de tous les autres qui ont suivy et qui ont sanctifié depuis plusieurs sauvages dans le bois où quelques-uns sont morts en prédestinés, où d'autres ont vescu en anges des six mois durant, où d'autres se sont exposés pour la foy et ont fait les apostres, preschant tout l'hyver à ceux qui n'estoint pas encore chrestiens.

En 1673 Les sauvages s'estants instruits l'esté au village alloint prescher nostre foy dans les bois, l'hyver, faisant leur chasse.Ainsi que le texte qui suit ce passage.

En 1678 un long passage sur ce thème, mettant en scène La Poudre Chaude, capitaine des Onneiouts, figure sur le folio à droite de ce projet de dessin : Avant qu'aucun sauvage eust pris ainsy la liberté de prescher l'Evangile [...]

folio 17 recto — 1678

aux vices dans leur propre païs, à l'exemple du jeune Skandegonrhaksen, lequel il y a trois ans fut aux Aniés exprès pour tirer de l'ivrognerie son camarade, celui qu'on appelle le grand Anié leur ayant rompu la digue que les entiens opposoint à l'establissement qui se faisoit au Sault. Mais je puis dire que le plus célèbre voyage fut celuy de La Poudre Chaude, capitaine des Onneiouts qui demeurent au Sault, et de ses deux camarades. Ce capitaine baptisé depuis peu voulant aller à Onneiout passa par les Aniés où estant arrivé tous les entiens le furent saluer. Ce nouveau fidelle ne leur dit d'autres nouvelles que celles de la foy, ce qui surprit fort l'assamblée qui le laissa discourir. Les entiens se retirèrent. Plusieurs du village restèrent pourtant et entendirent ce que cet homme avoit à dire. Et après tout, ayant presché partout en son chemin, il ne receut que des injures. Il ne laissa pas d'en ébranler plusieurs, parce qu'il a une éloquence naturelle fort agréable. C'est principalement depuis ce temps-là qu'on a vu descendre plusieurs personnes exprès pour rester au Sault. Ces nouveaux apostres ont si bien réussy qu'on peut voir par les papiers des baptesmes le nombre des personnes qu'ils ont gaigné à Dieu. Avant qu'aucun sauvage eust pris ainsy la liberté de prescher l'Evangile, on baptisoit au Sault, pour le plus, dis-sept personnes par an. Mais depuis que les sauvages sont allés eux-mesmes au païs pour convertir les autres, on compte par an les baptesmes à soixantaines qui sont les baptesmes d'adultes [on baptisait surtout les enfants en bas âge et des mourants, peu d'adultes en bonne santé se laissaient convaincre (Chauchetière 1984a)]. Mais le plus grand effect que produit cette prédication est de nous avoir acquis un thrésor que nous gardons chèrement dans nostre église, scavoir le corps d'une vertueuse fille qui est morte icy en odeur de saincteté comme nous dirons [Tekakwitha]. Cette année, durant l'esté, trois de nos sauvages que nous venons de nommer l'embarquèrent dans leur canot. Sa vie est escripte assés emplement. Tout le bruit que l'enfer faisoit par la bouche des entiens qui déclamoint perpétuellement dans leurs conseils contre la mission du Sault et tout le bruit que l'Evangile faisoit par la bouche des prédicateurs, je veux dire de nos sauvages chrestiens, produisoit dans l'esprit de ceux qui écoutoint ainsy parler de part et d'autre le désir de voir eux-mesmes ce qu'on faisoit au Sault et, l'ayant veu, ils commençoint à s'y plaire. Ainsi Dieu semoit en eux les grâces de la vocation. Quelques-uns s'arrestoint d'abord, d'autres retournoint ensuite et l'enfer perdoit toutes les années ses entiennes conquestes.

Les puissances de l'enfer poussèrent la rage plus loing. Elles entreprirent de sapper la mission dans ses fondemens. Elle ne fut établie que pour vaincre la boisson, elle ne s'est soutenue que par la destruction de la boisson, elle ne continue qu'en combattant la boisson. Plusieurs François, appuyés de l'authorité de Monsieur de Frontenak, entreprirent de tenir cabaret à la Prairie qui est l'entienne demeure des sauvages qui est à présent une paroisse à cinq quarts de lieue du Sault. Quatre ou cinq particuliers estant échauffés pour le cabaret, une cinquantaine de paroissiens firent une requête. La requête ayant esté mal receue de Mr

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folio 17 verso — 1678

de Frontenak, les requérants condamnés à l'amande, on appelle de Mr de Frontenak à Mr de Frontenak mesme, lequel avoit deffendu par son ordonnance de quatre ans révoleus les cabarets et la boisson qu'on vouloit traitter aux sauvages. Cet appel donna au démon une partie de ce qu'il demandoit, parce qu'il fut permis de tenir cabaret à la Prairie, mais en secret, et il fut deffandu de traitter de la boisson aux sauvages du Sault, ce qui a tousjours continué jusques à ce qu'il y ait eu des troupes. Il s'est donné de temps en temps plusieurs batailles et plusieurs assaults contre la boisson et les chefs de la mission ont tousjours secondé les missionnaires et ont tenu le bon party. Cette contradiction a fait dire à des personnes bien éclairées que les tentations que les nouveaux chrestiens de l'Amérique souffroint correspondoint aux persécutions de la primitive Eglise. Nostre Eglise a eu en cela ses martyrs et ses rénégats avec quelque proportion, comme on le verra dans le récit de l'ivrognerie confondue.

L'impureté n'est pas si pernitieuse parce qu'osté la boisson de chez les Iroquois, on oste mille péchés d'impureté dont ils n'avoint point connoissance avant l'établissement des boissons. Ils gardent entre eux les degrés d'affinité entre parents, il ne se fait pas de mal chez eux, ou, s'il s'en fait, les délinquants sont en abomination. On a mesme vu des filles garder virginité. Pour le moins, elles n'estoient ny mariées, ny tachées du vice de la chair, et une est morte sans avoir voulu se marier, et on tenoit qu'elle n'avoit jamais fait mal et est morte en cet état sans baptesme. Quoyqu'il en soit, il y a du moins chez les Iroquois comparés aux brutalités de la chair qui règnent chez les Outaouaks et autres sauvages. Ce monstre pourtant, appuyé de l'excès des boissons, a tout perdu au païs des Iroquois dans ces derniers temps et a tâché de tout perdre dans cette mission par les séparations des maris et des femmes et par l'infirmité de nature qui est plus grande dans la jeunesse sauvage que dans toute autre espèce d'hommes. Il n'a pas réussy, ce monstre, et il a esté combattu et vaincu par plusieurs. On a vu des filles refuser généreusement des hardes, de l'argent et autres choses de prix qu'on leur offroit pour consentir au mal; on en a vu quelquesunes trainées dans des magazins, où on les mettoit à choix, résister et menacer de s'écrier si on ne désistoit; on en connoist qui ont résisté des années entières à des poursuites deshonnêtes; on en a vu donner des coups de point par le nès et couvrir de honte et de sang le visage des démons incarnés qui les venoint tenter; on en a vu qui se sont défigurées en se couppant les cheveux qui est le principal ornement des sauvagesses; on en a vu rapporter au missionnaire les présens qu'on leur avoit fait à mauvais dessein. Et c'est parmy ces contradictions que celles qui avoint péché avant leur baptesme ont purifié leur âme et que celles qui sont nées dans le village on succé la pudeur avec le laict de leur mère chrestienne.

folio 18 recto — Quelques personnes embrassent la virginité, la continence

La virginité est évoquée en 1674 (f13v) et 1678 (f17v), mais plus longuement décrite en lien avec la charité et certains éléments masochistes (1678 f19r). La continence après le mariage est évoquée en 1681 (f23r).

Anonyme (Québec ?), Vierge à l'Enfant, XVIIe-XVIIIe siècle ?, Sculpture sur bois (pin), Caughnawaga (Schwartz 1963.12, p. 58, fig. 8). Cette sculpture procède du même modèle iconographique que celle dessinée par Chauchetière. L'attribut tenu dans sa main droite aurait pu être un sceptre. Voir aussi : Anonyme, Vierge à l'enfant, XVIIe-XVIIIe siècle, bois (Kateri 1953.12-EV06N01p08-09)..

La Vierge à l'enfant dessinée par Chauchetière, tenant un sceptre dans sa main droite, est tout à fait exceptionnelle. Cette sculpture, probablement en bois, devait être une oeuvre de grande qualité, très certainement importée de France. Elle est toute aussi resplendissante que les rayons émanant de sa tête et de celle de Jésus. Si on évalue sa dimension, relative à celle des personnages, ce devait être une statuette (25 à 80 cm) ou demi-nature (80 à 90 cm).

En août 1683 la chapelle fut renversée par le vent (f23v). La statue de la Sainte Vierge qui estoit à onse pieds de hauteur fut renversée simplement.

Résumer l'histoire et référer au texte...

Les traits de plumes horizontaux servent de fond à la présentation de trois scènes d'intérieur : enterrement, confirmation, virginité.

Filigrane du papier en transparence.

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folio 18 verso — il s'y fait une saincte société

Difficile de savoir quel dessin aurait pu sortir de cette thématique fort générale qu'on peut rattacher à tout le texte de Chauchetière qui vise à démontrer les bienfaits de la christianisation des autochtones...!

folio 19 recto — 1678

Il y en a desja plusieurs qui ont porté leur virginité dans le ciel qui n'estoint que de treize, quatorse, quinse ou ving ans. Plusieurs vivent encore qui, ayant souvent refusé de bons partis pour le mariage, passent l'aage nubile et donnent à Dieu leur corps et leur âme dans une grande pauvreté et vivent et s'habillent d'aumosne. Cet esprit a réuny cette année toutes ces personnes qui sont au nombre de treise. Elles ont pour fin la plus haute perfection, elles s'assemblent et une fait une petite exhortation ou bien elles se disent leur fautes. Elles font comme les Dames de la Miséricorde de France et ont pour office les oeuvres de charité du prochain. Surtout elles ont soing des pauvres ou des malades ausquels elles portent du bois en cachette et le soir et s'enfuyent aussytost de peur d'estre apperceues. Elles vont veiller les malades et leur font l'aumosne d'autres choses qui leur font besoing. Elles ont pour moyen la mortification et l'esloignement des plaisirs de la chair qu'elles haïssent comme l'appas du démon et disent dans leurs excès que les P.P. qui veulent leur faire quitter la ceinture et la discipline sont pleins de miséricorde, mais qu'ils ne scavent pas combien ils ont esté chargés de péchés avant qu'on leur eust enseigné à bien vivre. Ainsy on les voit tousjours occupées à porter du bois ou faire des colliers, à semer, piler, coudre, faire des sacs et autres ouvrages.

La petite vérole parcourut nostre village au commencement de l'automne. On s'étonna pourtant après du peu d'enterrements qu'on avoit fait et cette bénédiction de Dieu fit que les Iroquois ne dirent plus que la foy et le baptesme faisoit mourir, au lieu qu'aux Iroquois ils meurent à centaines quand la petite vérole les prend. La confience qu'on inspiroit aux sauvages dans la maladie produisit son effect non seulement sur les malades qui furent tous guéris et sur les personnes qui ne furent point attaquées du mal, mais mesme on vit que Dieu bénit jusques aux terres: une isle prochaine du village avoit esté désertée depuis peu, elle estoit remplie de vers qui mangèrent trois fois de suitte toute la semance; enfin les sauvage qui avoint semé vinrent prier le Père d'y aller pour y jetter de l'eau béniste. Le missionnaire y fut et, voyant la foy de ces pauvres gens qui estoint tous à genoux autour de luy, il fit les prières de l'Eglise plein de foy et de charité. L'automne suivante la récolte fut si abondante dans cette isle qu'on en fut surpris, n'y ayant point de champ où il y eust tant de tresses de bled au Sault que celuy qui estoit dans l'isle, quoyque les semances eussent esté plus tost faite ailleurs que là et que le bled n'eust pas esté mangé par les vers comme il arriva tout le printemps dans l'isle. Les sauvages y firent les premiers réflexion apprès la récolte, admirans et remerciants la bonté de Dieu. Ils ont fait cette réflexion les années suivantes, surtout en 1685, tandis que le prestre bénissoit, une femme emmassa en un instant sa pleine main de vers et l'automne la récolte y fut merveilleuse. Le village brulant en 1686, ils remarquèrent qu'aussytost qu'on sonna la cloche on surmonta le feu qui avoit surmonté jusques alors toutes les diligences des travailleurs.

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folio 19 verso — 1679

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1679

La malice des hommes porta cette année les choses si haut qu'on estoit menacé de toutes parts de mauvais incidens qui devoint arriver à la mission. Tantost on disoit qu'on alloit établir une maison au-dessus de ce village pour faire la traitte et les décharges de ce qu'on menoit et rapportoit pour le fort de Catarakoui et la France avoit prononcé arrest là-dessus; tantost on disoit qu'on alloit mettre en prison à Montréal le capitaine de nostre village, l'accusant de brouiller les affaires et le voulant faire responsable de ce que les Iroquois infidelles faisoint; tantost on disoit qu'on alloit introduire les boissons dans le village, ce qui estoit certain, parce q'un François y faisoit desja plusieurs voyages durant l'esté avec espérance d'obtenir la permission de tout ce qu'il voudroit faire, se rendant nécessaire aux sauvages parce qu'il est armurier de son métier. Dans ces perplexités et ces contradictions les pauvres missionnaires affligés n'avoint recours qu'à Dieu qui leur fut favorable, disposant toutes choses pour un voyage que le père Frémin fit en France sur la fin de cette année, voyage heureux qui a fait triompher la mission de tous ses ennemis d'une façon si surprenante qu'il mériteroit un récit particulier.

Il est vray que la mission croissoit comme la palme sous le poids des afflictions et que le service de Dieu n'y a jamais esté si exact et si splendide qu'il fut alors. Il n'y avoit que trois ans que les sauvages estoint séparés. Ils faisoint devant ou plustost ne faisoint qu'assister à la messe et à vespres qui étoint chantées par les François, mais à présent ils font tout eux-mesmes dans leur chapelle. Ils l'avoint desja fait, mais l'église estoit trop incommode n'estant qu'une chapelle d'écorces. L'entienne chapelle estant achevée, l'extérieur de la mission fut tout autre. Ils firent ce qu'ils purent pour bien orner la chapelle qui n'estoit qu'achevée. Ils avoint donné abondamment de quoy la bâtir; les Agniés se signalèrent en cette libéralité. Cette affection que les sauvages avoint pour cette chapelle leur facilita le moyen d'apprendre les chants de l'église comme les hymnes du Saint Sacrement, les hymnes de la Vierge et quelques autres des confesseurs, des martyrs, l'Inviolata, le Veni Creator, les pseaumes et plus de trente différentes sortes tant pour la messe que pour les vespres et pour les saluts, sans obmettre les cérémonies des chandelles à la Purification, des Cendres, des Rameaux, du Vendredy sainct, les processions du Saint Sacrement qu'on vient voir par rareté et celle de l'Assomption. La foy leur ayant donné beaucoup d'affection pour ces choses-là, ils les ont aussytost apprises, en quoy les femmes excellent qui chantent fort bien et fort dévotement. Tous ceux qui les entendent y prennent plaisir. Les enfans qui ont appris à servir la messe et qui s'enpressent beaucoup pour la servir sont habillés dans toutes ces cérémonies comme de petits clergeons et sçavent si bien leur office qu'il n'y arrive

folio 20 recto — On fait les processions du Saint Sacrement

Chauchetière évoque les processions du Saint Sacrement qu'on vient voir par rareté en l'année 1679 (f19v juste à gauche de ce dessin).

Ce dessin permet de voir en action trois vases liturgiques habituellement fabriqués en argent : l'ostensoir, qui contient la grand hostie, tenu par le prêtre sous le dais ; l'encensoir balancé par le thuriféraire accompagné de l'indispensable navette, laissée à la sacristie, qui contient l'encens ; la croix de procession qui ouvre le défilé, en arrière plan à l'extrême gauche.

NUMÉRISER OSTENSOIR.

Lorsqu'un personnage principal est présenté, il n'est jamais placé en plein centre de la composition, mais décalé à gauche ou à droite. Il occupe toujours le bas de la page, une peu comme dans une frise, ouvrant ainsi la partie supérieure du dessin à la présentation de l'arrière scène : femme travaillant aux champs ; allégories de l'ivrognerie et de l'impudicité ; Mgr de Laval donnant la confirmation ; architecte construisant la première chapelle ; prêtre tenant l'ostensoir ; personnage affolé par la foudre.

Lorsque la nature est présente, elle n'est jamais très éloignée dans l'espace. Elle ne s'ouvre pas vers une perpective lointaine avec un point de fuite, mais est ramenée à l'avant, un peu comme un décor de théâtre. Cette façon de faire accentue la proximité de la flore et de la faune, la rapprochant des personnages situés à l'avant plan, dans la partie inférieure de la page.

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folio 20 verso — on commence a porter le viatique dans les cabanes

Ce projet de dessin aurait pu représenter Tekakwitha, car c'est pour elle qu'on apporta pour la première fois la communion, ou sacrement de l'eucharistie, à une mourante (alors appelée viatique) dans une cabane autochtone ! Car, jusqu'alors, on portait plutôt les autochtones malades à l'église sur un brancard d'écorce !

En 1680 Catherine Tegakouita [...] mourut le 17 avril [...] A l'heure de son décès on luy porta le viatique dans sa cabane, ce qui ne se pratiquoit pas encore. On portoit les malades en l'église sur une écorce pour leur donner le viatique, pour inspirer aux sauvages le respect qu'on doit au Saint Sacrement, les sauvages ne s'estimans pas dignes que Notre Seigneur prist luy-mesme la peine de les aller chercher, quelques malades qu'ils fussent.

folio 21 recto — 1679

aucun désordre. On s'estonne tous les jours et avec raisons que des sauvages ayent si tost appris tout cela; eux qu'on n'entend q'hurler dans les bois quand ils chantent à leur manière et qui ont une éducation si contraire aux façons policées des autres nations.

On n'avoit pas encore veu les sauvages s'instruire les uns les autres avec un si grand succès comme nous l'avons vu ycy. Les missionnaires commençoient desja à avoir trop de monde à enseigner qui se trouvoint si neufs au commencement qu'il falloit leur faire faire jusques aux plus petites révérances qu'on fait entrans ou sortans de l'église, avant ou après avoir pris de l'eau béniste, se lever à l'Evangile, s'agenouiller dans l'église. Dieu suscita cette année plusieurs personnes qui prenoint ellesmesmes ce soing et mesme qui faisoint le cathéchisme aux enfans et aux nouveaux venus, en quoy ils valent bien des missionnaires parce que, ayant bien conceu nos mystères, ils leur donnent le tour dans leur langue et avec une onction admirable, ce qui fait que les ignorans les ont aussytost conceus et en sont touchés. Quand on sçait que les nouveaux venus sont logés dans certaines cabanes, les missionnaires vivent en repos pour l'instruction de ceux-là, car on passe voluntiers les nuits entières à les instruire.

Durant le long voyage que le R.P. Frémin fit en France, le diable redoubla ses efforts, prétendant profiter de l'affliction dans laquelle il avoit laissé ses bons enfans. Il partit l'automne de l'année présante et aussytost après son départ on entendit dire que les Iroquois avoint tué le capitaine des Loups et que le coup avoit esté fait vers le fort de Chambly. On accusa tout aussytost les Iroquois de la mission du Sault sans faire réflexion que la mesme année un sauvage chrestien de cette mission, nommé Jaque, avoit tiré un Loup des feux des Iroquois. Le Loup estoit des considérables de sa nation et l'Iroquois risqua sa vie pour luy, le délia, l'emmena dans une cabane. Luy seul se mit à la porte de la cabane, le captif étant assis paisiblement dedans et l'Iroquois dit qu'on n'entreroit pas pour prendre le captif qu'on ne l'eust premièrement tué, qu'il mourroit pour la deffense de la paix faite entre les François et les Iroquois, que la mort du Loup pourroit finir. La calomnie qu'on jettoit sur la mission du Sault fut bientost dissipée, Dieu prenant en main la cause des innocens, celuy qu'on appelle le Grand Anié estant venu exprès du lieu de sa chasse qu'il quitta pour aller descouvrir la vérité et pour accommoder les affaires en cas qu'il y eust de la faute de quelqu'un du Sault. Ayant recommandé l'affaire à Dieu et ayant demandé aux François leurs prières à la grand messe, il fut sur les lieux où il découvrit la vérité et remit la tranquillité dans toutes les habitations.

Cet accident fut suivy d'un mal réel et dangereux. Un François avoit gaigné l'esprit des sauvages, s'offrant à raccommoder leurs fusils. On luy avoit

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donné un petit coing dans une cabane où il avoit attaché un étol [Rochemonteix (Chauchetière 1895-1896) donne étoc et Thwaites (Chauchetière 1900) étot, la bonne lecture semble bien être étol, mot peut être mis pour étau ou pour étal (Chauchetière 1984a)]. Il faisoit un petit magazin et disposer tout pour lever un jour boutique et traitter de la boisson au milieu du village. Il y passa un hyver, ce qui épouvanta fort les deux missionnaires qui restoint à la mission. Mais le secours qu'on leur apporta et la deffense que Monsieur Du Chesneau [les jésuites s'entendaient bien avec l'intendant Duchesneau qui les soutint, malgré l'opposition de Frontenac, dans la lutte contre la boisson (Chauchetière 1984a)] fit à cet homme de rester dans le village davantage chassa le démon de son fort avec telle honte qu'il n'y est pas retourné depuis.

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Dieu qui prend plaisir de mesler la vie des hommes de joye et d'afflictions bannit toutes les afflictions cette année de la mission. Les assaults qu'on luy a donné trois ans durant cessèrent alors. Mais l'absence du P. Frémin tenoit tousjours les esprits en balance. On fit aussy une grande perte et un grand profit cette année, la terre perdit et le ciel gaigna, la mission donna au paradis un thrésor qu'on luy avoit envoyié deux ans devant, scavoir l'âme bienheureuse de Catherine Tegakouita qui mourut le 17 avril. L'estime qu'on en faisoit durant sa vie, le secours que plusieurs en ont eu après sa mort, les honneurs qu'on a continué à luy rendre et plusieurs autres ornemens de sa vie l'ont faitte assez cognoistre dans tout ce païs. Elle a servy à la mission par ses bons exemples, mais on peut dire qu'elle luy a servy davantage après sa mort, car son corps inanimé sert icy d'argument de crédibilité de la foy pour les sauvages et ses prières soulagent continuellement cette mission. On peut dire qu'elle entre maintenant en participation de tous les biens qui s'y font et qui s'y sont faits depuis sa mort. A l'heure de son décès on luy porta le viatique dans sa cabane, ce qui ne se pratiquoit pas encore. On portoit les malades en l'église sur une écorce pour leur donner le viatique, pour inspirer aux sauvages le respect qu'on doit au Saint Sacrement, les sauvages ne s'estimans pas dignes que Notre Seigneur prist luy-mesme la peine de les aller chercher, quelques malades qu'ils fussent.

Le démon, qui vit les glorieux succès de cette mission, usa d'une autre sorte de batterie et, se transfigurant en ange de lumière, il poussa la dévotion de quelques personnes qui vouloint imiter Catherine ou faire bonne pénitence de leur péchés, il les poussa jusques dans l'excès pour rendre sans doute le christianisme odieux dès ses commencemens ou pour faire prendre le change aux filles et aux femmes de cette mission dont la prudence n'a jamais égalé celle de Catherine qu'elles vouloint imiter. On voyoit des sauvagesses qui se jettoint sous les glaces en plein hyver. Une y fit tremper sa fille qui n'avoit que six ans pour luy apprendre, disoit-elle, de bonne heure la pénitence; la mère s'y tenoit à cose de ses péchés passés, elle y tenoit sa fille innocente à cose des péchés à venir que cet enfant commétroit peut-être estant grande. On voyoit des sauvages et

folio 22 recto — 1680

des sauvagesses qui se mettoint toutes en sang à coups de disciplines de fer, de verges, d'espines, d'orties, qui jeunoint rigoureusement sans manger de toute la journée et ce que les sauvages mangent la moitié de l'année n'est pas capable de faire vivre un homme. Ces jeuneuses travailloint tout le jour de force, l'esté à labourer, l'hyver à bûcher. Ces austérités étoint presque continuelles. Elles mesloint de la cendre dans leur portion de sagamité [mélange de farine de blé d'Inde ou maïs, d'huile, de poisson, de graisse et de fruits, fraises, framboises]. Elles se mettoint des charbons ardens entre les orteils où le feu faisoit son trou. Elles alloint nues jambes faire une longue procession dans les nèges. Elles se défiguroint toutes, se couppant les cheveux pour n'estre pas recherchées en mariage. Cela et tout le mal qu'elles pouvoint faire à leur corps, qu'elles appellent leur plus grand ennemy, les mettoit si bas qu'il n'estoit pas possible que des hommes mal nourris peussent persévérer. La pluspart de ces choses se passoint dans les bois où les sauvages se trouvoint à la chasse, ou par entousiasmes et excès d'indignations contre soy-mesme. Mais le Saint Esprit se mesla bientost de cette affaire et a éclairré toutes ces personnes et a réglé leur conduite sans diminuer leur ferveur.

Sur le milieu de l'été nostre chapelle fut menacée du feu du ciel, lequel après plusieurs éclairs effroyables en plein midy et plusieurs grands coups de tonnerres tomba à quelques pas de la grand-porte et tomba sur deux chesnes qu'il écorcha. Un homme qui alloit entrer dans la chapelle vit toutes les pierres qui estoint à terre courir autour de luy sans qu'il eust receu de mal.

Quelqu'assurance qu'on eust du bon succès du voyage du R.P. Frémin qu'on attendoit de jour en jour, les plus fermes ne laissèrent pas de douter, le Père n'étant pas encore arrivé à la mi-octobre. Alors une lettre venue de Québek, écrite de la main du P. Frémin mesme, dissipa le reste des tempestes qui nous avoint tourmentés le temps passé. La nouvelle vint à propos parce que on accusoit les P.P. de céler leurs pensées, ce qui faisoit tort à leur prédication dans l'esprit des sauvages. On fit bien entendre à ces sauvages que les François ne leurs ressembloint point et n'estoint pas si lasches qu'eux qui ne tirent leurs forces que du mensonge et que les robes noires, qui n'avoint aucun intérest à leur dire des mansonges contre lesquels ils crient et preschent tous les jours, n'estoint point trompeurs, ce qui a augmenté beaucoup la confience que les sauvages chrestiens ont aux Pères qui les enseignent. On fit de grandes actions de grâces pour cet heureux retour et la joye fut d'autant plus grandes que le succès que Dieu donnoit aux neufvaines et aux dévotions que les sauvages avoint fait cette année estoit plus évident.

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On ne pensoit plus qu'à jouir des glorieux travaux du Père Frémin qui apporta plusieurs meubles de France, propres pour orner la chapelle, qui ne contribuèrent pas peu à la dévotion des sauvages qui est grande en deux temps de l'année surtout, à Noël et à Pâque, l'enfance et la passion de Notre Seigneur étant l'attrait dont Dieu se sert pour les attirer.

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Qui pourroit dire la joye que chacun avoit de revoir le R.P. Frémin dans sa mission ? Mais un prodige extraordinaire qui parut au ciel troubla de nouveau les esprits: c'est le grand comette qui parut l'automne. Le bruit de guerre tenoit tout le Canada en attente. Cinq jours après l'apparition du comette, Dieu bénit la mission, car ce fut alors qu'un malade abandonné, après avoir invoqué le nom de Catherine du Sault, fut guéry le lendemain. Ce prodige de la terre ne paroissoit pas encore assès pour contrebalancer celuy du ciel. On se recommandoit alors principalement aux saints du païs et l'on s'adressoit aussy en ce lieu du Sault à Catherine.

La fin de l'année fut fascheuse à cose du changement qui se fit de la personne du Père Frémin en celle du P. Bruyas, entien missionnaire des Iroquois. Cepandant, soit qu'on y perdist ou qu'on gaignast, on vit que les sauvages avoint peine à changer de pasteur. Ils s'accoutumèrent peu à peu et mesme plusieurs Iroquois furent attirés ensuite à la mission par la réputation du missionnaire qui est le troisième que la mission a vu depuis sa naissance.

La mission prenoit ainsy de nouveaux accroissemens sous l'astre qui luy avoit rendu le jour, après avoir passé plusieurs années dans la nuit des afflictions. Les scandales semés comme la zizanie n'y avoint pas encore produits leur méchant fruict. Jusques à l'an présent l'yvrognerie se deschaisna, mais elle fut fulminée en pleine église à la feste de l'Assomption de Nostre Dame et un yvrogne fieffé fut dénoncé et chassé honteusement affin que cette honte publique d'un seul en corrigeast plusieurs autres, ce qui réussit parfaictement. Le délinquant mesme se convertit et a demeuré plusieurs années sans s'enyvrer.

Un scandale parut icy en matière d'impureté. Trois jeunes friponnes parties des Iroquois firent complot de débaucher trois personnes et pour faire plus de tort au public s'engagèrent d'enlever celuy qui faisoit les prières à l'église et de le faire tomber dans le péché. Elles firent à dessein plusieurs visites. Enfin Dieu conserva le dogique, mais il permit qu'un jeune homme, marié depuis peu, succombast

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avec perte du costé de la mission, mais Dieu, qui sçait tirer le bien des maux, toucha ce jeune homme qui estoit allé avec sa domne aux Iroquois d'où il n'estoit pas venu, estant élevé dans la mission. Il lui fit la grâce de bien mourir entre les bras d'un missionnaire. Sa femme, qui estoit si jeune qu'on disoit qu'elle n'avoit pas l'aage et qui se trouvoit pourtant mariée en face d'Eglise, suivit quelques jours après son mary en l'autre monde. Et la pécheresse qui avoit enlevé le mary à cette femme fut touchée et a esté baptisée depuis et vit avec la crainte de Dieu dans l'état du mariage.

Comme un contraire fait cognoistre ordinairement son contraire, l'impureté invétérée des sauvages infidelles qui venoint visiter icy et qui répandoint dans le village la puanteur de leur vice ne servit qu'à faire paroistre la vertu des chrestiens du Sault. Il y avoit desjà trois ans qu'on voyoit des personnes haïr tellement leur péchés passés qu'elles vouloient mesme ne se marier jamais quoyque la loy le permette et ont mesme voulu faire ce que les personnes relligieuses font pour se vouer à Dieu. Quelques-unes ont persévéré jusques à la mort; quelques-unes sont encore vivantes et ont persévéré et passé l'aage de se marier. Les personnes mariées viennent s'offrir aux autels et vivent comme frères et soeurs et après avoir perdu leurs enfans qu'ils avoint eu de leur sainct mariage, avant d'embrasser l'état de continence, ils n'ont pas voulu retourner à leur premier état. Le beau miroir de la chasteté est si net au Sault qu'on n'y peut souffrir les moindres taches et les sauvages sont délicats en ce point jusques à l'excès.

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Comme la pluspart des choses qui ont esté dites ont esté faites par ceux qu'on appelle de la Sainte-Famille, elles ont rendu cette société plus recommendable parmy les sauvages. Ce corps de gens intègres dans le christianisme soutient toute la mission par les soings qu'ils ont de se perfectionner et par ce qu'ils font pour convertir les autres. Mais parce que la pluspart méritent qu'on fasse un récit de leur vie, on n'en dit icy davantage. L'yvrognerie revient encore à la charge cette année. On n'avoit pas encore vu d'yvrognes entrer au village. Deux y parurent et y furent punis sur le champ comme on verra ailleurs.

On fit la bénédiction de la première cloche de la mission au mois de juin. La Sainte-Famille seule l'achepta pour la commodité publique parce que celle qu'on avoit estoit trop petite et les champs trop éloignés du village. Cette cloche pèse 81 livres et fut nommée Marie. On commença aussy la méthode de faire le cathéchisme les dimanches avant le salut, où le père explique la doctrine chrestienne et est ensuite interrogé par les sauvages qui luy proposent des doutes et le père les interroge aussy sur ce qu'il a proposé.

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Enfin tous les monstres de l'enfer n'en pouvants plus firent un dernier effort au mois d'aoust et se mêlans à minuit avec un tourbillon de vent renversèrent la chapelle. Cheute remarquable dans toutes ses circonstances: tous les meubles sacrés furent conservés dans leur entier, excepté cinq croix qui furent brisées. La statue de la Sainte Vierge qui estoit à onse pieds de hauteur fut renversée simplement. Il y avoit trois pères Jésuites dans la chapelle, un au bas qui sonnoit la cloche, deux au-dessus de la chapelle, tous trois sauvés par une espèce de miracle. Celuy qui estoit en bas fut sauvé et transporté de l'endroit où il étoit où il se fit un grand trou fait par les poutres qui crevèrent en tombant les madriers sur lesquels il estoit à genoux et luy se trouva en lieu de sûreté sans peur, sans blessure, priant Dieu et baisant des reliques qu'il portoit à son col. Un autre des pères sauta avec les cheverons en l'air qui luy firent comme une cage. L'autre des trois pères tomba aussy, mais fut bien blessé. Il se releva pourtant de dessous les ruines et fut bientost remis. Tous trois, sans s'estre communiqués leur dévotions, furent prier au tombeau de Catherine le soir avant se coucher et un avoit dit la messe de la Sainte Trinité pour remercier Dieu des grâces qu'il avoit fait à Catherine durant sa vie. Les pauvres sauvages furent bien affligés de la perte de leur chapelle, disans que Dieu les chassoit de l'église parce qu'ils ne méritoint pas d'y entrer. Mais ils estoint inconsolable voyant leurs pères blessés et malades, et disoint que ces pères souffroint pour les péchés de leurs enfans qui ne vouloint pas les écouter et vivre en bons chrestiens.

On se mit aussytost en état de rebatir la chapelle, Dieu ayant voulu qu'il y eust alors un architecte sur les lieux, lequel avoit bâty cinq autres chapelles, très bien faites. Mais en attendant, le capitaine des Aniés, qu'on nomme le Grand Anié, qui avoit fait depuis 15 jours une belle cabane, se délogea pour loger Nostre Seigneur, qui récompensa bien son hoste, car premièrement il luy fit l'honneur de voir sa cabane convertie en église, mais parce que Dieu honnora cette chapelle de plusieurs merveilles qui s'y passèrent. On y vit venir des personnes en dévotion qui faisoint des neufvaines à Catherine du Sault. On fit les mesmes dévotions qu'on faisoit dans la belle chapelle de planches avec d'autant plus de ferveur que l'incommodité de l'édifice, les rigueurs de l'hyver, les eaux du printemps et les chaleurs de l'été estoint plus rudes à souffrir à ceux qui y alloint souvent visiter le Saint Sacrement.

Il y avoit un an qu'on commença à instruire par les peintures, ce qui pleut fort aux sauvages. On a mesme fait venir

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toute la vie de Nostre Seigneur dont on a fait de petits livres que les sauvages portent avec eux à la chasse et s'instruisent eux mesme. On leur a mis ainsy par écrit les sacremens, les sept péchés capitaux, l'enfer, le jugement, la mort et quelques dévotions comme du rosaire, les cérémonies de la messe.

On travailla dès l'automne au rétablissement de la chapelle. Quand l'ouvrier commença, les sauvages commencèrent à travailler de concert, les uns par leurs présens, les autres par leurs prières. Ils s'employèrent de toutes leurs forces à aider les ouvriers, car quand les pièces furent équarries, les charrois estoint impossibles. Mais les sauvages portèrent des pièces de soixante pieds de long et grosses à proportion et ramassèrent ainsy toutes les pièces où on devoit tailler l'édifice. Il n'y eut personne qui ne travaillast selon ses forces. Les femmes et les enfans portoint chacun leurs pièces. Plusieurs y allèrent avec tand de ferveur qu'ils se blessèrent et furent longtemps malades. Mais le plus admirable de tous c'est l'ouvrier qui n'ayant jamais appris s'est rendu maistre architecte.

Cette année finit par le changement de gouverneur [Joseph-Antoine Le Febvre de la Barre, qui remplace Frontenac, était arrivé à Québec fin septembre 1682] qui se fit et celuy qui arriva aussy dans la mission, car elle fut favorisée des hommes desquels elle avoit esté persécutée. On ressantit à mesme temps les libéralités que le Roy luy a fait et surtout pour le rétablissement de la chapelle.

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On n'a point eu d'année plus périllieuse, ny plus honnorable pour la mission que celle-cy durant laquelle la guerre a brouillé tout le Canada comme nous le dirons. Quand le primptemps fut venu, on commença à lever la chapelle qu'on avoit taillée durant l'hyver dans le bois. On avoit dessein de la traisner sur les nèges et de transporter de cette façon toutes les pièces dans le lieu où on devoit poser l'édifice. Les ouvriers furent trompés parce que les nèges furent plus tost fondues qu'ils ne pensoint. On ne scavoit comment faire et on ne pouvoit se résoudre à laisser le bastiment à l'année suivante. Le village est ordinairement désert au mois de mars et au mois d'avril, il n'y reste que quelques femmes et quelques enfans. Ces femmes-là entreprirent de transporter toutes les pièces. Les poteaux et les poutres sont lourdes et pesantes comme on peut s'imaginer que les pièces d'un bastiment de soixante pieds de long et de ving-cinq de large ne sont pas légères. On leur proposa d'abord à ces porteuses de faire un chemin par terre qui a demie lieu de distance du lieu d'où on devoit tirer les pièces à celuy où on devoit bâtir. Il falloit abbatre et coupper de gros arbres pour faire le passage. Quand une ou deux journées eurent esté employées à cela, la nège manqua et le travail fut perdu. On n'avoit plus qu'un seul moyen au reste assez difficile et dangereux qui estoit de jetter les pièces dans l'eau et les faire venir par

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un petit ruisseau qui passe auprès de l'endroit où est à présent le village et la chapelle. On se mettoit en danger de se noyier ou de geler. Cepandant les sauvagesses seules, animées de l'esprit de la dévotion et du désir d'avoir une chapelle, firent merveilles en cette occasion.

Premièrement elles aidèrent à faire le chemin et à coupper des arbres qui estoint tombés dans le ruisseau. Il falloit se mettre dans l'eau jusques à la ceinture et y demeurer tout un jour. Quand le chemin fut fait, elles s'entrexhortèrent et se divisèrent en diverses bandes. Les petites filles et les vieilles portoint les pièces les plus légères par terre. Les jeunes femmes et celles qui n'estoint pas empeschées par leurs grossesses alloint le long du ruisseau avec des perches pour conduire les pièces aux détours et les plus robustes et celles qui s'appellent les bonnes chrestiennes en sauvage, ou dévottes en françois, suivoint en l'eau les pièces, ayant choisy ce party le plus rude par esprit de pénitence. Elles en furent fort incommodées et surtout il leur fallut faire de grands efforts pour tirer les pièces hors de l'eau. Mais comme l'entreprise fut faite pour honnorer Dieu et par esprit de christianisme, chacun fut content de tout ce qui luy pouvoit arriver. On a coutume de remarquer en cette mission une grande joye quand il se présante ainsy des travaux publics qui sont pour l'honneur de Dieu ou pour le service des pauvres ou des malades.

On ne peut pas douter que cette manière de vivre de quelques-uns des sauvages n'ait attiré beaucoup de bénédictions de Dieu sur la mission, parmy lesquelles je compte les morts prétieuses de quelques personnes comme celle d'une petite fille de dix ans nommée Catherine Onannonhoué dont on a écrit les actions. La manière de laquelle les sauvages meurent dans la mission est si consolante que personne n'appréhande ny la mort, ni la maladie. Le malade mesme prévient ceux qui sont autour de luy et prie souvent qu'on luy dise l'heure de son trépas. Ils appréhandent qu'on ne les flatte et qu'on ne leur cache une nouvelle qui fait trembler tout le monde. Ils s'empressent pour recevoir l'extrêm' onction avant qu'ils perdent l'usage des sens. Dieu est si merveilleux et si libéral à l'endroit de ces nouveaux chrestiens qu'il donne aux uns les présentimens de leur mort prochaine. Il s'en est trouvé qui ont dit à point nommé l'heure de leur mort. Il leur conserve souvent la raison et la parole jusques au dernier soupir. Il y en a qui, un moment après avoir récité leur angelus tout haut, ont rendu l'âme en faisant leur adieu comme, quand on va faire quelque voyage. Il y en a qui sont morts en priant et à genoux. Il y en a qui ont expiré en faisant le signe de la croix. Ils font en mourant de petites exhortations fort touchantes à ceux ou qui ne sont pas chrestiens ou qui vivent mal ou qui se sont relâchés de leur première ferveur. Ils parlent de leur mort en distribuant eux-mesmes leur petits meubles comme s'ils n'estoient pas malades. Ils goûtent par avance les plaisirs de l'autre vie fondés sur les promesses de Nostre Seigneur. Tous ceux qui ont veu icy mourir les personnes en sont toutes consolées comme tesmoings oculaires de ce qui se passe.

folio 25 recto — La foudre tomba au pied de la chapelle

Ce dessin illustre la relation de 1680 (f22r) qui identifie le personnage représenté comme un « homme ». D'après son habit, il s'agirait d'un civil et non d'un autoportrait de Chauchetière comme le suggérait Gagnon 1976 (t. 1, p. 39-40).

Chauchetière dessine quatre chapelles. La première est urbaine avec un clocher conséquent. Les trois autres se situent dans la mission, où il s'agit toujours d'une cabane rudimentaire en bois, surmontée d'une croix, d'une cloche et d'une cheminée.

Lorsqu'un personnage principal est présenté, il n'est jamais placé en plein centre de la composition, mais décalé à gauche ou à droite. Il occupe toujours le bas de la page, une peu comme dans une frise, ouvrant ainsi la partie supérieure du dessin à la présentation de l'arrière scène : femme travaillant aux champs ; allégories de l'ivrognerie et de l'impudicité ; Mgr de Laval donnant la confirmation ; architecte construisant la première chapelle ; prêtre tenant l'ostensoir ; personnage affolé par la foudre.

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folio 25 verso — le retour de p fremin

Chauchetière atteste que Jacques Frémin est missionnaire en chef en 1671 jusqu'à son départ en 1681 pour être remplacé par Jacques Bruyas, soit deux ans plus tard que la date de 1679 indiquée à leurs biographies du DBC (voir Tableau des missionnaires).

En 1667 [Note marginale :] Boquet descendoit envoyé par le P. Frémin pour donner avis à Québek de ce [la fin de la note est illisible]

En 1671 [en marge :] P. Rafeix, P. Frémin, P. Pierson [...] Le R.P. Fremin, missionnaire en chef de ce temps-là, ne manquoit pas de les disposer à la réception des sacrements encore inconnus à ces nations barbares, la confession et la communion.

En 1672 C'est aussy Gandaougé qui a receu le premier les prédicateurs de l'Evangile en la personne des RR.PP. Frémin, Bruyas et Pierron qui après la paix faite furent envoyés plénipotentiaires dans ces païs-là. [...] Monsieur le Comte de Frontenak sçeut bon gré au Père Frémin de ce qu'il avoit fourny des farines pour le fort de Catarakoui.

En 1673 Un fameux guerrier célèbre chez les Aniés [Togouiroui, dit le Grand Agnier (Chauchetière 1984a)], parce qu'il a deffect la nation des Loups [ou Mahingans, en guerre avec les Agniers (Chauchetière 1984a)], tomba heureusement dans la cabane de celle dont nous parlons, laquelle ne tomba alors dans l'inconvénient dans lequel tombent souvent les sauvages, c'est-à-dire le respect humain. [...] d'entrer dans la cabane ou aussytost après avoir laissé son paquet, il récite les prières avec ses guides, ce qui obligea le P. Frémin à demander qui étoit cet homme-là et d'où il venoit et qui luy avoit appris les prières. [...] Cela resjouit fort les François qui commencèrent à s'addonner tout de bon à la traitte et, se servants de la mauvaise volunté de Monsieur le Comte de Frontenak qui avoit changé depuis l'an passé, ils introduisirent la boisson à la dérobée à la Prairie. Un surtout, plus hardy que les autres, mit le bouchon dans le village mesme, mais l'addresse du P. Frémin et la fermeté d'esprit accompaignée de son zèlearrêta le cours de ce malheureux commerce et sauva son troupeau des flots de la Mer Rouge qui l'alloit engloutir. Ce fut en cette occasion que les capitaines firent voir ce qu'ils estoint en combattant le vice de l'yvrognerie qu'ils avoint abandonné au païs pour ceux qui en faisoint leur Dieu.

En 1675 On avoit jetté il y a quatre ans les semances d'une dévotion qui est grande en ce païs, qu'on appelle la Saincte-Famille. Le Père Pierçon avoit donné des chapelets de la Sainte-Famille à quelques personnes d'élite, la première fut Catherine Gandeaktena, mais il n'en avoit pas fait l'explication, ce qui donna occasion aux sauvages de la demander d'autans plus instamment qu'ils scavoint qu'on l'avoit enseigné aux sauvages de Lorette [Mission de Notre-Dame-de-Lorette près de Québec (Chauchetière 1984a)]. Le Père Frémin, jugeant que si on faisoit un choix de gens des plus fervents la multitude ne nuiroit pas à la mission, établit la Sainte-Famille, laquelle commença à avoir quelque éclat cette année parce que les années précédentes c'estoit une petite assemblée, mais le nombre de ces personnes choisies augmenta avec le nombre des chrestiens et de la mission.

En 1679 Dans ces perplexités et ces contradictions les pauvres missionnaires affligés n'avoint recours qu'à Dieu qui leur fut favorable, disposant toutes choses pour un voyage que le père Frémin fit en France sur la fin de cette année, voyage heureux qui a fait triompher la mission de tous ses ennemis d'une façon si surprenante qu'il mériteroit un récit particulier. [...] Durant le long voyage que le R.P. Frémin fit en France, le diable redoubla ses efforts, prétendant profiter de l'affliction dans laquelle il avoit laissé ses bons enfans. Il partit l'automne de l'année présante [...]

En 1680 Mais l'absence du P. Frémin tenoit tousjours les esprits en balance. [...] Quelqu'assurance qu'on eust du bon succès du voyage du R.P. Frémin qu'on attendoit de jour en jour, les plus fermes ne laissèrent pas de douter, le Père n'étant pas encore arrivé à la mi-octobre. Alors une lettre venue de Québek, écrite de la main du P. Frémin mesme, dissipa le reste des tempestes qui nous avoint tourmentés le temps passé. [...] On ne pensoit plus qu'à jouir des glorieux travaux du Père Frémin qui apporta plusieurs meubles de France, propres pour orner la chapelle, qui ne contribuèrent pas peu à la dévotion des sauvages qui est grande en deux temps de l'année surtout, à Noël et à Pâque, l'enfance et la passion de Notre Seigneur étant l'attrait dont Dieu se sert pour les attirer.

En 1681 Qui pourroit dire la joye que chacun avoit de revoir le R.P. Frémin dans sa mission ? [...] La fin de l'année fut fascheuse à cose du changement qui se fit de la personne du Père Frémin en celle du P. Bruyas, entien missionnaire des Iroquois. Cepandant, soit qu'on y perdist ou qu'on gaignast, on vit que les sauvages avoint peine à changer de pasteur. Ils s'accoutumèrent peu à peu et mesme plusieurs Iroquois furent attirés ensuite à la mission par la réputation du missionnaire qui est le troisième que la mission a vu depuis sa naissance.

folio 26 recto — on invoque le nom de Catherine et on accommode son tombeau

Ce projet de dessin aurait-il présenté un portrait de Tekakwitha ? Chose certaine, il aurait illustré les débuts des dévotions à son cénotaphe qui existent toujours aujourd'hui et qui ont créé les circonstances favorables à la commandite de son portrait peint par Joseph Légaré vers 1843 (voir 1676 Kahnawake devenu Kateritsitkaiatat).

En Avant propos après avoir fait le récit de la vie de la Bonne Catherine Tegakouita [...] Aussytost que j'arrivé en Canada on me mit en effect à la mission des Hurons et après un an on m'envoya au Sault où j'ay demeuré jusques à la présente année. Et, l'an 1680, Dieu confirma en moy, par les prières de Catherine qui est assès connue, tout ce qui s'estoit passé les années précédentes. [Note marginale :] Catherine décédée en odeur de sainteté au Sault l'an 1680, 17 avril.

En 1668 sa femme fut nommée Catherine, nom qui a esté remarquable dans celle-cy et qui est vénérable dans une autre Catherine qui est morte depuis peu dans la mission en odeur de saincteté.

En 1680 On fit aussy une grande perte et un grand profit cette année, la terre perdit et le ciel gaigna, la mission donna au paradis un thrésor qu'on luy avoit envoyié deux ans devant, scavoir l'âme bienheureuse de Catherine Tegakouita qui mourut le 17 avril. L'estime qu'on en faisoit durant sa vie, le secours que plusieurs en ont eu après sa mort, les honneurs qu'on a continué à luy rendre et plusieurs autres ornemens de sa vie l'ont faitte assez cognoistre dans tout ce païs. Elle a servy à la mission par ses bons exemples, mais on peut dire qu'elle luy a servy davantage après sa mort, car son corps inanimé sert icy d'argument de crédibilité de la foy pour les sauvages et ses prières soulagent continuellement cette mission. On peut dire qu'elle entre maintenant en participation de tous les biens qui s'y font et qui s'y sont faits depuis sa mort. A l'heure de son décès on luy porta le viatique dans sa cabane, ce qui ne se pratiquoit pas encore. On portoit les malades en l'église sur une écorce pour leur donner le viatique, pour inspirer aux sauvages le respect qu'on doit au Saint Sacrement, les sauvages ne s'estimans pas dignes que Notre Seigneur prist luy-mesme la peine de les aller chercher, quelques malades qu'ils fussent. La dévotion de quelques personnes qui vouloint imiter Catherine amena divers excès sur lesquels Chauchetière s'étend plus longuement.

En 1681 un malade abandonné, après avoir invoqué le nom de Catherine du Sault, fut guéry le lendemain. [...] On se recommandoit alors principalement aux saints du païs et l'on s'adressoit aussy en ce lieu du Sault à Catherine.

En 1683, après la chute de la chapelle que Chauchetière projetait de dessiner, Tous trois, sans s'estre communiqués leur dévotions, furent prier au tombeau de Catherine le soir avant se coucher et un avoit dit la messe de la Sainte Trinité pour remercier Dieu des grâces qu'il avoit fait à Catherine durant sa vie. Dans chapelle temporaire établie dans la cabane du capitaine des Aniés, On y vit venir des personnes en dévotion qui faisoint des neufvaines à Catherine du Sault.

En 1684 On vit tant de personnes se recommander à la deffuncte Catherine Tegakouita, on vit tant de bons sujés suivre cette dévotion, on se trouva en telle nécessité cette année de s'adresser à elle qu'on crut rendre un juste devoir à sa vertu de la transporter du cimetière, où on luy avoit dressé un an devant un petit monument, dans la nouvelle église. Tous les sentimens furent uniformes sur cela. On fit pourtant ce transport de nuit en présence des plus dévots. On a vu depuis les sauvages aller prier dans le lieu où elle est, lesquels avoint commencé à l'aller visiter dès le mesme jour qu'elle fut enterrée. [...] La chapelle estant achevée [...] On a dit plusieurs messes en action de grâces que Dieu a fait à Catherine du Sault [...]

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folio 26 verso — la benediction de la cloche

Quelques passages évoquent la cloche de ce projet de dessin concernant plus spécifiquement sa bénédiction.

En 1682 On fit la bénédiction de la première cloche de la mission au mois de juin. La Sainte-Famille seule l'achepta pour la commodité publique parce que celle qu'on avoit estoit trop petite et les champs trop éloignés du village. Cette cloche pèse 81 livres et fut nommée Marie.

En 1683 à minuit avec un tourbillon de vent renversèrent la chapelle. [...] Il y avoit trois pères Jésuites dans la chapelle, un au bas qui sonnoit la cloche, deux au-dessus de la chapelle, tous trois sauvés par une espèce de miracle.

L'année 1686, alors que Chauchetière peaufine ce manuscrit commencé en 1685, est évoquée dans la narration de 1678 alors que la cloche dispose d'un pouvoir magique quasi miraculeux — Le village brulant en 1686, ils remarquèrent qu'aussytost qu'on sonna la cloche on surmonta le feu qui avoit surmonté jusques alors toutes les diligences des travailleurs.

Voir aussi...

folio 27 recto — la chute de la chapelle

Voir les textes de Chauchetière pour 1683 et 1684 où il raconte longuement, dans un texte très imagé, comment la chapelle fut renversée par le vent, les dévotions subséquentes faites à Tekakwitha, les mesures temporaires prises pour les services religieux, puis les étapes de sa reconstruction et de sa décoration.

Voir aussi 1676 Kahnawake devenu Kateritsitkaiatat.

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folio 27 verso — le rétablissement de la chapelle

Voir les textes de Chauchetière pour 1683 et 1684 où il raconte longuement, dans un texte très imagé, comment la chapelle fut renversée par le vent, les dévotions subséquentes faites à Tekakwitha, les mesures temporaires prises pour les services religieux, puis les étapes de sa reconstruction et de sa décoration.

Voir aussi 1676 Kahnawake devenu Kateritsitkaiatat.

folio 28 recto — 1684

Ceux qui regardent de plus près cette persévérance des sauvages disent que Dieu leur accorde ces grâces finales parce qu'il n'y en a aucun en cette mission qui n'ait tout quitté pour Dieu en quittant son païs pour luy. Ainsy on n'en a pas encore vu mourir aucun qui ne soit mort en ne donnant de grandes marques de sa prédestination. Quoyque le nombre des morts soit desja bien grand et monte jusques après de cent quarante, les visages des trépassés n'ont rien d'affreux, au contraire ils inspirent de la dévotion, les conférant avec la bonne vie des personnes qui ont vécu icy. Se peut-il faire que des personnes qui fréquantent les sacrements, qui se confessent souvent, qui ne sortent jamais du village pour la chasse sans se confesser, qui ne sont pas plustost arrivés qu'ils se préparent à se confesser, qui offrent à toute occupation différante de la journée leur action à Dieu, qui pratiquent exactement le pardon des injures, qui se confessent de quinze en quinze, qui font souvent l'examen de conscience, qui s'accusent des moindres distractions et qui vivent comme des anges, se peut-il faire que ces personnes ne fassent une bonne fin ? La primitive église des Iroquois est dans cet état. On commença cette année à faire en l'église en public l'examen de conscience que quelques-uns pratiquent ensuitte comme des relligieux.

On vit tant de personnes se recommander à la deffuncte Catherine Tegakouita, on vit tant de bons sujés suivre cette dévotion, on se trouva en telle nécessité cette année de s'adresser à elle qu'on crut rendre un juste devoir à sa vertu de la transporter du cimetière, où on luy avoit dressé un an devant un petit monument, dans la nouvelle église. Tous les sentimens furent uniformes sur cela. On fit pourtant ce transport de nuit en présence des plus dévots. On a vu depuis les sauvages aller prier dans le lieu où elle est, lesquels avoint commencé à l'aller visiter dès le mesme jour qu'elle fut enterrée. On commença cette année à faire quelques petits discours sur la passion de Nostre Seigneur tous les vendredis de caresme.

On n'entendit tout l'esté en Canada que remuemens et bruits de guerre, lesquels étants venus aux oreilles des sauvages ne servirent qu'à faire connoistre leur fidélité. Qui l'eust jamais dit que la foy et la relligion les eust si bien uny avec les François que de leur faire prendre les armes contre les Iroquois et leur propre nation. Ils l'ont pourtant fait comme on le sçait et on a cette obligation aux capitaines qui sceurent si bien tourner l'affaire que les hommes et les femmes aimèrent mieux périr que de perdre leur foy. On leur proposa en plein conseil l'affaire en trois façons, leur donnant le choix. On dit: premièrement qu'ils pouvoint se retirer dans leurs païs s'ils vouloint, secondement que s'ils demeuroint, ils pouvoint garder leur village, troisiesmement qu'ils pouvoint enfin aller avec les François. Le premier point ne leur pleut point du tout, disans que se retirer d'avec les François et perdre le christianisme c'estoit une mesme chose.

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Pour le second point ils dirent que [les François se selon Rochemonteix (Chauchetière 1895-1896) et Thwaites (Chauchetière 1900) pour compléter le texte du manuscrit qui est déchiré] deffieroint trop d'eux. Le 3e point leur plut, disant que [n'ayant qu'une mesme] foy avec les François ils devoint aussy risquer ensemble et partirent et eurent l'approbation de toute la population dans tous leurs déportemens, soit qu'on les envoyast en embassade chez les Iroquois, soit qu'on s'adressât à eux pour avoir des vivres de leur chasse, soit qu'on leur demandast des moyens comme gens expérimentés en guerre et qui s'estoient trouvés aux coups.

Le capitaine des Aniés a fait luy seul un présent à la chapelle de ving-quatre castors, c'est-à-dire de la monnoye d'Orange 240 livres, c'est un chandelier à huit branches semblable à celuy qui est dans le presche d'Orange. Il est de bronse et a esté fait en Hollande. Ce capitaine allant en guerre voulut laisser un monument de sa piété après avoir abandonné sa cabane un an durant au service de Dieu.

La chapelle estant achevée, on y mit les présens que les sauvages y ont fait. On a fait de leur robes de taffetas rayé de la Chine que quelques-uns y ont laissé un devant d'autel. On a garny une poutre qui est sur l'autel de leur colliers qu'ils mettent autour de la teste des guerriers comme une coronne, de leur bracelets de porcelaine, d'écussons que les femmes portent pour orner leur cheveux, de ceintures qui sont les perles des sauvages. On a dit plusieurs messes en action de grâces que Dieu a fait à Catherine du Sault et ils entourèrent leur village d'une bonne paillissade.

| Ap | 1667 | 1668 | 1669 | 1670 | 1671 | 1672 | 1673 | 1674 | 1675 | 1676 | 1677 | 1678 | 1679 | 1680 | 1681 | 1682 | 1683 | 1684 | 1685 |

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Ils achevèrent au commencement de cette année la paillissade qu'ils avoint fait autour du village, agissant tousjours comme gens qui ne craignent pas de mourir, étants assurés que les Iroquois, leurs entiens parents, ne leur ont fait tant de mal qu'à cose qu'ils sont chrestiens. Ils les avoint renoncés - ces Iroquois - au conseil de guerre qui fut fait à la Famine qui est un lieu au delà de Catarakoui. Ils avoint déclamé contre eux, ils les avoint hués et enfin ils leur firent plusieurs menaces qui n'aboutirent enfin qu'à leur faire perdre leur chasse parce qu'ils la quittèrent pour venir achever la paillissade. Ce fut un second tesmoignage de leur bonne foy, car le bien qu'ils faisoint aux François estoit grand parce qu'ils alloint incessamment à la découverte dans les bois où les Iroquois pouvoint passer pour descendre sur nous, ce qui fait grand mal au coeur aux Iroquois. La paillissade qui est pentagosne eut alors cinq bastions dans l'un desquels est un gros canon de fer de huit livres de balle. Ce travail n'est pas petit parce que le village est devenu bien grand depuis quelques années. Après qu'ils eurent...

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folio 30 recto — Imprimé (tête-bêche dans le manuscrit)

Montage des f30r (à gauche sur fond beige)
et de la portion du f01v (à droite sur fond bleu)
rétablis en sens de lecture.

Ce f30r est la suite du f01v constitué par une affiche de thèse sur laquelle on lit « Deo Opt[imo] Max[imo]. Conclusiones theologicae. De Sacramentis. Ces titres sont surmontés d'un blason sur lequel figurent les instruments de la Passion, le coq, le voile de sainte Véronique, la tunique du Christ. Le blason est entouré d'une couronne d'épines [Chauchetière 1984a]. »

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folio 30 verso — Relation Du Canada

Les photographies, prises sur fond beige (ci-dessus provenant de BANQ P1000,S3,D2654), montrent les folios photographiés en paires lorsque le manuscrit est ouvert. Or, sur la photo ci-dessus, le f01r (à gauche) n'y est pas photographié avec le f00v qui devrait paraître à sa gauche (et qui n'est pas photographié), mais avec ce f30v montré à sa droite...!?

Ce montage présente côte-à-côte ce f30v (à gauche) et la photographie de son envers, soit le f30r (à droite). On y constate que tous les détails des contours très irréguliers de cette feuille sont exactement symétriques en miroir, de même que les deux perforations dans le papier (de part et d'autre du E de DEO inversé dans la photo de droite).

Relation Du Canada

folio non identifié — Filigrane

Filigrane du papier en transparence.

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VOIR AUSSI

Les portraits perdus de Tekakwitha dessinés par Chauchetière (1681-1696).

1681

vers 1681

vers 1681

1685-1686

1694

1696

Voir également...

1717-1819 Gravures anciennes, portraits hagiographiques fictifs issus des écrits de Cholenec.

Attribution à Chauchetière basée sur ses écrits.

 

   

TEKAKWITHA.
Nouveaux regards sur ses portraits.
« Elle approche, elle meut quelque chose en avant. »